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Initiations barbares : une tache noire à effacer

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MONTRÉAL - Martin St-Louis l'a reconnu d'emblée : les horreurs associées à des initiations brutales, barbares et souvent carrément criminelles présentées dans le cadre d'un recours collectif visant à dédommager d'anciens jeunes joueurs des trois ligues juniors majeures du Canada représentent une tache qui noircit l'histoire du hockey.

« Une tache noire qu'il faut effacer et c'est collectivement qu'on va y arriver », a convenu l'entraîneur-chef du Canadien qui voit d'un bon œil l'attention médiatique apportée à cette désolante histoire. « C'est plate de voir que le hockey est encore éclaboussé, mais c'est bon qu'on en parle pour qu'on puisse arriver à changer », a-t-il poursuivi.

Comme des dizaines, voire des centaines de jeunes joueurs de hockey, Martin St-Louis a candidement reconnu avoir été victime d'initiations diverses lorsqu'il s'est pointé au sein des différents clubs pour lesquels il a joué. Le coach du Canadien a toutefois fermé la porte lorsqu'on lui a demandé s'il voulait partager une ou l'autre de ces expériences.

Il est impératif de respecter cette retenue. Une retenue qui laisse planer l'idée que l'une ou l'autre de ces expériences ont été plus négatives que positives.

Car oui, une initiation peut être positive. Quand elle est réfléchie, qu'elle est supervisée et qu'elle respecte la décence humaine et le gros bon sens, une initiation peut même servir la cause d'une équipe, peu importe le sport. Elle peut avoir un effet positif sur l'esprit d'équipe.

Leadership et encadrement

C'est d'ailleurs ce que Jordan Harris a vécu alors qu'il défendait les couleurs de l'Université Northeastern entre 2018 et 2022.

« Dès les premiers jours du camp d'entraînement, le mot d'ordre du coach était clair : il était interdit d'avoir quelque forme que ce soit d'initiation abusive. Ce qu'on faisait, on le faisait dans la bonne humeur. On a déjà indiqué à des nouveaux joueurs qu'ils devaient se rendre à la course du campus de l'université au Prudentiel Center – l'immeuble phare au centre-ville de Boston – et de revenir. Tout ça avec l'équipement sur le dos et des espadrilles aux pieds. Mais aussitôt la course débutée, on la stoppait, car l'objectif était atteint : les nouveaux avaient accepté une épreuve pour confirmer leur place au sein de l'équipe. Je n'arrive pas à comprendre comment certaines personnes peuvent croire qu'il est sain de dégrader un coéquipier pour lui souhaiter la bienvenue », que Harris a expliqué dans le vestiaire du Canadien mardi matin.

Même son de cloche de son coéquipier Alex Belzile qui n'a jamais été témoin ou victime d'initiations brutales ou barbares dans les rangs juniors ou ailleurs. « Clément Jodoin était à la barre de l'Océanic à Rimouski lorsque je suis arrivé dans les rangs juniors. De telles initiations n'étaient pas permises. Je ne sais pas si c'est parce que j'avais la tête dans le sable, mais j'ai été vraiment surpris par les nouvelles des derniers jours », a assuré le joueur de centre âgé de 31 ans.

« À Peterborough – l'ancien défenseur a défendu les couleurs des Petes de la OHL au milieu des années 1980 – l'organisation encadrait les jeunes que des familles leur confiaient avec sérieux. Quand un gars arrivait et qu'il donnait l'impression de pouvoir être une pomme pourrie, il était pris en charge avant de contaminer les autres joueurs. C'est sans doute pour cette raison que je n'ai jamais été témoin d'actes aussi dégradants que ceux dont on parle dans les médias en ce moment », que Luke Richard a lancé après l'entraînement matinal des Blackhawks de Chicago qu'il dirige depuis le début de la saison.

De voies de fait à agressions sexuelles

L'ennui, et il est de taille, c'est ce que ce ne sont pas tous les entraîneurs et pas toutes les organisations qui sont aussi sérieux que le coach qui a dirigé Jordan Harris à Boston ou que les Petes de Peterborough qui ont préparé Richardson à une carrière de près de 1500 matchs dans la LNH.

Et que pour un Clément Jodoin qui n'aurait jamais toléré ce genre de comportement, on n'a pas assez des doigts des deux mains pour désigner des coachs et des organisations qui fermaient les yeux sur des initiations qui avaient bien plus des allures de séances de tortures que de tremplin pour se faire accepter au sein de l'équipe.

Même que dans les années 70, 80 et 90, les initiations « barbare s» étaient très souvent, et surtout trop souvent, la norme. Des initiations barbares dont le spectre s'étend entre des voies de fait à des agressions sexuelles.

Et pas seulement au hockey.

Des cas d'initiations dégradantes ont été décriés dans tous les sports. Plusieurs grandes universités canadiennes, même l'université McGill à Montréal, et américaines ont été mises à l'index pour avoir toléré de telles initiations au sein de leur vestiaire.

On pourrait ajouter aux équipes de sports plusieurs facultés sans oublier des « fraternités » tristement célèbres pour le traitement que ses membres faisaient subir aux candidats et nouveaux venus.

Un fléau encore d'actualité

Croisés mardi matin dans les vestiaires du Canadien et des Blackhawks, plusieurs joueurs ont reconnu avoir déjà entendu parler de cas d'initiations abusives. Ils assuraient toutefois du même souffle ne jamais avoir été témoin direct ou victime de telles initiations.

« Je crois vraiment que les choses ont changé au fil des ans », a lancé Mike Matheson.

Pour Jordan Harris, l'influence positive des médias sociaux peut mettre un frein à de telles pratiques. « Je suis loin d'être favorable à tous les aspects de médias sociaux, mais l'ampleur que prennent des campagnes de dénonciations lorsque des actes répréhensibles sont commis m'incite à croire que des actes comme ceux dont on parle depuis lundi ne pourraient plus se produire. Ou qu'ils seraient vite dénoncés », a ajouté Jordan Harris avec beaucoup d'aplomb.

L'universitaire qui patrouille la ligue bleue du Canadien avec grand succès depuis quelques semaines a bien raison.

On l'a vu pas plus tard que lundi alors que le recteur de l'université de l'État du Nouveau-Mexique a mis un terme hâtif à la saison de l'équipe masculine de basketball après qu'un joueur eut déposé à la police du campus une plainte d'agressions sexuelles à l'endroit de trois coéquipiers.

Selon la dénonciation, ces trois coéquipiers auraient forcé leur victime à se dénuder avant de le frapper aux parties génitales.

« Les actes dénoncés nous obligent à effectuer une relance complète de notre équipe (les Aggies) et du programme », que le recteur Dan Arvizu a déclaré à des collègues d'Associated Press.

Pour effacer, comme le souhaite Martin St-Louis, l'immense tache noire associée à de cas similaires d'initiations barbares qui se sont surmultipliés au fil des ans, il ne faut pas simplement l'essuyer. Il faut aussi et surtout l'analyser, la comprendre et prendre des moyens pour s'assurer qu'une fois nettoyées, cette tache ne puisse plus jamais réapparaître.

Et parce que tous les coachs dans tous les sports ne sont pas tous des hommes droits, bons et respectueux comme Clément Jodoin; parce que toutes les organisations sportives ne sont pas à l'image des Petes de Peterborough comme le prétend Luke Richardson, il serait peut-être plus que temps que les joueurs – de la ligue canadienne de hockey des autres circuits universitaires américains et canadiens – soient représentés par des organismes capables d'établir et de faire respecter leurs droits.

La syndicalisation des joueurs juniors – une quête que l'agent québécois Gilles Lupien a longtemps tenue à bout de bras avant d'être emporté par le cancer – semble impossible légalement à établir dans des ligues de hockey junior et dites amateurs. 

Mais ces ligues n'ont d'amateurs que le qualificatif. Car dans les faits, ces ligues comme les grandes universités sportives sont souvent de grandes entreprises. De grandes entreprises qui ne font pas toujours passer les droits et le bien-être physique et mental des joueurs ou des athlètes avant leurs bénéfices.

Je sais! Le gros bon sens et le respect de la décence humaine devraient être suffisants pour enrayer le fléau des initiations barbares.

Mais les trop nombreux cas répertoriés au fil des ans, les autres qui continuent de s'ajouter et qui étendent la grosse tache qui noircit le sport au lieu de l'endiguer nous obligent à conclure que gros bon sens et respect de la décence humaine ne seront jamais suffisants.

C'est peut-être ça qui est le plus horrifiant dans tout ce scandale.