MONTRÉAL – Il y a des choses qui ne méritent pas qu’on s’y attarde. Puis il y a les choses que Daniel Carr juge qui ne méritent pas qu’on s’y attarde. La nuance n’est pas banale.

Samedi dernier, Carr arborait un protecteur facial complet pour le deuxième match d’un programme double contre le Rampage de San Antonio. « Juste un nez cassé », explique-t-il sans fournir plus de détails, rejetant sans attendre toute tentative de sympathie à son endroit.

Un autre exemple. À mi-chemin dans sa cinquième saison chez les professionnels, Carr est le deuxième meilleur marqueur de la Ligue américaine, un petit point derrière Brandon Pirri, son coéquipier chez les Wolves de Chicago. En 31 matchs, l’ancien projet du Canadien a 18 buts et 41 points, un rythme de production qu’il n’a pas tenu depuis sa dernière année dans les rangs universitaires.

Pour un joueur de son gabarit qui n’a jamais été repêché par une équipe de la Ligue nationale, c’est quand même franchement impressionnant. Mais Carr, à qui on ne pourra jamais reprocher d’être né pour un petit pain, est loin de se péter les bretelles.

« C’est un peu frustrant pour moi, lâche-t-il au début d’une entrevue qu’il a accordée à RDS jeudi, quelques heures avant de s’envoler pour l’Arizona avec le club-école des Golden Knights de Vegas. Quand j’ai quitté Montréal pour signer avec une nouvelle organisation, ce n’était pas dans l’idée de revenir dans la Ligue américaine. »

Dans son malheur, Carr se considère chanceux d’être tombé sous la férule de l’entraîneur-chef Rocky Thompson, qui a lui-même joué 566 matchs dans la Ligue américaine avant d’accrocher ses patins, à 29 ans, et qui s’avère pour lui un précieux mentor. Les conseils de ce vieux routier sont précieux, mais ils ne suffisent pas à masquer l’amertume qui accompagne chaque rétrogradation.

Carr a passé six matchs avec les Golden Knights entre la fin novembre et le début décembre. Il a marqué un but à son troisième, mais son temps d’utilisation n’a fait que diminuer par la suite. Il a été renvoyé « en bas » après une victoire de 5-3 au cours de laquelle il avait touché la glace pendant à peine six minutes.

Son retour à Chicago marquait officiellement une quatrième année à faire la navette entre le rêve et la réalité. Quand on lui demande si l’expérience aide à amortir le choc, il répète sa réponse trois fois pour s’assurer qu’on comprenne : non.

« J’espère que quelque part dans mon futur, il y aura une lumière au bout du tunnel, prie l’attaquant de 27 ans. On voit plusieurs gars un peu plus vieux obtenir leur chance ces jours-ci dans la Ligue nationale. Il y a Greg McKegg, par exemple, qui fait très bien en Caroline. Mon coéquipier à Chicago, Brendan Pirri, est lui aussi en feu à Vegas. Je fais tout ce que je peux pour que mon tour vienne. Il faut que je fasse tout en mon pouvoir pour garder mon nom dans la conversation pour la prochaine opportunité qui passera. C’est là que j’en suis présentement. »

Carr a beau être mécontent de son sort, on ne peut lui reprocher de s’apitoyer dessus. Il est en feu depuis la dernière fois qu’il a récupéré ses bagages à O’Hare. Dans les neuf matchs qui ont suivi son retour en Illinois, il a inscrit 17 points à sa fiche.

« Je n’avais pas vraiment le choix, dédramatise-t-il. Il y a deux ans, j’avais vécu une déception similaire avec le Canadien, qui m’avait renvoyé dans les mineures juste avant la date limite des échanges. Je ne l’avais pas pris, j’avais boudé et j’avais connu une fin de saison horrible. J’ai appris de cette expérience. Désormais, peu importe ce qui m’arrive, je m’attarde sur ce que je peux contrôler et je tente d’y exceller. »

Même s’il a quelque peu ralenti la cadence, cette séquence lui a valu une invitation, sa première, au match des étoiles de la Ligue américaine.

Compassion pour Hudon

Carr peut toujours se consoler en se disant qu’il ne serait probablement pas plus avancé s’il était toujours dans l’organisation qui lui a donné sa première chance.

Depuis le début de la saison, le Canadien a perdu au ballottage Jacob De La Rose et Nikita Scherbak, deux joueurs avec qui l’Albertain a fait de l’autobus pendant trois ans à St. John’s et Laval. Et Charles Hudon, un autre coéquipier des premières heures, ronge son frein depuis un mois et demi sur le « cinquième trio » du CH.

Celui qui a disputé 94 matchs en bleu-blanc-rouge mâche ses mots pendant plusieurs secondes quand on lui demande s’il préférerait la situation de Hudon – une pièce de rechange inutilisée dans un atelier qui brille comme un sou neuf – à la sienne.   

« C’est une question à plusieurs volets, une question à laquelle je ne suis pas certain d’avoir la réponse », réfléchit-il tout haut.

« Ce n’est jamais plaisant d’être laissé de côté. Je ne crois pas que les gens qui ne gravitent pas dans notre milieu réalisent à quel point c’est difficile et frustrant. Je n’ai pas parlé avec Huddy cette saison, mais je sais ce qu’il vit parce que je l’ai vécu moi aussi. C’est dur mentalement et physiquement d’être lancé dans le feu de l’action après avoir été gardé sur une tablette pendant un mois. Surtout quand on est un joueur offensif, on s’attend à ce qu’on provoque des choses, qu’on reste sharp. C’est un travail de tous les instants. »

Carr repense à la question initiale et conclut : « Je pense qu’aucun gamin de 5 ans ne se réveille le matin en rêvant de jouer dans la Ligue américaine. On peut voir ça sous différents angles, mais je sais que quand on joue au hockey, c’est facile de croire que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin. La clé, c’est d’essayer de s’éclater dans le moment présent, peu importe où on se trouve. »