On voudrait éviter de parler de P.K. Subban qu’on ne le pourrait pas tellement ce surdoué, à qui on reprochait son agitation dans le vestiaire du Canadien, est devenu aujourd’hui une pièce maîtresse dans les ambitions des Predators de Nashville de remporter leur première coupe Stanley.

Au Centre Bell, c’était assez visible qu’il prenait beaucoup de place dans le vestiaire. Il était enthousiaste, excité et un brin tapageur, ce qui déplaisait à certains, dont le duo Bergevin-Therrien. Sur la patinoire, il aimait prendre le contrôle de la situation. Il était flamboyant et semblait se nourrir des clameurs du public quand il s’emparait de la rondelle, effectuait deux ou trois spinoramas avant d’y aller d’une bombe au profit d’un attaquant laissé sans surveillance. Et on ne parle pas des spectateurs qui retenaient leur souffle quand il prenait son élan caractéristique pour convertir la réception d’une passe en un boulet de canon que les gardiens ne voyaient pas toujours.

On n’est pas témoin de ce spectacle solo à Nashville. Bien sûr, il est encore flamboyant et spectaculaire, mais on ne sent plus que tout tourne autour de lui. Il est un défenseur vedette au sein d’une équipe qui en compte déjà trois. Ce serait presque gênant de tout vouloir prendre sur ses épaules quand il y a trois partenaires à la ligne bleue tout aussi brillants et utiles que lui. Est-ce la raison pour laquelle il est aussi discipliné et aussi méconnaissable au coeur de l’action? Est-ce que cela explique en partie l’étonnante maturité dont il fait preuve? Peut-être.

Qui mieux que lui pourrait nous expliquer son étonnante transformation. Si on l’interrogeait à ce sujet, il affirmerait sans doute ne pas être tellement différent du joueur qu’il était à Montréal. Cependant, s’il était d’une franchise vengeresse, il ajouterait peut-être être mieux compris et plus apprécié là où il est.

Un membre de son entourage mentionne qu’il a encaissé tout un choc quand on lui a annoncé qu’il avait été échangé aux Predators. Comme s’il venait de réaliser, à son grand étonnement, qu’il ne faisait pas les choses correctement. Jusque-là, la vie était belle. Il était heureux et adulé du public. Bref, il ne comprenait pas qu’il puisse être dérangeant au point d’être chassé de l’équipe.

À ses premiers coups de patin à Montréal, il n’était pas un athlète controversé. Certes, il était surexcité, mais on le trouvait d’un naturel fou. Dès sa troisième saison, il a mérité trophée Norris attribué au défenseur par excellence de la ligue. Dans le temps, il y avait des gens expérimentés autour de lui pour le calmer quand il en faisait trop. L’organisation avait à son service un psychologue sportif, Sylvain Guimond, en qui Subban avait confiance. Ces deux-là se parlaient fréquemment. L’entraîneur adjoint Gerard Gallant en est un autre qui lui rappelait de se limiter à son rôle en évitant de marcher sur les pieds de ceux qui l’entouraient. Le sympathique Hal Gill a eu lui aussi un ascendant positif sur son jeune coéquipier d’alors.

À ce que je sache, l’équipe a cessé d’utiliser les services d’un psychologue sportif. Gill est parti en 2013 et Gallant a fait de même un an plus tard. Après ces trois départs, plus personne n’a pris sous son aile ce jeune homme d’un commerce agréable aux prises avec un déficit d’attention, selon un spécialiste qui a observé de près son comportement. Il est devenu très bon sur la patinoire, mais aussi très gros. Plus gros que l’équipe certains jours.

Quand on était insatisfait de lui, on lui tapait sur les doigts en lui faisant manquer une présence ou deux ou en le jugeant sévèrement dans certains points de presse. Marc Bergevin et Michel Therrien sont loin d’être des diplômés en psychologie du sport. Ils sont de la vieille école. Ils ne sont pas du genre à prendre un joueur difficile sous leurs ailes en essayant de mieux le comprendre. Ils vont plutôt lui demander une fois, deux fois, trois fois de rentrer dans le rang. S’il fait la sourde oreille, ils vont trouver une façon de lui faire payer la note. Il n’est jamais venu à l’esprit de Subban qu’on règlerait son cas de cette façon.

À Nashville, c'est différent

Chez les Predators, il a fait la connaissance d’un homme compréhensif et calme en David Poile, un directeur général qui mène sa barque sans faire de bruit, mais avec une étonnante efficacité. L’entraîneur Peter Laviolette est un dur que Subban respecte peut-être davantage parce que son approche est différente de celle de Therrien. Laviolette lui accorde de la latitude, mais il est très capable de le rappeler à l’ordre s’il donne l’impression de vouloir faire les choses à sa manière.

Les médias montréalais ne sont pas quotidiennement dans le vestiaire des Predators pour pouvoir évaluer à quel point il a changé, mais sur la glace, ça saute aux yeux. A-t-il mûri à ce point en l’espace de quelques mois ou s’il faut regarder ailleurs pour tenter de comprendre le changement radical qui s’est opéré chez lui?

Un homme de hockey qui dit bien le connaître, mais qui désire conserver l’anonymat pour éviter de se mêler des affaires du Canadien, croit connaître la réponse. Selon lui, quand on le supporte et qu’on l’encourage, quand il se sent apprécié, Subban a le goût d’être à la hauteur et de faire une différence. Quand il se retrouve sans encadrement, il devient un peu comme un enfant tannant qui agace son entourage.

Personne n’a jamais mis en doute son immense talent. Il est d’une solidité incroyable dans les séries. Bergevin est un homme de hockey suffisamment compétent pour savoir qu’il a payé le gros prix pour obtenir Shea Weber, un leader appelé à changer totalement l’ambiance dans la chambre. Weber est un athlète solide dans tous les sens du terme, mais Subban, lui, est un pur-sang. Or, un pur-sang est plus difficile à contrôler qu’un cheval d’équitation. Il faut y mettre le temps, mais Bergevin ressentait la pression de gagner au plus tôt. Au lieu de l’attendre, il a préféré le considérer comme un cas désespéré.

Qu’on se comprenne bien. Je ne suis pas en train de dire qu’il aurait dû garder Subban à n’importe quel prix. En croyant qu’un changement d’ambiance dans l’équipe allait faire toute la différence, Bergevin a pris sur lui de courir un risque énorme en retirant une pièce maîtresse de son organigramme. Ça le regarde; il est payé pour prendre ce genre de décision.

Quitter Montréal aura finalement été une décision heureuse pour Subban et pour sa carrière. Patrick Roy est parti dans la controverse lui aussi, mais demandez-lui aujourd’hui d’évaluer, deux coupes Stanley et plusieurs dizaines de millions plus tard, l’impact que cette transaction a eu sur sa carrière et sur sa vie. Il n’a sans doute pas trop de regret que cela se soit produit.

Au moment de son départ, Subban a promis de gagner la coupe Stanley à Nashville. Il a été poli ; il n’a pas dit qu’il la gagnerait avant son ancienne équipe, mais à la lumière de ce qu’on voit en ce moment, on n’oserait pas parier contre ses chances d’y arriver?

Qui serait assez mesquin pour ne pas la lui souhaiter maintenant qu’il se rapproche de l’objectif? Ce n’est pas parce qu’on apprécie tout ce que Weber apporte au Canadien qu'il est interdit de se réjouir de ce qui arrive à Subban.