Il y a de ces moments assommoirs parfois dans une existence. Tout va bien, on connaît du succès et l’avenir est jonché de projets emballants quand soudainement, sans crier gare, la vie se charge de nous rappeler que le paradis, c’est rarement sur terre qu’il se trouve. Les pièges qui nous guettent sur la route ne peuvent pas toujours être évités. À vélo, notamment.

Charles Albert, homme d’affaires et généreux mécène de Rimouski, semblait né pour faire le bien. Généreux à souhait, il en a dépanné du monde. Il a aidé des entreprises à prendre leur envol ; il a donné des coups de pouce qui ont permis à des jeunes de se lancer en affaires. Il a appuyé financièrement nombre d’oeuvres caritatives. Le tout Rimouski connaissait sa légendaire générosité, mais quand il est décédé tragiquement, des gens sont venus raconter quelques-unes de ses actions dont il n’avait jamais parlées.

Charles Albert allait devenir officiellement le beau-père de Joël Bouchard, président, directeur général et entraîneur-chef de l’Armada de Blainville-Boisbriand, quand ce sportif, amant du vélo, a effectué une mauvaise chute sur une piste cyclable à deux jours de donner la main de sa fille Frédérique à Bouchard. On présume qu’il a eu un moment d’inattention car il était prudent en roulant modérément sur de mauvais genoux. Son vélo a touché une bordure de stationnement et il a chuté tête première dans le gazon. C’était une simple balade pour le plaisir, une façon de se détendre avant le jour J, pendant que sa femme et sa fille veillaient aux derniers préparatifs du mariage.

La chute a été brutale. Bilan : trois vertèbres cervicales fracturées, dont l’une avec des lésions majeures qui ont atteint la moelle épinière. Il a sombré dans un coma dont il n’est jamais sorti. Le jour du mariage, sans signes vitaux apparents, on s’est résigné à le débrancher de l’appareil qui le tenait en vie artificiellement. Les médecins ont été catégoriques, il n’y avait plus rien à faire.

« Les derniers mois ont été pas mal rock’n roll, admet Bouchard. Sur le coup, l’adrénaline et un certain instinct de survie nous ont permis de traverser cette épreuve épouvantable. Il y a eu des moments difficiles, mais la vie reprend graduellement son cours. Charles était un homme que j’aimais beaucoup. Nous avions des conversations très ouvertes sur nos réalités respectives qui étaient pourtant très différentes. La saison de hockey commence et il me manque beaucoup car il avait l’habitude de venir jaser avec le personnel d’entraîneurs et d’assister à quelques parties. Je commençais à peine à me remettre des tristes évènements, mais la réalité est en train de me rattraper. »

Le mariage n’a pas eu lieu, évidemment. Frédérique et Joël sont ensemble depuis quatre ans. Aucune autre date n’a été fixée pour la cérémonie. Les deux familles sont toujours occupées à refouler leur chagrin.

« Nous avons encaissé un choc plus grand que nature, affirme le premier dirigeant de l’Armada qui aspire à de grands honneurs dans la LHJMQ cette saison. On parle brièvement de mariage à l’occasion, mais on sait où on se situe, elle et moi. Pour l’instant, on essaie de prendre soin de tout le monde. »

Bouchard, qui s’est toujours exprimé avec aisance, a probablement trouvé des mots de réconfort appropriés en pareille circonstance. Après tout, il a l’habitude des coups durs. Des obstacles majeurs se sont dressés sur sa route dans le passé. Un choix de repêchage des Flames de Calgary, il lui a fallu puiser au fond de lui-même pour éviter que de graves ennuis de santé l’obligent à rentrer à la maison avant l’heure. En 2000, après avoir été acquis par les Stars de Dallas à la date limite des transactions, il a été frappé d’une méningite qui est passée à un cheveu de le tuer. Quand ses parents ont répondu à la directive des médecins de s’amener à son chevet, on a cru sa dernière heure venue.

Il s’en est remis suffisamment pour porter les couleurs de cinq autres formations : Phoenix, New Jersey, les Rangers, Pittsburgh et les Islanders, non sans avoir soigné en cours de route une tumeur aux glandes salivaires.

Ça forge un caractère des épreuves comme celles-là. Ces douloureuses expériences l’ont probablement aidé à apporter du soutien aux proches qui gravitaient autour de lui après le décès de Charles Albert qui, en les quittant si abruptement, a privé Frédérique et lui du moment le plus heureux de leur vie à deux.

Le mariage aura lieu un jour et l’esprit du disparu y sera très présent, ils en sont convaincus.

« Des gens sont venus nous raconter ce que Charles a fait pour eux, des gestes de pure bonté qui n’ont jamais été rendus publics. Cet homme-là était vraiment spécial. Il a appuyé beaucoup de causes, mais il en a fait encore davantage secrètement », précise Bouchard.

Pour lui, malgré le vide profondément ressenti, la vie continue.