Le nom de Fred Shero, son visage orné de ses grosses lunettes noires à double foyer et de sa moustache Fu Manchu et surtout l’équipe de durs qu’il dirigeait alors que les Flyers de Philadelphie étaient mieux connus sous le nom de Broad Street Bullies évoquent bien plus la violence que la science mise de l’avant pour bien jouer au hockey.

Et pourtant.

Dans la foulée des Scotty Bowman et autres grands entraîneurs de l’histoire du hockey, Fred Shero a effectué une entrée remarquée au Temple de la renommée. Une entrée émotive alors que son fils Ray, directeur général des Penguins de Pittsburgh, a livré le plus beau discours de la soirée d’intronisation lundi soir à Toronto.

« Mon père serait très fier de se joindre à la meilleure équipe de hockey de l’histoire s’il était encore avec nous ce soir », a lancé Ray – de son vrai nom Réjean – Shero en guise d’introduction.

Décédé il y a 23 ans, Fred Shero était un précurseur dans le monde du hockey. Un visionnaire. Un entraîneur à des milles de l’image qui lui a survécu.

« Mon père lisait Dickens et Shakespeare. Quand tous les joueurs menaçaient de quitter la LNH pour aller dans l’Association mondiale pour y faire plus d’argent, mon père menaçait d’aller faire son droit à l’université. Lorsqu’il défendait les couleurs des Rangers à la fin des années 50, il se targuait d’être le premier joueur de l’histoire de cette équipe à posséder une carte de la grande bibliothèque publique de New York. Mais une fois à la tête des Flyers qu’il a dirigés pendant sept ans, il était hors de question de faire des prisonniers. Il allait à la guerre pour gagner. Et il l’a fait en soulevant la coupe Stanley deux années consécutives en 1974 et 1975 », a raconté avec fierté et émotion son fils Ray.

Joueurs reconnaissants

Si ces deux conquêtes ont été associées au hockey dur, rude, voire salaud que préconisaient les Flyers, 15 joueurs qui ont suivi les directives de Fred Shero étaient présents au Temple de la renommée pour rectifier le tir hier. Pour s’assurer que l’entraîneur qu’ils ont vénéré, et vénèrent encore 23 ans après sa mort, reçoive le mérite qui lui revient de droit.

« Fred Shero était 20 ans avant les autres. Les systèmes de jeu, autant en attaque qu’en défensive, c’est lui qui les a inventés. C’est lui le premier qui a eu recours à la vidéo pour analyser le jeu et faire comprendre ses stratégies. Sa vie était consacrée au hockey, aux nouvelles façons de jouer », racontait André « Moose » Dupont qui était l’un des durs patrouillant la ligne bleue des Flyers à l’époque des Bullies.

Dupont et ses coéquipiers de l’époque déploraient tous que l’histoire n’ait gardé que le côté physique des Flyers.

« On a seulement gardé les souvenirs des bagarres. On comptait pourtant sur huit marqueurs de 20 buts au sein des équipes qui ont gagné la coupe Stanley. On comptait sur de grandes vedettes offensives. Oui on jouait tough. Mais on savait aussi jouer au hockey. Et très bien à part ça. Et c’était à cause de Fred Shero qui nous dirigeait comme un père. Il était très fort sur les relations humaines, sur la psychologie, sur la motivation. On a gagné deux fois la coupe, mais on s’est rendu deux autres fois en grande finale pendant les sept ans qu’il a dirigé les Flyers. Il s’est aussi rendu en grande finale avec les Rangers alors qu’il n’avait pas une grande équipe sous ses ordres. S’il a fait tout ça, c’est parce qu’il était tout un coach. Un des grands. Et je suis très heureux de voir qu’on le reconnaît enfin pour tout ce qu’il a fait de bon pour faire avancer le hockey », a ajouté Dupont.

Unis pour toujours

Avant la victoire décisive aux mains des Bruins de Boston, victoire qui couronnait leur première conquête en 1974, Fred Shero avait écrit sur le tableau dans le vestiaire : « Gagnez aujourd’hui et vous serez unis pour toujours ».

Près de 40 ans plus tard, les visages illuminés des André Dupont, Bobby Clarke, Bill Barber, Bernard Parent, l’extraordinaire gardien de but qui a donné à son entraîneur-chef les clefs de la voiture remise alors au joueur le plus utile des séries en 1974, et Rick MacLeish pour ne nommer que ceux-là confirmaient la promesse rédigée par Shero sur son tableau noir.

« Mon père était un homme de famille. Que ce soit à la maison ou dans le vestiaire de son équipe. Il demandait à ses joueurs de vivre ensemble, de travailler ensemble, de rire ensemble, de se battre ensemble. Il inculquait à ses équipes le principe selon lequel lui et ses joueurs se battaient contre le reste du monde.

« Sur le plan stratégique, mon père était convaincu de l’importance de bien s’entraîner et de s’assurer de maximiser l’exécution. Il vouait une admiration sans limites pour les entraîneurs russes. C’est lui qui, le premier, a instauré les entraînements matinaux les jours de matchs. Et lorsque certains entraîneurs interdisaient la présence d’observateurs lors des entraînements de leur équipe, mon père invitait tous ceux qui le voulaient à venir épier les siens. Pourquoi? Parce qu’il était convaincu que la qualité de l’exécution menait aux championnats et non les surprises réservées aux adversaires », a raconté le directeur général des Penguins.

Dans un geste peu habituel, Ray Shero a demandé au propriétaire des Flyers, Ed Snider, à l’ancien capitaine Bobby Clarke et à tous les anciens Flyers présents au Temple hier soir de se lever pour saluer son père. Une demande à laquelle ils ont acquiescé illico sous les applaudissements nourris des invités et autres membres du Temple de la renommée présents à la cérémonie d’hier.

Bien que le nom de Fred Shero évoquera toujours les souvenirs des Broad Street Bullies qui ont marqué les années 1970, son intronisation au Temple de la renommée permettra de faire contrepoids à ces souvenirs et confirmera que derrière la violence qui animait les Flyers se cachait une science qui a mis des années à être reconnue. Mais qui le sera dorénavant.