MONTRÉAL – Simon Gamache n’a pas oublié la manchette.

« Il va y avoir du hockey à Val-d’Or vendredi »

Par l’entremise de Marc Lachapelle, du Journal de Montréal, c’était la promesse qu’il faisait aux partisans des Foreurs. Son équipe avait peut-être échappé les deux premiers matchs de sa série de 2001 face aux Tigres de Victoriaville, sur sa patinoire en plus, elle n’avait pas dit son dernier mot.

Surtout pas lui.

« Il va y avoir du hockey à Val-d'Or vendredi »« Quand j’ai lu ça [le matin du match no 3], je me suis dit : "Eh tabar***, je n’ai plus le choix mon ami! C’est le temps de livrer, ce n’est pas le temps de niaiser!". »

Gamache n’a pas niaisé longtemps. Après une période, il avait déjà inscrit un tour du chapeau et ajouté une passe, aidant les Foreurs à se forger une insurmontable avance de 6-0...

Il allait y avoir du hockey à Val-d’Or le vendredi suivant.

« C’était ça, Gamache », résume l’entraîneur-chef des Foreurs à l’époque, Claude Bouchard. « Il carburait aux défis. »

Tenir parole, combattre les stéréotypes, surpasser Mario Lemieux, soulever la coupe du Président, obtenir la reconnaissance nationale... Des défis, Gamache en a relevé plus d’un au fil de son stage junior de trois saisons en Abitibi.

De quoi mériter une place au plafond du Centre Air Creebec, où sera hissé son chandail no 22 samedi soir.

Un scénario inespéré pour ce petit attaquant qui, il y a un peu plus de 19 ans, débarquait à Val-d’Or dans l’anonymat.

« J’étais un peu un nobody, un choix de cinquième ronde... »

Le gun sur la tête

Gamache a 17 ans quand il quitte Thetford Mines pour son tout premier camp d’entraînement avec les Foreurs, en 1998.

« Je suis parti avec ma poche et j’ai dit à ma mère que je ne revenais pas, que j’allais faire l’équipe, mais il n’y avait aucune garantie. »

Sa place dans le vestiaire de Gaston Therrien est en effet loin d’être gagnée.

« Je n’avais entendu que de bonnes choses sur lui, sauf que quand tu arrives au camp et que tu ne mesures de 5 pi 9 po ou 5 pi 10 po, tu n’as pas 25 chances », corrobore Therrien. « Tu en as une et tu ne peux pas la rater. »

Gamache tombe vite dans l’œil de coach Therrien.

« Ce n’était pas un premier choix au repêchage, ce n’était pas un géant, mais c’était un guerrier. Il se faisait remarquer par sa fougue et sa robustesse. »

En plein le genre de joueur avec lequel Therrien souhaite rebâtir un club qui vient à peine de faire ses adieux à Steve Bégin, Jean-Pierre Dumont, Roberto Luongo et de remporter la première coupe du Président de son histoire quelques mois plus tôt.

 « Tu n’as pas le choix, tu as le gun sur la tête », image Gamache. « Il n’y avait pas une année où je pouvais me permettre de ne pas performer à la grandeur que j’avais. [...] C’était imprimé dans mon cerveau tellement j’avais entendu que je ne réussirais jamais. »

Cette détermination lui permet d’abord d’amasser 62 points à sa première campagne dans l’uniforme des Foreurs qui, après cette première année de reconstruction, peuvent espérer faire mieux qu’une 10e position la saison suivante.

« On avait l’équipe pour finir en milieu de peloton. Facile », estime encore Gamache.

Alors dirigés par Serge Trépanier, les Foreurs alignent néanmoins les défaites, et ce malgré la complicité naissante entre Gamache et le vétéran de 20 ans Benoît Dusablon, qui fait de plus en plus de ravages.

« Dès qu’on nous a matchés ensemble, ç’a fait Pow! Pow! Pow! Des buts, des buts et des buts... Ça ne finissait plus! »

Ce n’est toutefois pas suffisant pour inverser la tendance.

Résolument tournée vers l’avenir et prête à assumer de terminer dans la cave du classement, l’organisation décide de monnayer son plus bel atout et échange Dusablon à la période des fêtes, à l’instar d’autres vétérans de l’équipe.

« Ç’a été le dernier clou », concède Gamache.

En attendant les jours meilleurs, ce dernier tient par contre la cadence. L’équipe ne gagne pas, mais la machine offensive, elle, roule à plein régime.

Simon Gamache (à gauche) et Sénèque Hyacinthe célèbrent un but.« Quand l’équipe perd, tu ne peux pas tout prendre sur tes épaules. À un moment donné, il faut que tu continues à faire ce que tu fais de mieux. »

Et ce qu’il fait de mieux, c’est scorer.

« Ce n’était jamais assez pour lui », louange l’un de ses anciens compagnons de trio, Éric Fortier. « S’il pouvait faire 6 points, c’était 6. S’il pouvait en faire 7, c’était 7. C’était la pédale dans le fond, tout le temps. »

Gamache est insatiable. Chaque minute passée au banc est une minute de trop.

« Quand je pognais un deux minutes [de pénalité], je m’en voulais parce que je VOULAIS jouer. Durant les deux minutes que j’étais sur le banc, je ne pouvais pas scorer. Je voulais jouer, je voulais scorer. »

Imaginez quand il était blessé...

C’est ce qui arrive pendant un match contre l’Océanic de Rimouski, en novembre 1999 à Val-d’Or. Accidentellement coupé à l’avant-bras par le patin d’un coéquipier en première période, Gamache est alors contraint de quitter pour l’hôpital tellement la plaie est sérieuse.

« C’était proche des artères », précise Philippe Desrosiers, le soigneur des Foreurs qui lui avait prodigué les premiers soins avant de l’escorter à l’urgence.

Une fois le saignement stoppé et son état stabilisé, Gamache attend la visite du médecin. Il attend... Il attend...

Pendant ce temps, ses coéquipiers sont au coude à coude avec l’Océanic et échappent une avance d’un but en milieu de troisième période. Gamache en a assez.

« D'la mar**! Appelle et dis que je m’en viens! »

Desrosiers tente alors de freiner les ardeurs de Gamache.

« Calme-toi Simon, calme-toi... »

Rien à faire.

Une fois assuré par le médecin en service qu’il ne peut aggraver sa blessure, et ce même si elle n’a pas encore été convenablement soignée, Gamache est déjà sur le chemin du retour pour le Palais des sports.

« Du Simon Gamache tout craché! », jure Desrosiers.

Gamache regagne finalement le banc des siens à temps pour la première présence de son trio en prolongation.

« C’était l’enfer! Je dois avoir eu trois échappées sur le même shift », calcule-t-il. « Mais je n’étais pas capable de serrer la main, de lancer dans les airs tellement c’était enflé. Je n’ai juste pas été capable de finir. »

Ce soir-là, celui qui allait conclure l’année au troisième rang des meilleurs pointeurs du circuit grâce à sa récolte de 143 points, arrive à court. Les Foreurs se contentent d’un match nul de 5-5.

« Finir dans les premiers marqueurs, ce n’est pas mieux quand l’équipe ne gagne pas. C’était comme si je n’étais pas capable de faire gagner l’équipe. »

Ç’allait changer.

La saison d’une vie

Repêché entre-temps par les Thrashers d’Atlanta au neuvième tour, Gamache rapplique à Val-d’Or en septembre 2000 avec une seule idée en tête.

« Cette année, je vais être le meilleur, mais je vais faire gagner l’équipe, je vais tout faire pour. »

Mais ce n’est pas si simple, car aussi productif soit-il, Gamache ne peut tout faire seul. C’est ce que s’efforce de lui faire réaliser l’entraîneur-chef recrue Claude Bouchard à son arrivée.

Claude Bouchard (à droite) en compagnie de son adjoint Dominic Ricard.« Au début, il y a eu certaines mises au point à faire avec lui parce que l’année précédente, le spotlight avait été mis sur ses points. Là, le spotlight allait être mis sur l’équipe. »

Les Foreurs, ce n’est alors pas que Simon Gamache. C’est aussi Brandon Reid – un marqueur de 124 points acquis dans la transaction de Dusablon –, Stéphane Veilleux, Éric Fortier, Sénèque Hyacinthe...  

« C’était un joueur des Foreurs comme les autres, mais on savait que les points qu’il allait faire aideraient l’équipe à gagner », ajoute Bouchard. « Ce n’était pas qu’on ne voulait pas qu’il fasse des points, on voulait juste qu’il s’y prenne autrement. Il y avait des consignes à respecter. »

Après quelques réunions, Gamache finit par rentrer dans les rangs. Mais de là à renoncer à être le meilleur? Pas question.

« La priorité, il faut toujours que ce soit de gagner, mais oui, c’est sûr que tu penses à toi, nuance-t-il. Voyons donc! Ce serait mentir [de dire] ne pas vouloir performer individuellement. C’est un tout, ça. Si t’es le meilleur, tu rends ton équipe meilleure. »

Ambitieux, il se fixe donc l’objectif suivant.

« Je partais l’année avec Brandon [Reid], alors je me disais "En autant qu’on finit premier et deuxième meilleurs marqueurs". Mais c’était sûr dans ma tête que ça n’allait pas être en bas de 143 points. J’étais tellement pompé, tellement crinqué, tellement préparé depuis longtemps... »

Gamache ne tarde pas à tenir les marqueurs officiels de la ligue occupés. À l’instar de Reid, Veilleux et Fortier, qui allaient tous franchir le plateau des 100 points, Gamache enrichit sa fiche à un rythme effréné, en route vers une récolte totale de 184 points (74 buts et 110 passes).

L’équipe gagne. Enfin.

Soudainement, avec une attaque aussi dévastatrice, plus aucun déficit n’est insurmontable pour les Foreurs. Pas même un recul de quatre buts avec seulement deux minutes à faire à un match... C’est l’exploit que réalise la troupe de Claude Bouchard un soir de décembre face aux Huskies de Rouyn-Noranda, avant de s’imposer 7-6 en prolongation.

« Ç’a été ça toute l’année », peine encore à croire Bouchard. « On perdait par 3 ou 4 buts, mais on trouvait le moyen de gagner. [...] Le nombre de buts qu’on a marqués collectivement, c’était terrible! »

« Ç’a parti là, contre Rouyn », cerne quant à lui Gamache, qui se plaît encore à visionner à l’occasion la vidéo de cette improbable remontée.

Forts de cette confiance inébranlable, les Foreurs amorcent les éliminatoires en tant que deuxième tête de série, derrière les Cataractes de Shawinigan et devant les Tigres de Victoriaville.

La première ronde, contre les Castors de Sherbrooke, n’est qu’une formalité. Au deuxième tour, les Foreurs renversent les Tigres en sept matchs, comme l’avait promis Gamache. Puis, la finale avant la finale. Val-d’Or élimine Shawinigan en six rencontres. La table est mise pour le duel ultime face au Titan d’Acadie-Bathurst.

Au moment d’amorcer cette finale qui s’annonce expéditive, Gamache a 43 points au compteur depuis le début des séries. Il ne lui en manque que 10 pour surpasser la récolte record de la légende, Mario Lemieux, en un parcours éliminatoire.

« Je n’ai pas fait durer le suspense longtemps. »

Gamache rejoint Lemieux et est ovationné

Dès le premier duel, il s’approche à cinq longueurs de la marque de l’ancien des Voisins de Laval. Le lendemain, lors de ce qui allait devenir son dernier match sur la patinoire des Foreurs, Gamache survolte la foule. Trois buts, deux passes. L’ovation s’ensuit. Après la rencontre, c’est au tour de ses coéquipiers de lui rendre hommage, alors qu’il a droit à une haie d’honneur.

« C’était pour le show », signale Gamache, dont le record de 57 points tient toujours 16 ans plus tard. « On le savait qu’on s’en allait vers la victoire. Ce n’était pas de l’arrogance, c’était la confiance acquise en tant qu’équipe qu’on était imbattable. Bathurst n’avait aucune chance, aucune chance. »

Vrai. Les Foreurs ne s’éternisent pas au Nouveau-Brunswick et complètent le balayage de la série finale avant de mettre le cap sur la Saskatchewan pour la Coupe Memorial.

À Regina, les « Cardiacs Kids », comme on les avait surnommés là-bas, restent fidèles à leur style. Des buts, des remontées... et des victoires, si bien qu’ils atteignent la finale du tournoi face aux Rebels de Red Deer.

Accusant un déficit de deux buts après 20 minutes de jeu, les Foreurs marquent cinq fois en deuxième période et s’accrochent à une avance de 5-3 lorsque, avec moins d’une seconde à écouler à l’engagement, les Rebels réduisent l’écart de moitié. Puis, dès la première minute de jeu en troisième, ils créent l’égalité.

Tout allait se décider en prolongation.

Gamache et son compagnon de trio régulier, Stéphane Veilleux, sont alors réunis à Brandon Reid sur une même unité par l’entraîneur-chef Claude Bouchard. On tente le tout pour le tout.

La prolongation est vieille d’une dizaine de minutes lorsque Gamache, déterminé à en finir, s’adresse au banc à ses deux partenaires.

« Je dis à Brandon et Steph : "Là, on va en mettre un dedans. On finit ça là". On était les prochains à embarquer. Je te le dis, c’était fini, fini, fini. C’était fini, on scorait, c’était sûr, sûr, sûr... »

Le genre de paroles auxquelles Veilleux, un ami et coéquipier de Gamache depuis les rangs atomes, était habituées.

Simon Gamache.« Quand c’était le temps de tourner la machine de côté, d’aller chercher un but, il n’y avait pas de niaisage avec Simon », confirme Veilleux. « Tu savais que sur le prochain shift, on allait donner tout ce qu’on avait. »

Gamache, Reid et Veilleux n’ont jamais cette opportunité.

Alors qu’ils attendent leur tour au banc, le tir du défenseur des Rebels Doug Lynch ricoche dans l’enclave sur le bâton de l’attaquant des Foreurs Jérôme Bergeron et déjoue le gardien Maxime Daigneault.

« On l’a échappé. Notre style nous a peut-être coûté la coupe Memorial finalement », s’interroge Gamache. « Je me dis que c’est ce que le Bon Dieu voulait, même si je n’aime pas dire ça... »

Un but, c’est tout ce qui a manqué aux Foreurs. Si Gamache, auteur de 100 buts et 248 points au total cette année-là, ne peut s’empêcher d’y songer à l’occasion, c’est néanmoins avec l’âme en paix que le retraité de 36 ans porte un regard sur la saison de sa vie.

« On était 25 gars, on voulait tous gagner et on a mis nos petits différends de côté. Ç’a été une année spéciale, et oui j’ai établi un record, mais avant tout on a gagné. S’ils retiraient mon chandail, mais que nous n’avions pas gagné, j’aurais un peu la tête entre les deux jambes. »

Samedi soir, c’est plutôt la tête bien haute qu’il regardera son no 22 monter dans les hauteurs du Centre Air Creebec.

« Ça cloue ma carrière »