MONTRÉAL – Le téléphone a sonné trois fois, mais Miguel Tourigny ne l’a jamais entendu. Ce n’est qu’après avoir sorti son kayak de l’eau qu’il a compris qu’on avait tenté de le joindre. Louis Robitaille? Que pouvait bien lui vouloir l’entraîneur des Olympiques de Gatineau au beau milieu du mois de juillet?

La réponse s’est avérée le moment fort des vacances familiales. « Mon père a eu une couple de larmes, ma mère a eu une couple de larmes. J’étais vraiment content », dit le jeune homme de 19 ans en racontant la scène.

Jamais considéré auparavant par Hockey Canada – ni pour le Défi mondial des moins de 17 ans, ni pour la Coupe Hlinka-Gretzky, ni pour le Mondial des moins de 18 ans – le petit défenseur a appris qu’il était invité au camp de développement estival du prestigieux programme des moins de 20 ans. Sans qu’il ne l’ait vu venir, il était maintenant considéré comme un candidat pour représenter son pays à la traditionnelle grande messe du temps des Fêtes.

C’est comme ça, en tout cas, qu’il a interprété ce coup de fil et tout ce qui en a découlé. Miguel Tourigny n’a jamais eu l’intention d’aller à Calgary pour « vivre l’expérience », prendre des photos et partager la glace avec des joueurs qu’il pourra un jour se vanter d’avoir côtoyé.

« Mon état d’esprit, ce n’est pas d’espérer quoique ce soit, c’est de faire l’équipe. J’ai confiance en mes moyens. C’est sûr que oui, je suis un peu le négligé. Mais ils ont invité 14 défenseurs et rendu là, je pense que tout le monde a une chance de faire l’équipe. C’est pas le rang où tu as été repêché qui est important. C’est de savoir qui va aider l’équipe à gagner la médaille d’or au final. »

Tourigny a toutefois beaucoup de travail à faire et sans doute une armée de sceptiques à confondre avant de chanter l’hymne national, bras dessus bras dessous, sur la ligne bleue du Rogers Place d’Edmonton en janvier prochain. Le rang de sélection au repêchage n’offre aucune garantie, c’est vrai, mais il demeure une bonne indication du talent brut auquel on a affaire dans un groupe donné.

Parmi les défenseurs évalués par Hockey Canada au cours de la dernière semaine, on recense un vétéran de l’édition qui a remporté l’argent en 2021 (Kaiden Guhle) et trois autres (Lukas Cormier, Ryan O’Rourke et Donovan Sebrango) qui ont été parmi les derniers joueurs retranchés il y a un an. On retrouve aussi cinq espoirs appelés dans les 55 premiers au plus récent encan de la LNH.

Et on n’a toujours pas parlé d’Owen Power, le jeune prodige des Sabres de Buffalo, ni de Jamie Drysdale, qui a déjà 38 matchs d’expérience au niveau professionnel. Ces deux-là ont laissé leur place à d’autres en quête de visibilité cet été. Leur place au sein d’ÉCJ, si leurs équipes respectives les libèrent pour l’occasion, est assurée.

Au sein de ce groupe de surdoués, le profil de Tourigny détonne. À 5 pieds 8 pouces et 165 livres, le natif de Victoriaville n’est pas un spécimen physique. Et à 19 ans, il a déjà été ignoré deux fois par les équipes de la LNH.

Mais du talent, il en a à revendre. Il a été le troisième meilleur buteur (15) et le cinquième meilleur pointeur (36) parmi les défenseurs de la LHJMQ la saison dernière. Dans son évaluation des meilleurs espoirs admissibles au dernier repêchage de la LNH, le journaliste Corey Pronman, du site The Athletic, classait Tourigny comme le septième meilleur patineur et le neuvième joueur le plus intelligent de toute la cuvée.

« C’est sûr qu’au début, j’étais... peut-être pas intimidé, mais impressionné de jouer avec ces gars qui sont des choix de première ronde, de deuxième ronde, tu sais? Mais après, je me suis ressaisi. Je me suis dit : "Je suis là moi aussi, ça fait que je peux faire partie de cette équipe-là". J’ai juste profité du moment. J’ai donné mon 100% et je vis au jour le jour. »

« Je me dis que s’ils m’ont invité, ce n’est sûrement pas parce qu’ils étaient obligés de le faire. C’est sûr qu’ils m’ont regardé. J’ai fait des bonnes choses, j’en ai fait des moins bonnes. C’est un jeu d’erreurs. Mais je pense que j’ai fait plusieurs bonnes choses et j’espère que oui, j’ai laissé la bonne marque de Miguel Tourigny sur le papier. »

Impressionner les Ducks

Des nuages gris ont temporairement couvert l’été ensoleillé de Miguel Tourigny. Quelques jours après avoir reçu l’appel de Hockey Canada, il a suivi attentivement le déroulement de la deuxième journée du repêchage de la LNH. Il était confiant que son rendement en cette saison pandémique convainque une équipe de lui donner une chance. Son nom n’est jamais apparu à l’écran.

« [L’an dernier], j’avais des attentes élevées. Je crois que c’est normal. C’est ta première année de repêchage, tout le monde veut sortir là. J’avais invité vraiment beaucoup de membres de ma famille. J’ai vécu une déception personnelle, mais aussi envers eux. Alors cette année, je n’avais dit à personne que je redescendais dans mon coin pour regarder ça avec ma famille. Ça a été une déception, mais moins grosse que l’année passée. »

La pilule a été plus facile à avaler puisque le téléphone s’est immédiatement remis à sonner. Au total, son agent a reçu des nouvelles de 16 équipes qui désiraient l’inviter à leur camp d’entraînement. Dans les heures qui ont suivi le repêchage, une information a circulé à l’effet que Tourigny avait accepté l’offre du Canadien. Il n’en était rien. C’est aux Ducks d’Anaheim, dont le club-école est désormais dirigé par Joël Bouchard, que le représentant de l’Armada de Blainville-Boisbriand a confirmé sa présence.

« [Joël] m’a appelé, il m’a envoyé une couple de textos. Oui, ça a peut-être fait pencher un peu la balance vers les Ducks, mais au final c’était ma décision. J’ai regardé mes options à Anaheim et j’ai jugé que c’est là qu’il pourrait y avoir une ouverture. Je veux signer [un contrat], je veux rester dans cette organisation et juste continuer de grandir là-dedans, prouver au monde que j’ai ma place au prochain niveau. »