LAVAL – À moins d’un revirement de taille, le club-école du Canadien sera exclu des éliminatoires pour une septième fois en huit ans. C’est un sujet sensible dans le marché montréalais, un rendement qui irrite bien des partisans. Pourtant, ce n’est guère mieux du côté des Jets de Winnipeg, mais cette réalité est mieux acceptée.

 

En effet, le Moose du Manitoba, dirigé par Pascal Vincent et Éric Dubois, pourrait rater les séries pour la cinquième fois en six saisons (en incluant les résultats des IceCaps de St. John's). Au sein de cette organisation, ça fait longtemps que la philosophie a été inculquée et acceptée par son public. Tout, absolument tout, est orchestré en fonction du développement pour mener les Jets, et non le Moose, aux grands honneurs.

 

D’abord, rappelons les propos de Joël Bouchard qui s’époumone à expliquer au public le contexte de la Ligue américaine depuis son entrée en poste avec le Rocket.

 

 « Je comprends les gens, les playoffs, ils virent fou... Moi, je suis dans la Ligue américaine. Je ne peux pas aller à l’encontre (de notre objectif). On fait jouer des jeunes joueurs dans des situations et ils ont échoué, on va le dire. Mais ce n’est rien contre eux, au contraire, c’est pour ça qu’ils sont ici », a exprimé l’entraîneur-chef.  

 

« On va se dire les vraies choses, les jeunes ont pris de la place dernièrement et, même si ça n’a pas été parfait, ils retournaient sur la glace. […] Moi, je fais du hockey de la Ligue américaine. Si je faisais jouer tous les vétérans et que les jeunes n’étaient pas dans une situation pour jouer, est-ce qu’on serait bien plus avancé comme organisation? De faire vivre au futur cette adversité, il n’y a pas de prix à ça », a poursuivi Bouchard qui s’assure de « passer » le message du développement chaque fois qu’il le peut.

 

Pendant ce temps, à Winnipeg, les réactions du public sont peu allergiques au classement du Moose qui est moins bon que celui du Rocket. Le marché se montre plus patient.

 

« Oh oui!, a lancé Dubois en ne pouvant s’empêcher de rire. J’écoute souvent le 91,9 quand j’embarque sur le vélo le matin. J’entends ce qui se dit et les commentaires de Joël. C’est sûr qu’on n’a vraiment pas le même marché. De notre côté, c’est clair et ça l’a été dès que Pascal m’a engagé. Le message est net et précis : les résultats du club-école ne sont pas la priorité, ce sont les résultats d’en haut qui comptent. Si vous finissez derniers, mais que les Jets gagnent la coupe, vous aurez fait votre job. »

 

À l’image de leur personnalité différente et complémentaire, Vincent a abordé le même thème, mais avec des termes moins directs.

 

Éric Dubois« En fin de compte, notre objectif demeure de gagner la coupe Stanley. On veut gagner la coupe Calder en chemin, mais ce n’est pas l’objectif premier », a résumé Vincent qui a accordé une généreuse entrevue au RDS.ca, jeudi, dans les corridors de la Place Bell avant que Dubois fasse la même chose.  

 

Le défenseur québécois Jimmy Oligny est un vétéran de la LAH. À 26 ans, il possède plus de 350 matchs d’expérience dans ce circuit. Son bagage et ses origines lui permettent de déterminer si le public du Moose est plus calme.  

 

« Je pense que oui. De la manière dont notre organisation fonctionne, elle donne beaucoup de chances à nos jeunes de se faire valoir. Ils utilisent plus le club-école comme une école justement. Je ne sais pas comment ça fonctionne avec le Rocket, mais c’est vraiment axé sur le développement de notre côté. Les partisans le comprennent bien et ils aiment aussi voir les espoirs dans le même aréna, la même ville », a noté Oligny.

 

Présentement, le Moose doit lutter sans relâche pour ne pas occuper le dernier rang de sa division. Toutefois, procéder à un verdict négatif serait inapproprié.

 

« En tant qu’organisation, les Jets ont participé aux séries les deux dernières années. Dans l’ensemble, c’est très positif et on continue. On a fait graduer plusieurs choix au repêchage et on pousse la prochaine génération, une deuxième vague de joueurs », a souligné Vincent qui a hérité des commandes de la relève des Jets en 2016-2017.

 

« Ça prend également un groupe de vétérans qui comprend cette réalité et qui la supporte. Nos vétérans doivent aider l’équipe à gagner, mais aussi aider nos jeunes à progresser », a-t-il ajouté.

 

La ligue la plus « challengeante »

 

L’objectif ultime de développement se justifie à merveille quand on est au sommet de la pyramide. Mais pour les entraîneurs du club-école qui doivent l’appliquer, ça exige de changer son ADN et ce n’est pas une mission évidente.  

 

« J’ai coaché dans quatre ligues avec le Midget AAA, la LHJMQ, la LNH et la LAH. Je te dirais que la LAH, c’est la ligue qui me challenge le plus personnellement. Je suis un joueur d’équipe à 100 % et les gens qui me connaissent le savent. Mais l’ego d’un coach – et on en a tous un – fait que tu veux gagner chaque partie, tu veux faire les séries. Quand j’ai été engagé pour le Moose, c’est la première chose que Kevin Cheveldayoff m’a dit ‘On te connaît, t’arrives de la LNH où on veut gagner à tout prix chaque jour. On ne veut pas t’enlever cet aspect, mais on veut que tu le modifies. Il faut que tu fasses jouer les jeunes et c’est ainsi qu’on fonctionne’ », s’est rappelé Vincent.

 

« La première année, ç’a été un ajustement, je dois t’avouer. Si j’étais arrivé du junior, peut-être que cet ajustement n’aurait pas été aussi difficile, mais j’arrivais de cinq ans dans la Ligue nationale. Je devais modifier mon état d’esprit. Je devais passer de gagner et gagner tous les jours à gagner, mais pas à tout prix », a-t-il enchaîné.

 

Sans même qu’on lui demande d’en fournir un, Dubois s’est souvenu d’un exemple pour démontrer que les principes de développement de l’état-major des Jets ne peuvent guère être ignorés.

 

« Parfois, ouf, on se regarde et on se dit qu’on voudrait bien asseoir tel joueur, qu’il se contente de jouer le bâton d’épicerie un peu. Mais, même à ma première année, je me souviens d’un match dans lequel j’avais sept défenseurs et il y en a un que j’avais moins utilisé, il venait de faire quelques erreurs à répétition. En troisième période, j’avais décidé d’y aller à six défenseurs. Après le match, les Jets m’ont dit ‘Éric, essaie de lui trouver un peu de temps de glace pareil’. On fait donc tout le temps attention. Je ne peux pas laisser un gars sur le banc simplement parce qu’il a une performance en-dessous des attentes. Il faut que je sois assez intelligent pour leur trouver le temps de glace nécessaire », s’est rappelé Dubois.

 

Après 313 matchs dans la LNH, Ryan White est redevenu un joueur de la Ligue américaine depuis trois saisons. Il apprécie l’approche de Vincent pour parvenir à marcher sur le fil de fer réservé aux entraîneurs de ce circuit.

 

« Évidemment, ici, c’est de trouver l’équilibre entre le développement et gagner des matchs qui compte. C’est périlleux comme exercice. C’est de déterminer la corde que tu peux laisser aux jeunes. Tu dois te tourner plus vers les jeunes et les laisser commettre des erreurs. Quand ça se produit, il est là rapidement pour les corriger. Il utilise souvent l’approche : essaie-le et je vais t’apprendre ensuite si c’est nécessaire », a décrit White qui a composé avec son lot de blessures.

 

Ça tombe bien puisque les missions périlleuses n’effraient pas Bouchard.  

 

« Je n’accepterai pas qu’on change ce qu’on a bâti depuis un an, même si on y va avec une couple de défaites », a conclu l’entraîneur qui continue d’avancer et qui devrait accueillir avec enthousiasme une relève plus garnie dans les prochaines années.