MONTRÉAL – On ne veut surtout pas lancer un débat sur les masques donc on vous parlera de ceux qui protègent les... gardiens de but. À vrai dire, ce sont également de véritables œuvres d’art. Quelques artistes québécois se démarquent dans ce domaine qui a tant évolué depuis les concepts classiques portés par Patrick Roy et Martin Brodeur dans les années 1990. 

Les sublimes créations préparées pour Andrei Vaslievskiy (une œuvre de Sylvie Marsolais et Alexandre Mathys de Sylabrush) et Marc-André Fleury (une œuvre de Stéphane Bergeron de Griff Airbrush) ont de quoi rendre jaloux Roy et Brodeur. 

Lorsque Stéphane Bergeron a commencé dans le milieu, en 1995, les œuvres d’aérographie (airbrush) étaient marginales. 

« C’était plus underground comme concept. C’était des gars de motos qui voulaient avoir des peintures. Il y a vraiment eu un boom, beaucoup d’artistes ont commencé à en faire », a convenu Bergeron qui travaille pour trois gardiens dans la LNH (Fleury, Matt Murray et Corey Crawford). 

L’explosion de cette discipline et son raffinement a mené à des résultats qui fascinent bien des partisans et même des personnes qui ne raffolent pas du tout du hockey. En ce qui concerne les enfants, le pouvoir d’attraction de l’équipement du gardien de but envers eux était déjà connu. En plus d’admirer les « grosses jambières », ils peuvent s'émerveiller plus que jamais devant les masques des Carey Price, Fleury, Vasilevskiy, Tuukka Rask et compagnie. 

Mais, de l’autre côté de la médaille, la compétition est plus vive qu'auparavant. Disons que ça joue du « bouclier » près du demi-cercle pour s’approprier des clients dans la LNH, la Ligue américaine de hockey, les circuits professionnels européens, le hockey junior et les équipes universitaires américaines.

« Il n’y a pas beaucoup de loyauté, je te dirais. Tu essaies de garder tes clients le plus possible, mais tu ne sais jamais, tu peux te le faire voler par un autre peintre. Il faut vraiment leur donner un bon service, le meilleur de nous-mêmes », a confié Mathys qui ne compte pas les heures sur les projets avec sa conjointe. 

« Entre les peintres du Québec, il y a un certain respect. On essaie de ne pas trop empiéter sur les autres. Ça peut quand même arriver lorsqu’un gardien veut vraiment travailler avec nous », a ajouté celui dont l’entreprise s’occupe de Vasilevskiy, Tristan Jarry, Anton Khudobin, Joonas Korpisalo, Craig Anderson et Samuel Montembault dans la LNH. 

Bergeron constate la même chose même s’il « ne court plus » après les gardiens du niveau junior dans le but que ses clients accèdent un jour à la LNH. 

« Ça change beaucoup d’une année à l’autre, je comprends ça. C’est une question de confiance entre le gardien et le peintre. Mais j’ai aussi des équipes comme l’Université du Colorado qui m’engage depuis plus de 10 ans pour les masques de ses trois gardiens », a noté celui qui effectue plusieurs commandes pour de jeunes gardiens amateurs. 

« J’ai même des clients de deuxième génération depuis quelques années. Pour moi, c’est de l’or en barre », a-t-il précisé au passage.  

Des souvenirs précieux avec Fleury, Vasilevskiy et Rask  

Heureusement, ils parviennent tout de même à tisser des liens précieux avec quelques cerbères. Dans le cas de Bergeron, l’association avec Fleury se démarque. Il était dans le milieu depuis quelques années seulement quand la relation a vu le jour. 

« Quand il est arrivé chez moi, je ne le connaissais pas. C’était sa première année junior et tu ne peux jamais te douter qu’il se rendra aussi loin. On se connaît beaucoup, je sais ce qu’il pense. La plupart du temps, je peux même prévoir les modifications qu’il voudra faire sur les croquis que je lui fais parvenir. Je connais vraiment ses goûts. Il est pointilleux, il doit être satisfait à 100%. Il va tout le temps ajouter sa petite touche personnelle pour que ce soit entièrement à son goût », a décrit Bergeron. 

Fleury multiplie les mauvais coups dans ses équipes, il est un véritable enfant dans l’âme. Pas étonnant qu’il s’enflamme quand il reçoit sa prochaine création. 

Le masque de Marc-André Fleury« Je le sens qu’il est vraiment content du résultat. Je me souviens très bien pour celui de la saison actuelle, celui qu’il porte présentement avec le metal flake gold. Quand je suis allé lui montrer un échantillon de cette peinture chez lui, sur la rive-sud, il était comme un petit gars de 10 ans. Il m’a dit quelque chose comme ‘Ayoye, ça va flasher, c’est ça que je veux’ », a témoigné Bergeron.

Une chance que ce masque n’a pas été « perdu » durant le transport comme celui de Corey Crawford pour un match extérieur au Soldier Field en 2014. 

Dans le cas de Sylabrush, des moments précieux sont survenus avec des créations de Vasilevskiy et Khudobin qui ont charmé le public. Ils ont été votés parmi les plus belles œuvres selon des sondages organisés par la LNH. 

« C’est sûr que chaque projet est important et plaisant. Il y a tout le temps un défi dans chaque masque. C’est certain que celui pour Tuukka Rask en vue de la Classique hivernale Boston contre Montréal avait une saveur particulière », a reconnu Sylvie Marsolais en faisant référence au design en l’honneur des Patriots de la Nouvelle-Angleterre. 

Tandis que le concept de Bergeron de jumeler deux masques en un a fait sensation, Marsolais et Mathys ont frappé fort avec une peinture qui change de couleur pour Vasilevskiy. En moyenne, la confection des masques s’étalent sur trois à quatre jours (une trentaine d’heures), mais ça inclut rarement l’élaboration du design. Certains projets exigent plus de patience comme ce fut le cas pour le masque de Michael McNiven (du Rocket de Laval) aux allures de tuque. 

Une pandémie après le cauchemar d’une inondation

Étant donné que les dépenses reliées à la peinture des masques sont assumées par les équipes, celles-ci préfèrent attendre la fin de la saison avant de procéder à de nouvelles commandes afin de limiter les risques. 

Mais que se passe-t-il dans un contexte inusité de pandémie ? Heureusement pour les artistes consultés, la pandémie n’a pas causé d’énormes torts. Marsolais et Mathys ont eu à composer avec quelques annulations de l’Europe, mais rien de trop drastique dans les circonstances et ils ont même pu réduire leur liste d’attente qui s’allongeait. 

Bergeron a ressenti une crainte au départ, mais il a été rassuré depuis. 

« C’est sûr que, durant la panique au mois de mars, j’ai eu des annulations et je me suis dit ‘Oups, peut-être qu’on va passer un printemps et un été assez rough’. Mais non, ça s’est replacé et j’ai même eu de nouveaux clients de ligue de garage, des personnes qui voulaient se gâter », a-t-il expliqué. 

Il s’agit d’une excellente nouvelle particulièrement pour Marsolais et Mathys qui ont eu à se relever des inondations du printemps 2019 à Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Ils ont choisi de lancer une campagne de sociofinancement pour repartir la machine au plus vite. 

« On a reçu beaucoup d’aide de notre famille, de nos amis et de cette campagne. C’est un mélange de tout ça qui nous a donné un gros coup de pouce pour se sortir de ce cauchemar. Ça nous a permis de rester en vie comme compagnie », ont-ils raconté conjointement. 

« On a démoli notre ancien atelier qui était notre garage et on en a bâti un autre. On a décidé d’y aller all in et de le refaire. Notre dossier n’est même pas encore réglé à 100%, mais juste à moitié. On ne pouvait pas attendre après le gouvernement », a précisé Mathys.