Dans les cercles du hockey junior canadien, et sans doute aussi dans les officines de la Ligue nationale, il a beaucoup été question du gala présenté récemment à Québec dans le cadre du 50e anniversaire de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Quelle soirée magique ce fut! Vraiment.

Le commissaire Gilles Courteau n’hésite pas à le dire, ce fut le plus grand événement dans l’histoire du circuit qu’il dirige lui-même depuis 33 ans.

Quelques-uns des athlètes les plus marquants à avoir brillé dans la Ligue nationale sont issus du groupe des 10 meilleurs joueurs dans l’histoire du circuit Courteau. Il étaient tous là, sauf Sidney Crosby, évidemment. On a aussi vu défiler sur vidéo ou en personne plusieurs des joueurs composant le groupe des 50 premiers. Tout cela sous le regard intéressé et parfois étonné de Bill Daly, le dirigeant numéro 2 de la LNH et bras droit de Gary Bettman.

C’est à cette occasion que Guy Lafleur a été élu le plus grand de tous devant Mario Lemieux. On précise qu’il s’agissait d’identifier le joueur le plus marquant du hockey junior québécois. Rien à voir avec leurs exploits professionnels.

« Ils se sont sûrement trompés, a fait remarquer très humblement Lafleur, un brin mal à l’aise aux côtés d’un Lemieux amusé de son embarras. Je n’ai pas d’affaire là. »

Lemieux a récolté 562 points en trois saisons juniors. Lafleur (379 points) aurait peut-être revendiqué une production similaire s’il avait participé à trois saisons lui aussi.

Bien sûr, le premier rang de Lafleur sur cette liste était justifié. Pour le comité de sélection, il est celui qui a contribué à mettre au monde la LHJMQ. Quand on s’est réuni pour créer la ligue en 1968-1969, l’équipe des Remparts de Québec y a fait son entrée. Lafleur était en uniforme lors du jour 1 de cette concession et de la ligue. L’ensemble du hockey junior canadien, représenté par l’Ontario et l’Ouest du pays, n’avait pas beaucoup de considération pour le hockey québécois à l’époque. Le Québec n’avait pas la structure requise pour mériter leur respect. Juste pour vous dire, les Maple Leafs de Verdun évoluaient dans la ligue du Québec et le Canadien junior dans celle de l’Ontario. Le territoire montréalais était donc divisé dans deux circuits différents, un non sens.

Dès le départ, quand une recrue répondant au nom de Lafleur a explosé pour 103 buts et 170 points, on a compris qu’il se passait des choses inhabituelles au Québec. Quand il a ajouté 130 buts l’année suivante, c’était dans la poche côté crédibilité. Soudainement, les recruteurs, qui ne semblaient pas savoir où se situait le Québec sur la carte, ont commencé à se faire voir dans nos arénas.

Mario Lemieux a joui d’un talent inné pour son sport. Il a réussi des choses incroyables sur la patinoire, mais le soir du gala, quand Mike Bossy, Pat Lafontaine et Dale Hawerchuk ont déclaré dans leur boniment respectif que Lafleur avait été leur idole, on a compris que le comité de sélection avait vu juste.

Une injustice notoire

En l’absence de Gary Bettman, retenu en Californie, Bill Daly a semblé fort intéressé par le déroulement de la soirée. Peut-être a-t-il réalisé ce soir-là à quel point le Québec a produit une moisson de qualité pour le circuit qu’il représentait: Lafleur, Lemieux, Crosby, Lafontaine, Pierre Larouche, Bossy, Hawerchuk, Brad Richards, Denis Savard et Patrice Lefebvre, le recordman du circuit québécois (595 points) ont capté son attention. Lefebvre, qui a évolué à une époque où les joueurs de cinq pieds six pouces et de 160 livres ne recevaient pas la moindre considération, aurait facilement patiné dans les traces de Martin St-Louis s’il avait disputé sa carrière durant les années 2000. Celui qui gagne sa vie comme entraîneur en Suisse serait aujourd’hui plusieurs fois millionnaire. Une injustice notoire commise par le hockey professionnel de l’époque.

« Daly m’a fait remarquer que non seulement tous ces athlètes étaient super talentueux, mais ils sont parmi les joueurs les plus importants que la Ligue nationale ait connus », précise Courteau.

Et comment! Les neuf joueurs professionnels composant le groupe des 10 ont réussi des exploits qui ont contribué à écrire leurs noms en lettres d’or dans les annales de la ligue. Ils ont totalisé 4 421 buts, remporté 19 coupes Stanley et mérité un total de 46 trophées individuels. Six d’entre eux sont déjà intronisés au Panthéon de la renommée et ce n’est qu’une question de temps avant qu’un septième, Sidney Crosby, y accède.

En apercevant Patrick Roy dans la salle, Daly a demandé à Courteau pourquoi il n’appartenait pas à ce groupe très sélect. Le commissaire n’a pas osé lui répondre qu’il n’était même pas parmi les 50 premiers. Roy a compilé des statistiques très peu impressionnantes à Granby, ce qui ne l’a pas empêché de connaître une carrière exceptionnelle.

On pourrait dire de même dans le cas de Raymond Bourque qui n’a amassé que 220 points en quatre ans chez les juniors, bon pour une 16e place dans ce classement. Chez les pros, Bourque a exprimé sa vraie valeur en remportant le trophée Calder, cinq trophées Norris et une coupe Stanley.

Une allusion aux Nordiques

Comment Daly aurait-il pu oublier que ce défilé de superstars issus de la LHJMQ se déroulait dans un marché de hockey toujours dans l’attente d’une concession? D’ailleurs, l’un des joueurs honorés, Bob Murray, s’est chargé subtilement de le lui rappeler.

À titre de défenseur étoile durant trois saisons dans l’uniforme des Royals de Cornwall, Murray a plusieurs fois visité Québec pour y affronter les Remparts. Il n’a jamais oublié les beautés de la ville. Dans un message vidéo, le directeur général et entraîneur intérimaire des Ducks d’Anaheim a mentionné avoir tellement aimé cette ville qu’il a dit souhaiter que les autorités de la ligue revoit leurs plans au sujet de Québec afin qu’il puisse un jour y revenir en compagnie de sa femme. Daly a encaissé l’allusion sans broncher.

« Il ne l’a pas mal pris, fait remarquer Courteau. Il a dit avoir trouvé cela plutôt cute. »

Chose certaine, Daly a eu de quoi réfléchir sur l’importance du hockey au Québec durant cette soirée. Il a même fait connaissance avec le jeune Alexis Lafrenière, de l’Océanic de Rimouski, considéré comme le premier choix de repêchage de la ligue l’an prochain, qui a été proclamé le joueur par excellence de la saison. Quant au commentaire élogieux de Murray sur Québec, on ne doute pas qu’il se soit rendu jusqu’au bureau de Bettman dès le retour de Daly à New York.

L’avenir de Courteau

Que restera-t-il à accomplir pour Gilles Courteau après cette réussite qui a nécessité un an de préparation? Pourrait-on imaginer un chant du cygne pour lui après un règne de 33 ans qui a vu la ligue passer de 10 à 18 équipes, dont une expansion majeure du côté des Maritimes?

La question le fait rigoler. «Je resterai en poste tant que j’aurai des défis à relever, que ma santé me le permettra et que les gouverneurs ne me signaleront pas que le moment est venu pour moi de partir, mentionne le dirigeant de 61 ans sur un ton ferme. Dans les bureaux de la ligue, je dirige une équipe de jeunes dynamiques qui sont à l’ère des années 2000. J’en ai eu la preuve durant l’organisation des fêtes du 50e anniversaire. C’était important pour moi que l’événement soit célébré de cette façon car on a juste une fois 50 ans. J’ai été extrêmement bien secondé dans ce projet. »

Malgré tout, il faut avoir la couenne dure dans un boulot comme le sien. C’est une responsabilité qui ne permet pas souvent de faire l’unanimité. Pas facile de se présenter sur certaines patinoires sous les huées de la foule. Il y a eu des moments de découragement, mais il n’est jamais venu près de tout abandonner.

À ce sujet, il raconte une anecdote amusante. Au début de son mandat, ça brassait fort à l’intérieur de la ligue. Un jour, en rentrant à la maison, il a dit à son épouse qu’il allait quitter tout cela pour devenir éboueur. Son jeune fils, témoin de la conversation, en a été chaviré. À l’école, alors qu’on l’a senti perturbé, on lui a demandé ce qui n’allait pas.

« Mon père va quitter son travail pour devenir vidangeur », a-t-il rétorqué.

« On a dû lui expliquer que c’était juste une mauvaise journée et qu’il ne devait pas prendre cette remarque sérieusement. Par la suite, quand j’affrontais des difficultés, j’attendais d’être seul avec ma femme pour en parler », conclut le commissaire en souriant.

S’il n’en tient qu’à lui, quand Courteau quittera la ligue, ce sera pour rentrer à la maison avec, à n’en pas douter, la satisfaction du travail accompli.