L’organisation du Canadien a joué un rôle déterminant dans la carrière de jeunes entraîneurs québécois qui, sans elle, n’auraient probablement pas obtenu l’indispensable première chance qui leur a permis de connaître le parcours de leur rêve.

Quand on porte un nom francophone et qu’on est méconnu des bonzes du hockey professionnel malgré de beaux succès dans les circuits mineurs, il y a peu de chance qu’on puisse capter leur attention. Qui oserait faire confiance à un entraîneur recrue sans expérience présentant ce genre de pedigree?

L’unique espoir des entraîneurs québécois était le Canadien. Longtemps la seule formation à occuper tout le territoire au Québec, le Canadien représentait le seul vrai tremplin pouvant leur permettre de caresser leurs ambitions. Force est de reconnaître que ces jeunes coachs ont réussi à faire leur marque une fois mis en lumière par le CH.

— Pat Burns a été intronisé au Panthéon après avoir dirigé trois formations originales, Montréal, Toronto et Boston, et une quatrième, les Devils du New Jersey, avec lesquels il a remporté la coupe Stanley. De surcroît gagnant de trois trophées Jack-Adams.

— Claude Julien a dirigé trois équipes lui aussi, a gagné un trophée Jack-Adams et la coupe à Boston. Il bénéficie actuellement d’un deuxième essai avec le Canadien.

— Michel Therrien a gagné sa vie au sein de deux organisations, dont deux fois avec le Canadien.

— Alain Vigneault vient d’être embauché par les Flyers de Philadelphie, ses quatrièmes employeurs dans la Ligue nationale. Il a été élu l’entraîneur de l’année, lui aussi.

— Mario Tremblay, promu en remplacement de Jacques Demers, est  l’unique membre du groupe à avoir écoulé toute sa carrière active dans le chandail tricolore.

— Finalement, Jean Perron n’aurait jamais gagné une coupe Stanley si Serge Savard ne lui avait pas fait confiance après la démission de Jacques Lemaire.

Pour la petite histoire, Vigneault et Julien sont les deux seuls entraîneurs francophones à s’être affrontés en finale de la coupe Stanley quand les Bruins de Julien ont triomphé des Canucks de Vancouver en 2011. Ils sont aujourd’hui les deux entraîneurs les mieux rémunérés de la ligue après Mike Babcock et Joel Quenneville. Pas mal sur le plan de la notoriété.

Tous ces entraîneurs ont été embauchés, puis remerciés par le Canadien. Ils ont tous encaissé très durement leur rejet par l’équipe de leur patelin, mais ils ont tôt fait de réaliser que la perte d’un emploi s’inscrit inévitablement dans le bilan de carrière d’un entraîneur.

Avec le temps, ils ont constaté que la route peut être fort intéressante une fois rendus dans la Ligue nationale. On en a une autre preuve en ce moment alors que Vigneault fera route avec Therrien derrière le banc des Flyers de Philadelphie. Les deux entraîneurs sans travail étaient un peu fatigués de passer leur temps libre sur des parcours de golf de la Floride. C’était quasi une certitude que Vigneault trouverait du travail. Dans le cas de Therrien, comme le téléphone ne sonnait plus, l’invitation de Vigneault s’est avérée providentielle. Cela nécessitera une grande adaptation de sa part puisqu’il n’a pas et n’a jamais eu une mentalité d’adjoint. Il est un coach dans l’âme.

L’un de ceux qui se réjouissent de la composition de ce duo est le président de l’Association des anciens Canadiens, Réjean Houle, qui a offert à ces deux entraîneurs leur toute première chance chez les pros.

Therrien venait de remporter la coupe Memorial avec les Prédateurs de Granby quand l’ex-directeur général lui a permis de diriger la filiale des Canadiens de Fredericton. Plus tard, c’est Vigneault qu’il a choisi pour remplacer Mario Tremblay à la tête du Canadien. Au cours des derniers jours, il leur a adressé tous les deux un mot de bonne chance dans leurs nouvelles fonctions.

Le choix de Vigneault pour diriger le Canadien avait donné lieu à une véritable chasse aux sorcières en mai 1997. Tous les médias avaient fouillé le Québec et la Ligue nationale de fond en comble pour tenter d’obtenir en exclusivité l’identité de l’élu de Houle. À 36 ans, ce choix en avait étonné plusieurs.

Houle affirme avoir rencontré quatre ou cinq candidats, mais personne n’était du calibre de Vigneault.

« Il démontrait une belle intelligence, rappelle-t-il. Je le trouvais posé. C’était un mordu de hockey. En jasant de stratégies avec lui, il ressentait tout de suite la nécessité de m’en dire davantage en se basant sur sa propre expérience. Pas de doute, c’était un gars allumé. La suite des choses a démontré qu’il avait beaucoup d’aplomb. »

On imagine assez facilement qu’ils n’ont pas mis de temps à s’entendre. Après quatre saisons passées chez les Sénateurs d’Ottawa dans un rôle d’adjoint, Vigneault était retourné à la base en dirigeant les Harfangs de Beauport, de la Ligue junior majeur du Québec, durant deux ans. Il aurait pu franchir l’autoroute 20 sur les coudes quand l’appel du Canadien est survenu.

« Je voyais qu’il n’était pas le genre d’entraîneur à péter un coche au lendemain d’une défaite, ajoute Houle qui a remporté lui-même cinq coupes Stanley. Nous avons eu une relation très franche pendant plus de trois ans. Notre dernière année avait été difficile parce qu’il y a eu des blessures et que nos gardiens n’avaient pas été à la hauteur. »

Vigneault et Therrien en mission

Vigneault et Therrien ont une ambition très claire depuis plusieurs années, celle de gagner la coupe Stanley. Ils en parlent si fréquemment qu’on a l’impression que leur carrière sera incomplète s’ils n’y arrivent pas. Après son premier congédiement par le Canadien, Therrien avait déclaré avec beaucoup d’assurance qu’il gagnerait la coupe un jour. Il le croit sans doute encore.

Ces deux hommes déterminés et tenaces sont en mission. Ils ne ressemblent en rien à Dave Hakstol et Scott Gordon, les deux derniers entraîneurs à les avoir précédés à Philadelphie. Ils possèdent ce que les deux autres n’avaient pas : une profonde expérience dans la Ligue nationale. Ne serait-il pas ironique si Vigneault et Therrien, qui ont appris une partie de leur métier à Montréal, unissaient leurs efforts pour devancer le Canadien au classement la saison prochaine?

« J’ai trouvé ça correct qu’Alain fasse appel à Michel, mentionne Houle. Quand tu hérites d’un poste d’entraîneur, tu dois avoir l’assurance que ton adjoint est 100 % derrière toi, dans le meilleur comme dans le pire. »

La ville de Philadelphie peut être très dure envers des équipes ou des hommes qui ne gagnent pas. Peut-être que Vigneault se sentira moins seul avec un ami de longue date à ses côtés si jamais les Flyers traversent une période de plusieurs défaites consécutives. Chose certaine, les joueurs des Flyers ne mettront pas de temps à réaliser que les nouveaux venus n’entendent pas à rire une fois leurs messages passés.

Avec le temps, il faut s’attendre à ce que le Canadien démontre encore des préjugés favorables à l’endroit des hommes de hockey du Québec. Les cas les plus récents sont ceux de Dominique Ducharme et de Joel Bouchard qui se retrouvent maintenant dans le giron de l’organisation. Leur tour viendra peut-être, qui sait?

« Le Canadien n’a pas embauché tous ces entraîneurs québécois uniquement parce qu’ils étaient des éléments francophones, conclut Houle. Ce ne sont pas des cadeaux qu’on leur a faits. Ils avaient tous des attributs pour connaître de belles carrières. Toutefois, une fois le pied dans la porte, c’était à eux de faire le reste. »

Ce qu’ils ont fait.

Alain Vigneault tenait à Michel Therrien