MONTRÉAL – Il y a 50 ans, dans la même soirée, André Savard a été expulsé d’un match, s’est réfugié dans les gradins pour lancer des oranges à l’arbitre, est retourné sur la patinoire habillé en civil durant une bagarre générale et a passé quelques heures en prison !

 

Tant d’années plus tard, Savard ne peut guère s’empêcher de rire en repensant à cette partie plutôt rocambolesque du 13 avril 1970. Il raconte les détails de cette anecdote avec le sourire de l’adolescent qu’il était à ce moment.

 

Parce que oui, la précision est importante et il y en a une deuxième qui compte tout autant. Savard n’en était qu’à sa saison recrue dans le junior majeur et il n’avait pas encore célébré son 17e anniversaire. Du front, il était capable d’en avoir tout le tour de la tête avant même de perdre la plupart de sa chevelure digne de l’époque. Ensuite, il s'agissait d'un match éliminatoire du parcours déterminant les équipes qui s'affronteraient pour la coupe Memorial. 

 

« L’arbitre donnait toujours des punitions à nous et jamais à eux. Quand il arrivait proche, je lui tirais une orange! J’ai eu le temps d’en lancer deux ou trois avant que les partisans commencent à dire que c’était moi », a-t-il lancé lors d’un entretien fort divertissant au Centre Bell.

 

Avec 5:03 à écouler à ce match, une foire a éclaté sur la patinoire et l’arbitre a accordé la victoire aux Islanders. Savard n’avait pas dit son dernier mot, mais il n’était pas question de se battre en souliers.

 

« Au lieu de faire le tour pour retourner au vestiaire, je suis embarqué sur la glace pour engueuler les arbitres. J’étais jeune, je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je trouvais que leur jugement n’était pas objectif », a expliqué Savard avec un désir d’égalité.

 

Celui qui est devenu un joueur étoile des Remparts de Québec n’avait pas prévu la suite des choses.

 

« C’est là qu’un policier a crié ‘Go get him!’ Je suis parti à courir le plus vite que j’ai pu et j’étais rendu à franchir la porte du vestiaire quand il m’a agrippé. Il m’a sorti par la porte de côté et m’a rentré dans l’auto de police. Sauf qu’il était fou le policier et il avait une matraque. C’était un gars de Hamilton, je m’en souviens encore. J’avais hâte d’arriver au poste en me disant que son collège serait plus tranquille. Mais il n’était pas meilleur, il me tirait et me poussait sur le bureau et au sol! », a décrit Savard qui a finalement été libéré par Maurice Filion et une autre personne.

 

Savard a dû payer une amende de 20$ et la Sûreté du Québec a jugé bon de procéder à une enquête, lors du retour des Remparts à Québec, puisque son corps affichait des marques de ce traitement peu hospitalier.

 

« Probablement que l’enquête a rapporté des dividendes parce que c’était plus tranquille quand on est revenus à Charlottetown. J’ai l’impression que les policiers ont été avertis. On a fini par gagner même si on avait été dans le trouble dans la série », a ajouté l’ancien joueur de centre.

 

Les confidences de Savard ne souhaitent nullement faire l’apologie des bagarres. Ça peut sembler difficile à imaginer pour les plus jeunes, mais c’était tout simplement la réalité de cette époque.

 

« C’est bien de protéger les jeunes, de leur enlever cette pression, cette obligation de se battre. Ce n’est plus comme avant. Si le gars n’est pas du style à se battre, il ne se bat pas, c’est tout, c’est fini. Tu peux être un athlète de caractère sans te battre. C’était overraté dans notre temps », a commenté Savard qui ne plaide pas pour autant pour l’abolition complète des bagarres.

 

Cette série très robuste, les Remparts l’ont remporté en six parties avec la victoire décisive à Charlottetown. La prochaine étape, contre les puissants Canadiens juniors, allait permettre aux vainqueurs d’atteindre la finale de la Coupe Memorial.

 

Dans cette confrontation, c’est le talent de Gilbert Perreault qui a retenu l’attention. Dès la première minute de cette série trois de cinq, Perreault a marqué un but que Savard n’a pas oublié.

 

« Il est passé comme une fusée à côté du banc et notre défenseur, Bill Landers, qu’on agace encore. Pauvre lui, c’était un bon gars, un guerrier que j’aimais beaucoup. Gilbert avait fini le match avec 3-4 buts », s’est souvenu Savard à propos du gain des Canadiens juniors et des quatre buts de Perreault.

 

Savard et les Remparts n’ont pas été en mesure de renverser la vapeur et ils ont été balayés en trois parties.

 

Dire qu’il a été retranché par St-Jérôme

 

Auteur d’une récolte de 83 points à sa saison recrue avec les Remparts, Savard s’est établi comme une ressource de premier plan en accumulant 451 points en 206 parties (2,2 points par match) avec Québec étant éventuellement nommé capitaine.

 

Ce passage avec les Remparts l’a propulsé vers une carrière de 790 parties dans la LNH avec les Bruins de Boston, les Sabres de Buffalo et les Nordiques de Québec lui permettant de boucler la boucle dans sa ville d’adoption.

 

Aussi incroyable que ça puisse paraître, Savard aurait pu se joindre aux Alouettes de St-Jérôme, mais il a été retranché !

 

« Je jouais avec les Comètes d’Amos dans le circuit juvénile et j’avais eu une bonne année. Je suis allé à un camp printanier de St-Jérôme et, je m’en souviendrai toujours, ils ne m’ont pas gardé », a dévoilé Savard avec une décision que l’entraîneur Ghislain Delage a dû regretter longtemps.

 

Savard a également été courtisé par les Canadiens juniors. Originaire du Témiscamingue, il a jugé que le déménagement à Québec était la meilleure option. Guy Lafleur et André Savard

 

« Gilles Laperrière m’avait parlé, il était dépisteur pour les Canadiens juniors. Mais, entre-temps, Maurice Filion est arrivé avec Yvan Prud’homme, son dépisteur dans le coin d’Amos, et j’ai senti une conviction, ils voulaient vraiment m’avoir. Je ne connaissais pas les autres joueurs comme Réjean Giroux, Guy Lafleur, Jacques Richard. J’ai été chanceux, je suis tombé avec un bon club, dans une belle ville et on était traités comme des professionnels. On parlait de nous dans les journaux tout le temps, les spectateurs étaient au rendez-vous », a noté le sympathique homme de hockey en insistant sur le rôle de Paul Dumont, qui a été directeur général des Remparts et un grand architecte de la LHJMQ, dans la construction de cette puissance à Québec.

 

« Ça reste l’une de mes meilleures décisions! », a déterminé Savard même s’il a eu à se farcir un trajet de train de 17 heures à partir de North Bay pour se rendre à Québec.

 

La preuve que ça ne niaisait pas au sein de l’organisation, Savard s’est vu confier une somme inattendue d’argent. 

 

« Maurice m’a donné 100$ pour aller m’habiller. Il trouvait que j’étais mal habillé faut croire. Quand j’ai été intronisé au Temple de la renommée de la LHJMQ, j’en ai parlé, je l’utilise souvent celle-là », s’est-il amusé à dire.

 

Savard changeait quand même de réalité en quittant l’Abitibi pour Québec.

 

« À Amos, on était quatre joueurs qui restaient dans le sous-sol d’un monsieur Legault qui commençait dans le domaine de la scrap et il avait besoin d’argent », a relaté Savard en précisant que cet homme d’affaires est devenu « riche à craquer ».

 

Une preuve de la tension entre les francophones et les anglophones

 

Les Remparts ont fini par remporter la précieuse Coupe Memorial en 1971. Mais juste avant de remporter l’étape ultime contre les Oil Kings d’Edmonton, ce parcours éliminatoire a été ponctué par un autre affrontement qui reste gravé dans les archives du hockey junior canadien.

 

Savard et ses coéquipiers croisaient alors le fer avec les Black Hawks de St. Catharines de Marcel Dionne et Pierre Guité.

 

« On jouait pour la mauvaise équipe, on était des traîtres. C’était écrit dans les journaux », s’est rappelé Guité à partir de son domicile en Floride.

 

Le mot traître n’avait pas été lancé en l’air. Il avait été choisi en raison de l’atmosphère politique de l’époque alors que la rivalité entre les francophones et les anglophones faisait rage. Le spectre du FLQ (le Front de libération du Québec) a même fait son apparition durant la série.

 

La tension était déjà à couper au couteau lorsque le tout a dégénéré durant le quatrième match qui avait lieu à Québec. Guité a confirmé que le banc des Black Hawks a même été bombardé d’œufs, de patates, de tomates, de boulons, de balles de golf et, au minimum, d’un couteau.

 

« Mike Bloom (de St.Catharines) a essayé de frapper un gars avec son bâton, mais un policier s’est étiré le cou et il l’a reçu en plein front. C’est ce qui a déclenché la débandade. Environ 90 minutes après le match, il y avait des policiers dans le corridor à tous les 10 pieds avec le casque et le kit au complet. Ils ont collé la porte de notre autobus sur la porte de sortie du Colisée. Les policiers nous ont dit de rentrer en avançant à genoux et de ne pas bouger », a raconté Guité au RDS.ca.

 

André SavardMalgré ces efforts, l’autobus des visiteurs a été « brassé » de manière intense par les partisans des Remparts qui ont même poursuivi leur intimidation jusqu’au motel des Black Hawks.

 

« Ça cognait à nos portes et des gars avaient peur. J’ai décidé d’ouvrir la porte pour leur demander ce qu’ils voulaient. Ils ont vu que c’était moi, un Québécois, et je leur ai dit que le match était fini donc de nous sacrer patience », a commenté Guité qui n’était pas peureux sur la patinoire.

 

Le co-propriétaire, Fred Muller, et l’entraîneur des Black Hawks, Frank Milne, ont poussé la note un peu loin en évoquant une influence du FLQ. Muller a parlé de menaces de mort du FLQ reçues au téléphone tandis que Milne a prétendu que ce sont des membres du FLQ qui ont harcelé son équipe après le match.

 

Finalement, les dirigeants de St.Catharines ont réagi en déplaçant le cinquième match dans un terrain neutre, à Toronto. Ainsi, ils espéraient convaincre ceux des Remparts à en faire autant en tenant la sixième partie à Montréal.

 

Les Remparts ont refusé cette proposition retournant la pression sur leurs opposants. Finalement, les parents des joueurs de St. Catharines ont voté contre un retour à Québec et la série a été accordée aux Remparts qui doivent un grand merci à leur gardien Michel Deguise (bombardé de 228 lancers contre 151 pour son vis-à-vis). Déçus, Guité et Dionne faisaient partie des six joueurs qui souhaitaient revenir à Québec.

 

Afin de compenser ces récits disons robustes, voici une histoire d’amour. Une tempête de neige avait empêché les Remparts de se déplacer à St-Jérôme pour disputer un match qui a été reporté. Savard a profité de l’occasion pour assister à des matchs du tournoi pee-wee de Québec au Colisée.

 

« J’étais avec mon coéquipier Michel Brière et on a repéré deux jolies filles. Elles ont décidé de quitter plus tard et on a choisi de les suivre. Je me suis dépêché d’avertir Michel ‘Toi, tu prends la brune et moi, je prends la blonde’. Cette blonde est devenue, et est encore, ma femme », a raconté Savard avec affection.

 

En bref

 

Saviez-vous que Savard détient le record pour le plus de points dans un seul match avec 12 ! Ça se passait le 5 février quand les Remparts ont vaincu le National de Rosemont au compte de 14 à 1. Savard a terminé sa soirée avec trois buts et neuf passes comparativement à sept buts et quatre aides pour Guy Lafleur ainsi que trois buts et sept passes pour leur partenaire Michel Brière. Dans le camp adverse, il y avait un certain Clément Jodoin comme défenseur.

 

Savard a été opéré quatre fois au genou gauche durant son parcours junior si bien qu’il a dû composer avec la douleur jusqu’à la fin de sa carrière. La première intervention chirurgicale est survenue à sa troisième année et sa carrière professionnelle s’est terminée avec une dernière blessure à ce genou.

 

La popularité des Remparts était fascinante à cette époque. « Durant les séries, on sortait à 20h après notre pratique et je me souviens d’avoir des gens qui attendaient pour l’ouverture des guichets le lendemain matin à 9h. Ils passaient la nuit sur place en jouant aux cartes.»