Jakub Jerabek est sorti de l’ombre aux derniers mondiaux de Moscou grâce à des bons mots de Tomas Plekanec publiés dans la presse montréalaise. À l’époque, la nouvelle recrue du Canadien est déjà sous contrat avec le Vityaz de Podolsk depuis longtemps. Le Tchèque a de bonnes raisons pour justifier cette décision.

« Après la saison 2015-16, autour de la fin de février et du début de mars, plusieurs équipes de la KHL m’ont contacté. Puisque je ne voulais pas être tracassé par les histoires contractuelles, j’ai décidé de signer le plus tôt possible. Comme cela, je pouvais avoir l’esprit tranquille durant les Championnats mondiaux à Moscou. »

Lorsque Jerabek arrive au Vityaz l’été passé, l’équipe vise encore une première participation aux séries éliminatoires dans son histoire. Certaines anciennes gloires de la LNH sont aussi sur la glace. La plus célèbre est Maxim Afinogenov. Les joueurs étrangers demeurent toutefois les leaders. Ces derniers ont d’ailleurs permis au Vityaz d’arracher une participation à la première ronde des séries. Au sein de ce groupe, on trouve Roman Horak. Le défenseur tchèque donne beaucoup de crédit à son coéquipier pour les succès de l’équipe.

Harri Sateri« C’est un défenseur incroyable. Il a un talent fou. En offensive, son jeu est impressionnant. Cette année, à Podolsk, il a réellement fait la différence. »

Horak n’est pas le seul coéquipier de Jerabek à avoir été impressionné. Le premier gardien de but de l’équipe, le Finlandais Harri Sateri, ne tarit pas d’éloges à l’endroit de Jerabek.

« C’est un très bon joueur. Je suis convaincu qu’il aura du succès dans la LNH. Il est fiable en défensive et il a énormément de talent offensif. Il a tous les atouts pour y arriver. »

Si les joueurs du Vityaz sont reconnaissants envers Jerabek, ce denier l’est envers la KHL. Le Tchèque ne regrette rien de son passage à Podolsk. Il croit avoir progressé grâce à cette ligue.

« C’était ma première expérience dans un circuit en dehors de la République tchèque et j’ai adoré cela. Je suis très heureux d’avoir joué dans la KHL. Le calibre y est au moins deux coches plus élevés que dans mon pays. Les joueurs y sont plus rapides et on ne peut pas s’y trainer les pieds. Ça m’a permis de progresser. J’ai aussi gouté aux longs transports aériens et c’est une bonne préparation pour la LNH. »

Cette analyse est partagée par Martin Rucinsky. L’ancien des Nordiques et du Canadien a constaté que son défenseur a relevé son jeu d’un cran dans la dernière année.

« L’an dernier, il était vraiment bon. Cette année, il est encore meilleur. Après avoir joué en Russie, la qualité de son jeu a fait un pas de géant. Le fait d’avoir été un défenseur de premier plan dans cette ligue, ça lui a fait comprendre comment on doit jouer pour réussir. Maintenant, c’est un défi de taille d’aller jouer à Montréal. Je crois toutefois qu’il peut réussir. »

Jerabek en doit donc une à la KHL. Le Vityaz ne semble d’ailleurs pas avoir eu seulement un impact positif sur la carrière de la recrue du Tricolore. Des cinq joueurs étrangers du club, trois ont déjà signé des contrats avec des clubs de la LNH. Les Maple Leafs de Toronto et les Coyotes de l’Arizona ont aussi recruté du côté de Podolsk. Un centre finlandais, Miro Aaltonen, sera à Toronto l’an prochain. L’ailier suédois Mario Kempe suivra les Coyotes où le destin les mènera.

Cette tendance semble être généralisée dans la KHL. Les médias nord-américains parlent beaucoup des Russes quittant le circuit eurasien, mais le recrutement de la LNH va bien au-delà de cela. Un défenseur suédois de 25 ans, Oscar Fantenberg, quitte Sochi pour les Kings de Los Angeles. Un joueur de centre français, Stéphane Da Costa, est le sujet de plusieurs discussions chez les éclaireurs de la LNH après trois saisons au sein du Club de l’Armée rouge.

Victime de son succès

Beaucoup d’histoires circulent à propos de la Ligue continentale de hockey. La sous-estimation de son calibre est flagrante. Pourtant, beaucoup de ses anciens joueurs ont du succès lorsqu’ils vont dans la LNH. Comme Harry Sateri l’explique, malgré le chauvinisme de certains, la Ligue continentale n’a rien d’une ligue de garage.

« Durant le match contre le Canada aux Championnats mondiaux, j’ai dû m’adapter à leur style. Le hockey nord-américain impose un rythme plus soutenu. Je n’ai toutefois pas trouvé que leurs joueurs de la LNH étaient d’un calibre incommensurablement plus élevé que ceux de la KHL. Surtout lorsqu’on parle des plus puissants clubs de notre ligue. Ils sont fichtrement bons! »

L’exemple de Chris Lee semble confirmer les dires du coéquipier de Jerabek. Défenseur étoile du Metallurg de Magnitogorsk, Lee a rejoint l’équipe canadienne à Paris pour les Mondiaux. Après le match de jeudi, contre la France, Lee n’a jamais quitté la formation. Il a même eu du temps en supériorité numérique.

Les mentalités semblent aussi changées dans les bureaux des clubs de la LNH. Jusqu’à tout dernièrement, le dépistage professionnel s’est presque limité à l’Amérique du Nord. Outremer, les éclaireurs se sont longtemps concentrés sur le dépistage amateur. Artemin Panarin semble toutefois avoir changé les réticences des directeurs généraux de la LNH. Ce joyau passé entre les mailles des dépisteurs amateurs a imposé le respect du calibre de la KHL.

L’exode est donc plus lié à l’intérêt des clubs de la LNH pour les joueurs de la KHL qu’à ses problèmes chroniques. Les clubs avec des problèmes financiers perdent rarement leurs joueurs aux profits de la LNH. Ces derniers ont plutôt tendance à transférer vers les clubs riches de la KHL. Le Sibir de Novossibirsk, par exemple, a vendu quatre de ses joueurs au Club de l’Armée rouge ce mois-ci. Vadim Shipasyov et Artemi Panarin, de leur côté, ont quitté le SKA de Saint-Pétersbourg, un club dont le budget ferait rougir de honte plusieurs des franchises de la LNH.

Cela ne veut pas dire que la KHL est parfaite. La ligue continentale a fait encore les machettes cette semaine, car elle vise une réduction du nombre de ses clubs. L’agence de presse russe R-Sport rapporte que la ligue pourrait passer de 29 à 24 clubs dans les prochaines années. Des rumeurs courent que la ligue veut garder seulement 15 clubs russes. La ligue est toutefois loin de la faillite. En fait, aussi surprenant que cela puisse paraitre, la ligue n’a jamais été aussi fiable financièrement. Ses canards boiteux demeurent les mêmes des premiers jours du circuit.

La réduction des clubs a pour but de relever encore plus le calibre de la ligue. Ce dernier demeure excellent, mais au sein du circuit eurasien, les clubs russes sont trop nombreux. Certains clubs des régions russes ne rapportent rien en droit de télévision et ils mettent sur la glace des formations misérables.

La limite de joueurs étrangers imposée aux clubs russes y est pour beaucoup. En Russie, les clubs ne peuvent qu’en mettre cinq sous contrat. Comme l’explique Dmitry Chernyshenko, le président de la ligue, la réduction du nombre de clubs russes a pour but de « stimuler le marché du travail. Le nombre de joueurs qualifiés est en ce moment insuffisant pour le nombre actuel d’équipes. »

Ces déclarations ont toutefois été étrangement présentées par l’Associated Press. La réduction du nombre de clubs a été justifiée comme une réponse à l’instabilité économique du circuit. La ligue a pourtant réussi à stabiliser sa situation économique à l’interne grâce à un plan de trois ans s’étant terminé cette saison. Le nouveau plan, étalé sur sept ans, a pour but d’étendre la ligue à plus de pays tout en réduisant le nombre de clubs russes.

Sur la voie de l’expulsion, certains clubs de région ont joué la carte du populisme. Le Metallurg de Novokouznetsk et le Yugra de Khanty-Mansiïsk essaient d’acheter le support du Ministère des Sports en ne recrutant que des joueurs russes. Par leur « patriotisme, » ils tirent le calibre de la ligue vers le bas et ils mettent de l’huile sur la flambée des salaires des joueurs locaux. Ils sont aussi les clubs avec des problèmes chroniques de salaires impayés.

D’autres clubs, comme le Vityaz de Podolsk, s’efforcent de gagner des matchs pour demeurer dans la ligue. C’est dans cette optique qu’ils ont recruté Jakub Jerabek l’été dernier. Après l’effet « Panarin, » le succès du Vityaz et de ses joueurs raflé par la LNH crée maintenant un effet « Jerabek » en Europe. Malgré toutes les annonces d’apocalypses circulant en Occident, la KHL n’est pas au bord du gouffre. Elle est seulement victime de son succès et la création des Golden Knights club de Las Vegas.