PALM BEACH - Dans une petite salle d’entrevue à quelques pas de la patinoire du T-Mobile Arena, Gary Bettman salue l’entrée en scène de la 31e équipe de la LNH qu’il dirige depuis 25 ans.

 

Il y a une heure, le commissaire défilait sur un tapis doré et sous un soleil de plomb signant des autographes et multipliant des « selfies » avec des fans de hockey déjà conquis qui formaient une haie d’honneur pour accueillir les membres de la première équipe d’un sport majeur à s’établir dans la ville de tous les vices.

 

Dans moins d’une heure, les Golden Knights disputeront leur premier match officiel contre leurs plus proches voisins et rivaux: les Coyotes de l’Arizona.

 

Une fois le point de presse terminé, je m’approche du commissaire et lui demande: lorsque vous avez pris la direction de la LNH il y a 25 ans est-ce que la possibilité d’assister à un duel opposant un club qui a pignon sur rue dans le désert du Nevada et un autre qui s’est établi dans le désert de l’Arizona meublait vos rêves les plus fous?

 

Debout, les mains appuyées sur la table devant lui, Bettman laisse sa tête gîter sur la gauche comme il le fait souvent lorsqu’il s’accorde quelques secondes de réflexion et me lance : « Quand j’ai accepté ce poste, je suis arrivé en me disant que tout était possible. Que le hockey et la LNH devaient attirer de nouveaux amateurs et prendre les moyens nécessaires pour les rejoindre. Le match de ce soir prouve que nous avions non seulement le droit de voir loin et de repousser les limites, mais que nous avions raison de le faire. »

 

Couronné par une victoire de 5-2, ce match entre les Golden Knights et les Coyotes illustre à merveille les 25 premières années – il est entré en poste le 1er février 1993 – du règne de Gary Bettman.

 

Dire que la LNH a changé au cours du dernier quart de siècle est un euphémisme.

 

Depuis qu’il a remis la coupe Stanley dans les mains de Guy Carbonneau en 1993, le Saint Graal n’a plus jamais défilé dans les rues de Montréal. Et il faudra un miracle pour qu’il y revienne cette année.

 

La coupe Stanley a plutôt fait deux escales à Denver où les Nordiques de Québec sont devenus l’Avalanche du Colorado. Elle a scintillé trois fois sous le soleil radieux de la Californie; trois fois sur la rive ouest du fleuve Hudson dans les marécages du New Jersey plutôt qu’à l’ombre des gratte-ciels de Manhattan où les Rangers ont pavané une seule fois en 1994; trois fois à Pittsburgh; en Caroline où le Nascar, le Football, le Basket et le golf sont bien plus populaires que le hockey et même en Floride; au pays des Cowboys à Dallas.

 

À Chicago, Boston et Detroit, Blackhawks, Bruins et Red Wings ont, à l’image des Rangers, sauvé l’honneur des équipes originales, mais dans la LNH d’aujourd’hui les clubs favoris n’évoluent plus seulement dans des marchés traditionnels. Ils évoluent surtout à Nashville, Los Angeles, Tampa où le hockey a poussé. D’abord comme une mauvaise herbe, avant d’être adoptée et cultivée.

 

La parité rend difficiles, voire périlleuses, les prédictions visant à établir un état des forces qui respectera une certaine logique à défaut d’une logique certaine. Bien que moussée par un système de points qui récompense les défaites et une loterie qui ne garantit plus à la pire équipe de la Ligue le privilège de sélectionner le tout premier choix au repêchage, cette parité permet à une majorité de clubs d’être dans la course aux séries année après année, ou du moins à prétendre qu’ils y sont.

 

Cela contribue à mousser l’intérêt aux quatre coins de la ligue et de la maintenir le plus longtemps possible au cours de la longue saison.

 

Le bien de la LNH avant tout

 

Aux yeux de Geoff Molson, propriétaire du Canadien de Montréal, cette parité et les effets bénéfiques qui en découlent sont le principal leg de Gary Bettman. Et elle est le fruit de la philosophie qui l’anime au quotidien.

 

« Gary pense d’abord et avant tout à la Ligue. À ce qui est bon pour la ligue. Ses décisions et les plans qu’il propose aux propriétaires sont toujours en fonction de ça. Il n’y a pas de petites, de moyennes ou de grandes organisations aux yeux de Gary. Il y a une ligue », lance M. Molson que j’ai croisé au Centre Bell, mardi, avant le match opposant le Canadien aux Blues de St. Louis.

 

Avec les autres membres du comité exécutif de la LNH, M. Molson a passé l’avant-midi de jeudi en conclave afin de faire le point sur les dossiers chauds de la LNH. En après-midi jeudi et vendredi, les propriétaires des autres formations seront mis au parfum des réalités actuelles du circuit et des options qui se présentent afin de maintenir la progression d’une ligue qui fait des affaires d’or si l’on se fie aux derniers relevés colligés par la revue Forbes.

 

Parce qu’il fait passer le bien des 31 équipes qui l’emploient parfois au détriment de quelques formations, Gary Bettman froisse parfois ses propriétaires. Mais il sait les ramener dans les rangs.

 

« Comme propriétaire du Canadien de Montréal, certaines décisions me plaisent moins ou pas du tout parce qu’elles n’avantagent pas mon équipe. Ce n’est pas facile d’accepter d’augmenter le partage des revenus par exemple. Mais quand je regarde les résultats globaux pour la Ligue, je dois admettre que Gary avait raison. C’est un gars réfléchi, persuasif, qui va prendre tout le temps nécessaire pour mener à bien le dossier qu’il croit être le meilleur pour la Ligue. Même si ce dossier est impopulaire. Surtout si ce dossier est impopulaire », ajoute même Geoff Molson en esquissant un petit sourire.

 

Quand je demande au proprio du Canadien de me donner un exemple des méthodes persuasives du commissaire, il hésite un instant. « Je ne veux pas te donner d’exemple concret parce que ça entrerait trop dans les opérations internes de la Ligue, mais je te dirai simplement qu’il fait le travail. Qu’il fait du bon travail. »

 

Critiques et controverse

 

S’il est clair que les succès multipliés par Bettman au cours des 25 dernières années confirment sa qualité de « faire et de bien faire le travail », comme l’a dit Geoff Molson, la controverse associée aux trois conflits l’opposant aux joueurs, dont l’un qui a forcé l’annulation de la saison 2004-2005, la relocalisation des Nordiques de Québec et des Jets de Winnipeg, le deuxième échec vécu à Atlanta et les difficultés qui semblent miner les clubs en Arizona, en Caroline, en Floride et même entre Long Island et Brooklyn où les Islanders font la navette en attendant d’être fixés sur leur prochain domicile fixe ont aussi marqué le règne de Gary Bettman. Et le marque encore.

 

Vrai que les Jets sont revenus à Winnipeg.

 

Mais pendant que Québec va de déception en déception en attendant le retour des Nordiques, une ville comme Las Vegas a obtenu un club et voilà que Houston et Seattle confirment qu’elles feront une lutte acharnée à Québec pour obtenir la prochaine formation.

 

Ce qui n’est pas sans froisser les amateurs de hockey de Québec et du Québec qui voient des gradins vides dans plusieurs amphithéâtres des États-Unis alors que ceux du Centre Vidéotron seraient pleins si les Nordiques revenaient chez eux.

 

Outre les marchés habituels de l’Arizona, de la Floride et de la Caroline qui donnent l’impression d’en arracher, la santé financière des Sénateurs d’Ottawa inquiète beaucoup autour de la LNH.

 

Les conversations de corridor soutiennent que le propriétaire actuel peine à payer ses factures et ses salaires au point où la LNH lui offre un secours direct. La grande question n’est plus de savoir si Eugene Melnyk a encore les moyens d’être proprio des Sénateurs, mais plutôt quand il les vendra. Et à qui?

 

Revenus de 5 milliards, plafond à 80 millions $

 

Quand on laisse de côté les émotions et le cafard associé à l’absence de hockey de la LNH à Québec depuis 1995, on doit admettre que la croissance économique du circuit depuis que Gary Bettman l’a pris en mains permet au commissaire de surfer au-dessus des critiques et de la controverse.

 

Plus tôt cette semaine, Forbes indiquait que la valeur moyenne des 31 franchises s’élevait à 594 millions $ soit une hausse de 15 % sur la valeur de l’an dernier. Les 500 millions $ versés par les Golden Knights et les autres acquisitions massives – 2,2 milliards $ pour les Rockets de Houston dans la NBA – ont fait bondir la valeur des franchises dans tous les sports majeurs.

Il est donc facile de prétendre que le prochain chèque qui sera signé à titre de droit d’entrée flirtera avec les 600 millions $ (US).

 

Les revenus globaux de la LNH qui étaient de 400 millions $ à l’arrivée de Gary Bettman en 1993 pourraient fracasser la barre des 5 milliards $ cette année. Dans leurs relevés de cette année, les spécialistes de la revue Forbes ont établi que le rendement annuel des équipes de la LNH depuis l’expansion de 1967 s’élevait à 7,4 %. Ce rendement dépasse de beaucoup le rendement de 2,5 % (5,6 % si on ajoute les dividendes) des 500 compagnies les mieux cotées à la bourse qui sont regroupées par Stantard & Poor’s.

 

C’est pour cette raison que la LNH reçoit aujourd’hui des appels de riches hommes d’affaires intéressés à faire l’acquisition d’une franchise alors qu’ils devaient être courtisés il y a 15 ans à peine.

 

Conséquence de la fluctuation à la hausse des revenus de la LNH, le plafond dépassera sans doute les 80 millions $ l’an prochain. Soit le double de ce qu’il était (39 millions $) lorsque la LNH a imposé le principe du plafond après le conflit de 2004-2005.

 

Place dans l’histoire

 

Gary Bettman n’aime pas parler de son règne à la tête de la LNH. Lors du week-end d’intronisation au Temple de la renommée du hockey à Toronto, il y a un mois à peine, il a indiqué qu’il était encore trop tôt pour faire le point parce qu’il avait beaucoup de projets à réaliser à titre de commissaire.

 

L’instauration d’une Coupe du monde et le retour de la LNH aux Jeux olympiques en Chine en 2018 sont quelques-uns de ces projets.

 

Bettman aura 66 ans en juin prochain.

 

Si les propriétaires décident de prolonger son règne – ils seraient fous de ne pas le faire considérant les profits que génère leur « employé » – Bettman rejoindra bientôt Frank Calder, le premier président de la LNH qui l’a dirigée pendant 26 ans. Clarence Campbell détient toujours le règne le plus long avec ses 31 saisons passées à la tête du circuit.

 

David Stern, le commissaire de la NBA qui a aussi été le mentor de Garry Bettman lorsque ce dernier a gravi les échelons pour devenir le numéro 3 de la NBA à titre de chef des affaires juridiques, a passé 30 ans à la tête de son circuit. Comme Bettman, il dirigeait fermement sa ligue.

 

En fait de longévité, Bettman a déjà dépassé les anciens commissaires du base-ball majeur Bowie Kuhn (16 ans) et Bud Selig (23 ans) et il s’approche lentement de Pete Rozelle qui a géré la modernisation du football de la NFL pendant 29 ans.