MONTRÉAL – Thomas Chabot est subitement apparu sur le radar de plusieurs amateurs de hockey grâce à ses performances presque surhumaines au plus récent Championnat du monde de hockey junior. Mais son ascension parmi les meilleurs défenseurs d’âge junior au monde ne s’est pas faite du jour au lendemain.

Il y a deux ans, Chabot et l’entraîneur responsable des défenseurs des Sea Dogs de Saint John, Paul Boutilier, ont établi un plan visant spécifiquement à faire graduer le jeune Beauceron au sein d’Équipe Canada junior et d’éventuellement en faire un élément indispensable. Voici comment les deux hommes s’y sont pris pour arriver à leurs fins.

UNE VISION

L’élève et le maître ont commencé à travailler ensemble avant la saison 2014-2015, la première année d’admissibilité de Chabot au repêchage de la LNH. Ce dernier n’aurait probablement pu tomber sur un meilleur mentor. Comme lui, Boutilier avait été un arrière à caractère offensif pendant un peu plus de deux saisons dans la LHJMQ, remportant même le trophée Émile-Bouchard remis en défenseur par excellence du circuit, au début des années 1980. Le Néo-Écossais a participé deux fois au Mondial junior – où il portait le même numéro 5 que son poulain - en plus de participer à une conquête de la coupe Stanley des Islanders de New York.

Pour Chabot, la première année de cette collaboration s’est amorcée par une dure leçon d’humilité. Insatisfait de son éthique de travail, son entraîneur-chef de l’époque l’avait laissé dans les gradins pour le match inaugural de la saison.

« J’avais entendu toutes sortes de choses à son sujet, mais j’essaie toujours de me fier à ce que je vois, et non à ce que j’entends, pour me faire une idée d’un joueur, affirme Boutilier. Je l’avais invité à passer le match avec moi dans une loge ce soir-là. La plupart des gars de son âge aurait probablement préféré faire autre chose, mais il est venu s’asseoir à côté de moi et m’a dit : ‘Boots, mettons-nous au travail’. Tout de suite, j’ai compris que sa mauvaise réputation n’était pas justifiée.  »

Chabot a terminé la saison avec 41 points en 66 matchs et en juin, il a été sélectionné en première ronde, au 18e échelon du repêchage, par les Sénateurs d’Ottawa. À son retour à Saint John, il s’est fixé un nouvel objectif : faire sa place au sein d’ÉCJ à l’âge de 18 ans.

« À l’époque, je dirais qu’il était probablement le 12e ou le 14e défenseur sur la liste de Hockey Canada, estime Boutilier. Notre but était de le faire monter jusqu’au septième de façon à lui donner une petite chance de faire l’équipe. Mais l’ouverture était étroite. Quand on part d’aussi loin, c’est possible qu’on réussisse, mais il se pourrait aussi fort bien qu’on n’y arrive pas. »

À la demande de son professeur, Chabot a donc commencé à consacrer plus d’efforts sur les tâches ingrates reliées à sa position, celles qui passent généralement inaperçues jusqu’à ce qu’on y faillisse.

« Au niveau national, le septième défenseur n’a pas de rôle sur les unités spéciales. C’est un bouche-trou, en quelque sorte, qui doit bien faire son boulot quand on fait appel à lui, mais qui doit laisser les autres donner le show, verbalise franchement Boutilier. On s’est donc entraîné en conséquence. Pendant une demi-saison, il a appris à neutraliser l’adversaire, il a solidifié son jeu défensif. Comme il était déjà repêché, il pouvait se consacrer à la tâche sans craindre de voir sa cote diminuer. »

Chabot a gagné son pari. Non seulement a-t-il convaincu l’entraîneur Dave Lowry de l’amener en Finlande avec le reste de la sélection nationale, mais il lui a forcé la main en héritant de responsabilités accrues à mesure que le tournoi progressait.

« Ça a élevé sa confiance à un autre niveau », a remarqué Boutilier.

UNE EMBÛCHE

Dans les mois qui ont suivi, cette confiance a atteint son paroxysme. Chabot a amassé 21 points en 17 matchs de séries éliminatoires au printemps et se sentait indestructible quand il est arrivé au camp de perfectionnement des Sénateurs.

Mais tout ce qui monte doit redescendre et cet été-là, l’espoir ottavien est tombé de son nuage. Dans une décapante sortie publique, le directeur général adjoint des Sénateurs, Randy Lee, a durement critiqué son jeune prospect en clamant qu’il n’avait pas répondu aux attentes parmi les autres « recrues » de l’organisation.

« Une semaine plus tôt, on l’avait louangé dans les journaux. Je me souviens d’avoir lu qu’il était peut-être prêt à jouer dans la LNH, raconte Boutilier. N’importe quel jeune joueur qui tomberait là-dessus se dirait que le gros du travail est déjà fait. Mais les Sénateurs avaient un nouveau DG, un nouvel entraîneur et je crois qu’ils ont voulu passer un message. Thomas était tombé dans un piège et je crois que ça l’a ramené sur terre. »

Les propos de Lee ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Chabot s’est promis que l’on ne l’y reprendrait plus, mais avant, son entourage a décidé qu’il devait regarnir ses réserves d’énergie.

« Avec ses agents, nous avons convenu qu’il lui serait bénéfique de s’éloigner du hockey pour deux ou trois semaines. On oublie souvent à quel point les jeunes de son calibre jouent souvent à cet âge avec toutes les compétitions et les évaluations qui précèdent le repêchage et les obligations ajoutées par les clubs pros auxquels ils s’affilient. L’année dernière, je crois que Thomas a passé 25 jours à la maison. Parfois, trop c’est trop. »

Le congé a eu les effets escomptés. Chabot a si bien fait au camp d’entraînement des Sénateurs en septembre que Guy Boucher l’a gardé avec son groupe pour le début de la saison. Il a disputé son premier match dans la LNH avant d’être renvoyé à son club junior.

Thomas ChabotUNE SPECTACULAIRE ÉCLOSION

Quand Chabot est revenu à Saint John, Boutilier l’a retrouvé dans une forme splendide et l’a aussitôt préparé pour une saison en deux temps. Les Sea Dogs auraient besoin de lui afin d’être de sérieux aspirants à la coupe du Président, mais auparavant, ils voulaient lui donner tous les outils pour qu’il puisse les représenter de nouveau sur la scène internationale, cette fois dans le but avoué d’y dominer.

Progressivement, Boutilier a augmenté la charge de travail de son quart-arrière pour faire en sorte qu’il ne soit pas dépaysé quand le niveau de compétition monterait de quelques crans.

« Peut-être deux ou trois semaines avant le début du camp de sélection d’Équipe Canada, on est parti sur la route, narre l’entraîneur. Un soir, à Shawinigan, je l’ai fait jouer pendant environ 43 minutes. Chaque fois que son partenaire s’en venait au banc, Thomas se retournait pour le suivre et je lui faisais signe de rester. Il changeait une fois sur trois. Je voulais étirer son élastique, juste pour qu’il puisse se faire une idée de l’effort requis pour s’acquitter d’une telle charge de travail et aussi pour lui faire comprendre qu’il était capable de le faire. »

À son arrivée au camp d’ÉCJ, Chabot était le seul vétéran de l’édition précédente et le leader incontesté de la brigade défensive. Jamais son rôle n’a été remis en cause, mais personne n’aurait osé prédire qu’il survolerait ses pairs avec autant d’aisance pendant le tournoi.

« Le plan était de ne pas amorcer la compétition de manière trop agressive, dévoile Boutilier. Je lui avais dit de prendre son temps pour trouver ses repères et son synchronisme, de laisser le tournoi venir à lui. Il l’a fait de façon sensationnelle. »

Chabot avait déjà inscrit un point dans chacun des matchs de la ronde préliminaire quand son équipe est arrivée à Montréal pour la ronde des médailles. Il a disputé un match divin en quarts de finale contre la République tchèque, inscrivant notamment un but de toute beauté pour enflammer le Centre Bell en deuxième période. Il a été tout aussi spectaculaire en demi-finale contre la Suède, contribuant à limiter les dégâts contre le meilleur trio offensif du tournoi. Puis en grande finale, il a dirigé le trafic pendant près de 44 minutes dans une défaite crève-cœur contre les États-Unis.

Il est revenu de son expérience avec la médaille d’argent, la seule que son entraîneur n’avait pas obtenue lors de ses belles années avec Hockey Canada, et le titre de joueur par excellence du tournoi. Son nom était soudainement alors sur toutes les lèvres, mais Paul Boutilier avait vu venir cette spectaculaire éclosion.

« Ça n’est pas arrivé par hasard. Tout le monde a peut-être appris à le connaître sous un jour différent, mais on a travaillé ensemble pendant deux ans pour qu’il puisse savourer ce moment. »