Des extraits de cet article ont paru dans la dernière édition du Carnet LHJMQ.

MONTRÉAL – Tristan Luneau dort mal en autobus. Il est d’ailleurs encore un peu amorti, à peine tiré d’une sieste de mi-journée, lorsqu’on arrive à lui parler lundi après-midi.

Luneau revient alors à peine de son premier grand voyage avec les Olympiques de Gatineau, une boucle de quelque 3600 kilomètres qui avait mené l’équipe dans les provinces de l’Atlantique, avec un arrêt à Sherbrooke au passage. Une semaine complète sur la route pour laquelle le jeune défenseur avait tout prévu pour s’occuper et passer le temps sans trop en perdre lorsque l’oreiller ne lui apporterait pas le repos souhaité.

Dans son sac, devoirs et travaux scolaires étaient un incontournable. « Je n’en ai certainement pas fait autant que j’aurais aimé en faire, confesse celui qui a été nommé deux fois parmi les étudiants du mois depuis son entrée dans la LHJMQ. Ce n’est pas l’idéal de faire des devoirs dans l’autobus. J’en ai plus fait à l’hôtel. C’est sûr que c’est plus difficile. »

Luneau avait aussi apporté le nécessaire pour se divertir. Sur sa tablette électronique, il avait téléchargé Rafa, la biographie du tennisman Rafaël Nadal. Il s’était aussi procuré la version audio d’Atomic Habits, une brique de 320 pages qui contient des astuces pour adopter de bonnes habitudes et se départir de nos mauvaises.  

Vous avez bien lu. Le plus bel espoir québécois en vue du prochain repêchage de la Ligue nationale, qui n’aura pas 18 ans avant le mois de janvier, occupe notamment ses temps libres en épluchant des bouquins de la réputée liste des meilleurs vendeurs du New York Times.

« C’est sûr que ça peut paraître chargé pour un gars de son âge, réalise son agent Dominic De Blois, qui a pris l’habitude de suggérer des ouvrages à ses clients. Mais c’est un jeune qui est capable d’en prendre. Souvent on a des discussions sur ses lectures. Je prends par exemple le livre de Georges St-Pierre. On lui a acheté et ensuite on a parlé ensemble des choses à travers lesquelles il est passé, les blessures, les épreuves mentales, l’adversité, des trucs comme ça. »

« Le jeune est allumé, y a pas de doute », conclut De Blois.

Il n’y a pas que dans sa bibliothèque virtuelle que la maturité de Tristan Luneau crève les yeux. Une seule discussion avec le jeune homme suffit pour comprendre qu’il est en avance sur son âge et qu’il est assis sur des bases assez solides pour affronter la chaleur des projecteurs qui seront braqués sur lui au cours des prochains mois.

Sur la liste préliminaire de la Centrale de recrutement de la Ligue nationale, le nom de Luneau était accompagné de la cote « A » signifiant qu’il est jusqu’ici considéré comme un potentiel choix de première ronde en juillet prochain. Un seul autre joueur de la LHJMQ, le centre des Remparts de Québec Nathan Gaucher, l’accompagne au sommet de ce palmarès.   

« C’est sûr que c’est une grosse motivation, dit Luneau à propos de l’attention grandissante dont il fait l’objet. Tu ne peux pas avoir une plus belle motivation que de vouloir impressionner les équipes de la LNH et vouloir que ton nom ressorte du lot. C’est notre rêve à tous de jouer là, c’est une étape très importante. Mais je prends ça comme une motivation, pas une pression. C’est de prendre ça positif. Il va y avoir des parties difficiles, mais il ne faut pas que ça devienne lourd. Ça a beau être l’année du repêchage, ça reste que j’ai des choses à améliorer et je veux prendre l’année pour travailler sur ces choses-là. »

En prendre et en laisser avec les statistiques

Cette importante saison a commencé sous le thème de la patience pour Luneau. Durant l’été, il a été soigné pour une blessure mineure qui, dit-on, l’embêtait depuis plusieurs années. Il a raté le début du camp d’entraînement et n’était pas en uniforme pour les deux premiers matchs de la saison régulière. Il a fait son retour au jeu le 9 octobre, mais a sauté un match sur la route une semaine plus tard. Les Olympiques préconisaient une approche prudente avec le joyau de leur défense.

Lorsqu’il est réapparu dans le maillot noir et argenté, ce n’est ni son coup de patin, ni son cardio qui lui en faisait baver.

« Je dirais que c’est le manque de confiance, dit-il non sans provoquer un léger étonnement. Évidemment, la confiance offensive. Dès que tu as un peu d’hésitation, ce que je n’avais pas avant, tu es moins réactif, tu prends moins l’adversaire par surprise. On dirait que tu es moins rapide et l’exécution est moins là parce que tu penses un peu plus. C’est un des aspects qui devrait revenir très rapidement, la confiance offensive. Il y a aussi la confiance dans le reste de la game, sans la rondelle. Aller chercher un bon angle d’approche avec les attaquants, faire confiance à mon patin pour justement aller fermer l’espace et être difficile à affronter. »

Offensivement, Luneau a été blanchi à ses six premiers matchs. Il a finalement brisé la glace en récoltant une mention d’aide vendredi dernier dans une victoire de 3-2 à Halifax. Il est revenu à la charge avec deux autres points 48 heures plus tard à Sydney, où son but a donné le ton à un gain de 5-2.

« Je mentirais si je disais que ça ne m’a pas donné un petit sourire de scorer et de m’afficher au pointage, admet-il. Mais en même temps, ce n’est pas quelque chose sur quoi je me concentre. À la fin d’un match, ce n’est pas les buts et les passes que je regarde, mais plus l’ensemble de mon jeu. Est-ce que j’ai aidé mon équipe à gagner? Ou est-ce que j’ai marqué tout en donnant deux échappées et qu’on a marqué deux fois contre moi? J’essaie d’évaluer mes matchs selon les objectifs que je me suis donnés et les faiblesses sur lesquelles je travaille. Si l’effort est mis à la bonne place, dans le fond. »

Luneau est assez intelligent pour savoir que tout le monde ne suivra pas ses progrès à travers cette lentille. Avec l’étiquette de futur choix de première ronde dans la LNH viennent les attentes des recruteurs du dimanche et de gérants d’estrade du même acabit. Ceux-là ont la fascinante habileté à visualiser l’avenir d’un adolescent en scrutant des colonnes de chiffres sur des sites populaires.

Pour son âge, le garçon de Victoriaville démontre une impressionnante compréhension de cette réalité.

« C’est sûr que les points, ça fait tourner les têtes et ça fait parler beaucoup de gens. Mais je me dis que les bonnes personnes regardent les matchs en vrai, ils ne regardent pas juste les points et ne prennent pas de décision sur les points. Alors l’idée, c’est plus de se concentrer sur quel type de personne tu veux faire parler et quel type de personne tu vas écouter. Vas-tu écouter la personne qui regarde juste les sommaires et qui dit : "Ah! Luneau a un début de saison difficile" ou tu veux écouter la personne qui a regardé ces six parties-là et qui a vu une évolution dans chacune d’elles? »

« C’est sûr que je ne pense pas que je suis encore à 100%. J’ai encore une autre vitesse dans mon jeu, c’est certain », prévient-il.