TORONTO – À l’image de plusieurs des 38 gardiens qu’il rejoint au Temple de la renommée, Martin Brodeur a marqué l’histoire du hockey.

 

Dans une LNH beaucoup plus axée sur la vitesse et l’attaque qu’à ses grandes années avec les Devils du New Jersey, ses records personnels de 691 victoires dont 125 par jeux blancs seront très difficiles à rejoindre, voire à éclipser.

 

Roberto Luongo, qui est en fin de carrière, est le gardien encore actif le plus près de ces deux records établis par Martin Brodeur. Mais le nouvel intronisé jouit d’un coussin confortable de plus de 215 victoires et de près de 50 blanchissages devant son plus proche poursuivant encore actif.

 

Pas mal pour un gars qui n’a jamais vraiment cru en ses chances de franchir un jour les portes du Temple de la renommée. « Je ne me suis jamais cru si bon que ça. Je savais qu’on parlait de mes chances d’entrer ici, mais tant que tu ne reçois pas l’appel, tu ne sais jamais » a d’ailleurs lancé Brodeur en riant après avoir reçu sa bague confirmant son intronisation vendredi à Toronto.

 

Si Brodeur occupera encore très longtemps le trône réservé au gardien le plus décoré de victoires et de jeux blancs, il est bien plus confortable encore sur celui réservé au gardien le plus occupé de l’histoire. Ses 1266 matchs disputés en carrière – encore là, Luongo est le gardien actif qui s’approche le plus avec ses 1005 rencontres – et surtout ses 12 saisons de 70 matchs et plus – dont dix campagnes consécutives – représentent un défi que les gardiens d’aujourd’hui pourront relever dans leurs rêves les plus fous seulement.

 

« Le hockey a beaucoup changé. Les gardiens d’aujourd’hui sont beaucoup plus sollicités que nous l’étions durant ma carrière. Le jeu est plus offensif. Les gardiens sont plus souvent frappés et dérangés et les défensives sont moins solides que celle qui me protégeait au New Jersey. J’ai connu bien des parties de 15-16 tirs contre moi. Je me souviens même d’un match face aux Maple Leafs au cours duquel j’ai reçu six tirs. Même si on avait joué dès le lendemain soir, j’aurais encore été frais et dispo. Dans le fond, si Scott Stevens qui jouait du hockey beaucoup intense et physique que je le faisais pouvait disputer 82 matchs, je pouvais bien en jouer 70 et plus par saison. »

 

«J’ai joué à ma façon»

 

En plus de marquer l’histoire du hockey avec ses performances, Martin Brodeur l’a aussi marqué par sa façon de jouer.

 

Comme Jacques Plante qui a été le premier gardien à porter un masque lors d’un match, comme ses grands rivaux Patrick Roy et Dominik Hasek qui ont développé le style papillon et le style « 9-1-1 » pour multiplier les arrêts et assurer leur place au Temple de la renommée, Brodeur avait une façon bien à lui d’affronter ses adversaires : que ce soit en restant debout plus que Roy, Hasek et les gardiens de son époque, en superposant ses deux jambières lors de ses glissades sur la gauche et la droite, en se servant de son bâton pour harponner la rondelle quand ses adversaires tentaient de le déjouer, Brodeur était un artiste accompli. Un autodidacte qui a toujours su s’adapter.

 

« Tout ça a commencé dans le hockey mineur avec mon premier coach des gardiens : Mario Baril. Il m’a toujours enseigné à être ma propre personne devant le filet. À développer mes qualités. Dans la Ligue nationale, Jacques Caron, qui a été un deuxième père pour moi, m’a toujours guidé de la même façon. Il me comprenait. Il savait comment me motiver et comment me ramener aux choses de base quand je m’éloignais de mon style. Je ne suis jamais resté insensible aux manières de jouer de Patrick (Roy) ou de Dom (Dominik Hasek). J’ai toujours regardé aller tous les autres gardiens et j’ai tenté d’imiter bien des facettes du jeu de tous ces gardiens en me disant que si ça marchait pour eux, ça pourrait marcher pour moi. Mais à force d’essayer, je me suis très souvent rendu compte qu’il valait mieux revenir à mon style. J’ai gardé des choses des autres, mais j’en ai aussi beaucoup laissé passer. Je trouve que cela a fonctionné assez bien », a raconté Brodeur en riant.

 

« J’ai choisi les Devils et je suis toujours resté au New Jersey parce que les Devils m’avaient choisi aussi. J’avais une façon de jouer qui allait bien à l’équipe et l’équipe avait une façon de jouer qui m’allait bien aussi. Cette complicité a toujours été la force de notre organisation », d’ajouter le meilleur gardien de son époque et peut-être le meilleur de tous les temps.

 

Un gardien qui, contrairement à bien d’autres, était toujours d’humeur égale et surtout de très belle humeur, un gardien qui n’avait pas à s’isoler dans une bulle les matins des parties prétextant que l’attention des amateurs ou des journalistes pouvait miner ses chances de bien garder les buts le soir.

 

« Je ne me suis jamais vraiment pris au sérieux. J’ai surtout toujours voulu avoir du plaisir. Mon père qui a toujours eu une grande influence sur moi, me disait à quel point il était important de respecter les amateurs et les médias. Il me disait d’imiter Jean Béliveau. J’ai connu monsieur Béliveau et c’est impossible d’être une personne aussi parfaite que lui. J’ai toujours respecté les médias, mais en même temps j’ai toujours dû aussi respecter mes coéquipiers qui eux voulaient peut-être être plus tranquilles dans le vestiaire. Cela dit, si tu dois te préoccuper des questions qu’on te pose et des réponses que tu donnes à 11 h 30 le matin le jour d’un match, tu n’as pas choisi la bonne job », a plaidé Brodeur qui entrait dans sa bulle réservée au gardien durant l’interprétation des hymnes nationaux et pas avant.

 

Meilleur gardien offensif de l’histoire

 

Maître dans l’art des arrêts, Martin Brodeur l’était aussi dans celui de manier la rondelle.

 

Brodeur a marqué sa carrière avec des milliers de premières passes plus vives et plus précises que celles tentées par bon nombre de défenseurs évoluant avec et contre lui dans la LNH. Il est aussi le seul gardien de l’histoire à non seulement avoir marqué trois buts en carrière – dont un en séries éliminatoires –, mais à compter à sa fiche un but gagnant.

 

Trois ans après sa retraite, Brodeur a encore de bonnes mains. Il l’a prouvé vendredi alors que lui et Martin St-Louis, ont été les seuls à conserver sur la lame du bâton qu’ils tenaient en mains, la rondelle qu’ils venaient de tirer en l’air dans le cadre d’une des photos officielles prises par les dirigeants du Temple de la renommée.

 

Le commissaire Gary Bettman, qui se tenait à la droite de Brodeur sur la photo, a bien tenté de harponner la rondelle que Brodeur venait de récupérer pour la faire tomber, mais il en a été incapable.

 

Il faut dire que Brodeur était aidé par le fait qu’il tenait un bâton de gardien avec une lame bien plus large. Mais cet avantage représentait un désavantage sur la patinoire alors que Brodeur endossait l’uniforme des Devils. Un désavantage qu’il a toujours surmonté au cours de sa carrière.

 

« J’ai toujours joué au hockey. Et pas seulement comme gardien. Dès les rangs Bantam, je tirais sans cesse des rondelles orange en plastique dans l’entrée de la maison. Je n’atteignais pas toujours la cible et mon père était fâché de temps en temps quand je frappais la porte du garage, mais c’est comme ça que j’ai développé le maniement de la rondelle. Dans la Ligue nationale, Ron Hextall était un des meilleurs et je me suis inspiré de lui. Je passais beaucoup de temps sur la glace pour pratiquer mes passes. Je me plaçais entre les cercles des mises en jeu et je visais les poteaux de mon but en jouant avec l’angle du bâton et le transfert de mon poids pour mettre plus de force ou être plus précis. »

 

Et Brodeur faisait tout ça en écrasant sa mitaine sur le manche de son bâton alors que les jeunes gardiens d’aujourd’hui renversent leur mitaine pour avoir une meilleure prise.

 

« Je ne sais pas comment ils font pour y arriver aujourd’hui. Tout ce que je sais, c’est que ma manière était meilleure pour moi en tout cas. »

 

Souvenirs et déceptions

 

Martin Brodeur arrive au Temple de la renommée porté par des tas de souvenirs heureux :

 

Ses duels épiques contre Dominik Hasek – le « Dominator » a confirmé sa présence au party d’intronisation de lundi soir – et Patrick Roy – sans être de bons amis, les deux gardiens affichent un respect mutuel et se parlent chaque fois qu’ils se croisent – ses trois coupes Stanley, sa complicité avec Pat Burns qui l’a beaucoup aidé lors de la conquête de 2003 alors qu’il traversait des moments personnels difficiles en raison d’un divorce médiatisé et Jacques Lemaire, un grand apôtre du hockey défensif qui a aidé Brodeur au cours de sa carrière, sa complicité plus grande encore avec son ancien patron Lou Lamoriello, ses deux médailles d’or aux Jeux olympiques de Salt Lake City en 2002 – il était venu en relève à Curtis Joseph et n’a jamais perdu le but ensuite – et Vancouver en 2010, ses trophées personnels, ses records et surtout les grandes amitiés qu’il a développées et maintient encore aujourd’hui avec bon nombre de ses coéquipiers.

 

Mais Brodeur ne peut chasser quelques déceptions associées à sa carrière.

 

Tout en haut de la liste, ses deux défaites en finale de la coupe Stanley, dont celle aux mains de Patrick Roy et l’Avalanche du Colorado en 2000-2001. L’autre est survenue en 2012 contre les Kings de Los Angeles. Brodeur et les Devils avaient pris les devants 3-2 en grande finale avant que Roy ne signe un jeu blanc de 4-0 lors de la sixième rencontre et que l’Avalanche soulève la coupe au terme d’une victoire de 3-1 lors de la septième partie.

 

Pour une rare fois dans sa carrière, la seule peut-être, Brodeur s’était réfugié dans sa bulle avant la septième partie. On l’avait vu, seul assis dans les gradins derrière le banc des Devils, faisant de la visualisation avant la rencontre décisive.

 

« C’était un gros duel. Et c’est sûr qu’encore aujourd’hui je ne peux chasser cette défaite de mes souvenirs. Je ne perds pas de sommeil avec ça, mais quand tu es compétitif comme je le suis et comme tous les joueurs des Devils l’étaient autour de moi, c’est sûr que tu acceptes difficilement de perdre. Patrick était au sommet de sa forme, mais il y avait aussi Raymond Bourque qui motivait l’Avalanche sans oublier que Joe Sakic et le reste de l’équipe étaient très forts aussi. J’ai plus de souvenirs heureux, une chance », tranche Brodeur en riant.

 

Au chapitre des souvenirs heureux, trois matchs viennent rapidement en tête de Brodeur lorsqu’on lui demande de relever les matchs les plus marquants des 1266 qu’il a disputés en saison régulière et les 205 autres disputés en séries éliminatoires : son premier grand duel contre Dominik Hasek et deux matchs consécutifs contre Ed Belfour en les Stars en Dallas en finale de la coupe Stanley en 2000.

 

« On jouait contre les Sabres en première ronde des séries en 1994, ma première vraie saison dans la Ligue. Le sixième match s’est décidé en 4e prolongation et on l’a perdu 1-0. Bernie Nichols, qui jouait pour nous à l’époque, était venu dans la petite portion du vestiaire réservée aux gardiens à l’époque après la troisième période et après les première et deuxième prolongations. Il m’avait dit chaque fois : ne lâche pas. On est là. Si tu ne donnes pas de but, on va finir par gagner. Après la troisième prolongation, il est venu me voir pour me dire : Marty, tu vas maintenant être tout seul sur la glace, raconte Brodeur en riant. Je me rappelle que j’étais aussi épuisé que le reste de mes coéquipiers. Et c’est Dave Hannon, sur une passe de Jason Dawe, qui avait fini par marquer. »

 

Le gardien des Devils avait accordé ce but sur le 50e tir des Sabres alors que Dominik Hasek avait été parfait face aux 70 tirs des Devils.

 

« Je ne peux oublier non plus les matchs cinq et six de la finale de la coupe Stanley en 2000 contre Dallas. J’ai perdu 1-0 en 3e prolongation contre Ed Belfour lors du premier match et on jouait dès le lendemain soir et cette fois c’est moi qui ai gagné (2-1) en 2e prolongation. En raison du fait que les deux parties ont été si longues et aussi parce qu’on a soulevé la coupe Stanley après le deuxième, ces deux matchs demeurent mes meilleurs souvenirs en carrière. »

 

Une carrière bien remplie. Une carrière historique. Une carrière que Martin Brodeur a menée à sa façon. Une carrière brillante : à l’image du nouvel intronisé.