Quand Phillip Danault a indiqué, en conférence téléphonique mardi matin, que l’idée d’être confiné de deux à trois mois à Columbus, Toronto, Dallas, Tampa Bay ou ailleurs pour y terminer la saison régulière et disputer des séries éliminatoires ne faisait pas de sens à ses yeux, le centre du Canadien a mis le doigt sur un des gros problèmes qui attendent la LNH dans sa quête de revenir sur la patinoire.

 

L’accord des joueurs!

 

À moins que le Canadien profite d’un scénario associé à un tournoi à la ronde qui remplacerait les séries éliminatoires comme on les connaît pour se rendre jusqu’à la coupe Stanley, les chances que Danault soit séparé très longtemps de son épouse Marie-Pierre et de leur premier enfant Phillip-Édouard sont plutôt minces.

 

On en conviendra tous.

 

Il est donc normal que Danault, comme son compagnon de trio Brendan Gallagher et sans doute plusieurs de leurs coéquipiers, priorise davantage ses préparatifs en vue de la saison 20-21 qu’un éventuel retour sur la glace en juin, en juillet ou en août. Danault et Gallagher reprennent d’ailleurs les propos lancés pour la première fois il y a quelques semaines par la grande vedette des Kings de Los Angeles Drew Dougthy.

 

Mais même au sein de clubs bien mieux armés que le Canadien, les Kings, les Red Wings et autres parents pauvres de la LNH pour se rendre jusqu’à la coupe Stanley, on retrouve des joueurs qui, comme Danault, ne voient pas d’un bon œil l’idée d’être séparés de leurs proches pendant une si longue période.

 

D’où la remarque intéressante lancée par Danault après qu’il eut indiqué qu’il considérait «pas humain» le fait d’avoir à partir si longtemps loin de la maison : «la Ligue aura des décisions à prendre, mais les joueurs devrons voter également», qu’a indiqué le Québécois.

 

À l’heure d’une ébauche de reprise graduelle des activités économiques dans le vrai monde, les joueurs de la LNH qui vivent eux dans une galaxie parallèle, sont encore très loin d’un tel scrutin.

 

Mais pour préparer le terrain, pour présenter des scénarios, les analyser et en débattre, la LNH et le syndicat des joueurs (NHLPA) sont déjà à l’œuvre par le biais d’un comité qui a été formé pour établir le meilleur parcours à suivre vers une éventuelle reprise des activités. Malgré tout le travail de défrichage et de nivelage qui sera effectué par ce comité, il est clair que le parcours proposé sera sinueux, accidenté, jonché de fissures et d’embûches.

 

Sacrifier l’été pour sauver l’avenir

 

Au-delà leurs réticences compréhensibles à passer autant de temps sur la route, les nombreux joueurs qui voteraient non aujourd’hui s’ils avaient à se prononcer sur un tel projet comprendront sans doute qu’ils devront se résigner à le faire s’ils veulent limiter les pertes financières encourues par la Ligue et ses 31 propriétaires. Des pertes qui les toucheront directement par le biais des retenues en fiducie sur leurs salaires (Escrow) et la stagnation potentielle du plafond salarial pour les deux, trois, peut-être même cinq prochaines années.

 

Revenons à Brendan Gallagher et Phillip Danault : ils sont tous deux prêts à tourner la page sur la saison 19-20. Ils préféreraient éviter le hockey estival pour reprendre tout simplement l’an prochain.

 

Leurs motifs et explications tiennent la route.

 

Mais attention! Comme leur compagnon de trio Tomas Tatar et le vétéran défenseur Jeff Petry, Gallagher et Danault deviendront joueurs autonomes sans restriction à la fin de la saison prochaine. Ce sera à leur tour de frapper à la porte de la banque qui leur donnera plus d’argent qu’ils en ont besoin pour assurer leurs vieux jours, ceux de leurs enfants et de leurs petits-enfants.

 

Domi, Tatar, Gallagher ou Danault : qui reste et qui part?

Lorsque Donald Fehr et les dirigeants de la NHLPA parleront à Gallagher, à Danault, aux joueurs du Canadien et des autres clubs qui n’ont pas de chances, ou si peu, de gagner la coupe Stanley cette année, ils leur expliqueront que si les joueurs tournent le dos au projet de la LNH et que la Ligue perd plus d’un milliard $ à la suite de ce refus, oui ils n’auront pas à quitter leur famille pour quelques semaines, voire quelques mois. Mais ils devront ensuite composer avec les contrecoups de la perte de ce milliard de dollars lors des prochaines négociations de contrat.

 

Pour que Gallagher et Danault – et tous les autres joueurs autonomes qui frapperont à la porte du marché l’an prochain et lors de deux, trois ou quatre années suivantes – fassent banco dans un an, il faudra impérativement, et au-delà la générosité de leur propriétaire, que le plafond grimpe.

 

Et comme dans le meilleur des scénarios, le plafond grimpera légèrement s’il n’est pas condamné à stagner, un refus de jouer du hockey estival pourrait coûter très cher aux joueurs. Car qui dit stagnation du plafond, dit stagnation des hausses de salaire, à court ou moyen terme, pour ceux qui s’amènent à la table des négociations.

 

Grille horaire à combler

 

Je l’ai déjà écrit et je l’écris à nouveau : le fait que le réseau NBC ait des heures et des heures à combler dans sa grille horaire l’été prochain en raison de l’annulation des Jeux olympiques est une importante source de motivation pour la LNH.

 

Le contrat de diffusion liant NBC à la LNH n’a rien à voir avec les contrats dont bénéficient la NFL, la NBA ou le base-ball majeur. Mais déjà condamnée qu’elle est de jouer devant des gradins vides, si elle arrive à terminer la saison, la Ligue nationale épongerait une partie des pertes anticipées avec du hockey à la télé par le biais de NBC, de SportsNet et de nos amis de TVA Sports qui détiennent les droits nationaux au Canada. On laisse même entendre autour de la Ligue que NBC sera prêt à bonifier le montant qu’elle verse à la LNH pour éviter d’avoir à présenter des «reprises» l’été prochain.

 

Et comme il est impossible, du moins pour le moment d’avoir la confirmation que des partisans pourront remplir le Centre Bell et les 30 autres amphithéâtres de la LNH en octobre prochain, Gary Bettman doit prendre tous les moyens à sa disposition pour faire un peu de fric au cours des prochains mois.

 

Ou de simplement minimiser les pertes.

 

Contrairement aux proprios de la NFL, de la NBA et du base-ball majeur qui couvrent sans l’ombre d’un doute les salaires des joueurs et leurs frais fixes d’opérations – peut-être même ajouteraient-ils un peu de profits en prime – avec ce qu’ils touchent de revenus par le biais des contrats de diffusion, les proprios de la LNH ne peuvent survivre dans les revenus associés à la vente de billets, la location des loges corporatives, les revenus des concessions.

 

Devra-t-on patienter jusqu’en décembre?

 

Si les proprios de la LNH ne reçoivent pas l’assurance qu’ils pourront ouvrir les guichets en octobre, il est plus que probable que Gary Bettman n’aura d’autre choix que de retarder le début de la prochaine saison. Au moins il n’aura pas à l’annuler comme cela risque d’arriver dans la Ligue américaine et peut-être dans la Ligue canadienne de hockey : deux circuits dont la survie financière est tributaire des billets vendus aux partisans.

 

Est-ce que la LNH pourrait retarder le début de la prochaine saison jusqu’en novembre? Jusqu’en décembre?

 

La réponse viendra d’Horacio Arruda, de sa collègue Theresa Tam, à Ottawa, et de tous les scientifiques qui composeront avec des tas de données pour déterminer quand il deviendra possible de regrouper 10 000, 15 000, 20 000 personnes dans un amphithéâtre pour y suivre les prouesses des Gallagher, Danault, McDavid, Crosby ou… des membres du groupe Metallica!

 

Alors quand Phillip Danault assure qu’il voit d’un mauvais œil le fait d’avoir à quitter sa belle Marie-Pierre et leur fiston pour s’expatrier deux ou trois mois pour aller terminer une saison qui est finie depuis bien longtemps et qu’il pourrait refuser de donner son aval à un tel scénario, on comprend très bien son point de vue. On le respecte tout autant. Et on peut même féliciter son sens de la famille.

 

Mais Danault se trompe de cible.

 

Car si lui, ses coéquipiers et tous leurs adversaires de la LNH doivent cocher oui ou non avant de passer deux ou trois mois loin de leurs familles l’été prochain pour se farcir un camp d’entraînement, une fin de saison régulière et des séries éliminatoires, ce ne sera pas pour terminer une saison finie depuis bien longtemps. Que non! Ce sera d’abord et avant tout pour sauver ce qu’il restera à sauver de la saison prochaine et des quelques autres qui suivront en matière de fluctuations à la hausse du plafond salarial et donc de son salaire et de celui de ses compagnons de trio.

De quoi compliquer pas mal la réflexion avant de cocher oui ou non.