Passer au contenu principal

RÉSULTATS

La réalité des entraîneurs dans la LNH : « Les couteaux volent un peu partout »

Publié
Mise à jour

*Samedi, un 2e article portera sur la vision du directeur général avec les commentaires de Pierre Dorion

MONTRÉAL – Quand Bob Hartley affirme « que les couteaux volent un peu partout », ça concorde avec la minuscule durée moyenne de 2,3 ans pour un mandat d'entraîneur dans la LNH.

Cette tendance à l'impatience perdure depuis longtemps dans le circuit Bettman et elle s'est même accentuée. Une réalité troublante alors que la longévité tourne plutôt autour de quatre ans dans la NFL, la NBA et le Baseball majeur.

Avec dérision, les entraîneurs dans la LNH ont souvent répété qu'ils se font engager pour se faire congédier.

À 65 ans, Claude Julien pourrait meubler ses journées avec ses bâtons de golf, sa canne à pêche ou des voyages. Il a plutôt aidé les Blues de St.Louis, en tant qu'adjoint, à pousser les Jets de Winnipeg jusqu'en deuxième prolongation du septième match en première ronde.

Il navigue dans la LNH depuis 2003 et il a compris, dès le départ, le volet quelque peu kamikaze de la profession.

« Ça devient une question de survie quand tu es rendu dans la LNH. Tu n'as plus l'occasion de grimper de niveau. Tu le réalises et tu l'acceptes », a confié Julien à RDS moins d'une semaine après l'élimination des Blues.

Cette fatalité, Hartley l'a également assimilée depuis des lunes.

« Ce n'est pas pour faire pleurer personne, mais la cible préférée des déboires d'une équipe, c'est un peu l'entraîneur. Personne ne te met un pistolet sur la tempe. On le fait parce qu'on est des passionnés, on veut aller chercher des résultats et c'est très rare que tu arrives dans un bon contexte », a réagi Hartley avec toute la sagesse acquise depuis son passage derrière le banc du Titan de Laval.

« Et je ne pense pas que ça va changer », a-t-il ajouté du même souffle.

-Mais, es-tu certain, même avec l'exemple payant de la stabilité du Lightning de Tampa Bay avec Jon Cooper ?

« Ça pourrait en faire réfléchir certains, mais je n'y crois pas », a-t-il répondu sans détour.

Pierre Dorion détient la vision de l'autre côté de la médaille. En s'appuyant sur un argument très réaliste, il n'est pas surpris quand on lui parle des couteaux qui volent bas.

« Je pense qu'il y a des couteaux qui volent dans tous les milieux. Les meilleures organisations sont celles où il y en a le moins. Je crois que c'est déjà arrivé chez Apple ou Microsoft. Je l'ai vécu et je l'ai vu, ça fait partie du métier. Quand tu accèdes à un poste élevé d'entraîneur-chef ou de directeur général, c'est certain que des gens vont tout faire pour essayer de prendre ta place ou pousser pour une autre personne », a décrit Dorion qui a été DG des Sénateurs d'Ottawa pendant sept ans.

Les congédiements et la pression

Si la réalité des congédiements semble implacable, peut-on y trouver des explications ?

Aux yeux de Claude Julien, tout est relié à la pression exercée sur les organisations via quelques facteurs :

-La LNH compte désormais 32 équipes, mais il y a encore 16 équipes en séries
-Plusieurs organisations se fient sur les séries pour engranger des profits
-Les salaires des joueurs ont monté

« Ça crée beaucoup de pression sur les entraîneurs à partir du propriétaire. Ça devient de plus en plus difficile de garder son emploi. C'est dommage, mais c'est ainsi », a mentionné Julien.

Bob Hartley a ajouté d'autres facteurs à l'équation. Il a constaté que plusieurs propriétaires d'équipes ont fait fortune ailleurs que dans le sport et ce milieu devient « leur sac de golf, leur passe-temps ».

Mais, à son avis, la cause majeure demeure la communication. La LNH a suivi l'exemple des autres sports majeurs alors que des joueurs vedettes établissent des liens privilégiés avec le directeur général, le président et/ou le propriétaire ce qui laisse l'entraîneur dans un contexte complexe.

La communication est également cruciale quand ça chauffe au sein d'une équipe. Hartley s'est servi d'une histoire concernant le Lightning alors que Jay Feaster était le DG, John Tortorella l'entraîneur et Vincent Lecavalier le joueur de concession.

« Au début de sa carrière, Vincent avait de la difficulté avec Torts. Feaster a convoqué les deux dans son bureau. Il a dit à Tortorella qu'il ne serait pas congédié et à Vincent qu'il ne serait pas échangé. Dans plusieurs cas, le DG aurait tranché en faveur du joueur et il aurait mis l'entraîneur sur le siège éjectable », a exposé Hartley.

Un cauchemar partagé

Julien et Hartley ont chacun vécu un épisode marquant où cette fameuse communication a fait défaut.

Dans le cas de Julien, qui a subi le couperet quatre fois (à deux reprises à Montréal, au New Jersey et à Boston), c'est avec les Devils que ça s'est produit.

À sa première année aux commandes des Devils, il a été congédié avec trois petits matchs à jouer en saison régulière alors que son club avait déjà amassé 103 points!

« La personne (Lou Lamoriello) qui m'a congédié, je l'ai toujours dit, est une très bonne personne. Côté business, ça n'a jamais été facile de travailler pour lui, c'est reconnu », a commenté Julien.

« J'ai eu peur que ma réputation en prenne un coup. J'ai été chanceux que les Bruins me fassent signe rapidement et ça m'a sauvé », a-t-il ajouté avec modestie car il avait mérité ce poste et il l'a prouvé en menant les Bruins à la coupe Stanley.

À Boston, il a développé un fort lien de confiance avec le directeur général Peter Chiarelli. Quand on lui a demandé si son deuxième congédiement à Montréal s'expliquait par un lien moins fort avec Marc Bergevin, il a assuré que non.

« Marc avait beaucoup de pression sur les épaules pour avoir du succès, mais on avait une très bonne relation. Comme je l'ai fait avec les Devils, que ce soit la bonne décision ou non, je devais la respecter même si je n'étais pas d'accord », a-t-il confié.

Quant à Hartley, c'est survenu chez les Flames. Moins d'un an après avoir mérité le trophée Jack-Adams, remis à l'entraîneur de l'année, Hartley a été viré.

« Ma dernière année à Calgary fut, on va dire le vrai mot, un cauchemar pour X et Y raisons. Je n'ai pas eu un mot à dire. Bang! Merci bonsoir, c'était fini. Donne-moi au moins une explication », a lancé Hartley avec ferveur.

Pour éviter un congédiement rapide, Hartley est convaincu que ça exige un directeur général qui peut assumer la pression de ses supérieurs. Au Colorado, Hartley avait cette personne en Pierre Lacroix, mais ce ne fut pas concluant à Calgary.

« Certains directeurs généraux composaient très bien avec la pression, tu ne sentais aucune panique. Mais d'autres, dès que leur réunion était finie avec leur patron, ils étaient dans mon bureau avec le visage tout rouge, c'était panique maximale. Ils revenaient avec toutes sortes d'idées farfelues… », a raconté Hartley alors qu'on pouvait s'imaginer la scène.

Mais le rouge, c'est avant tout la couleur de l'amour et voici ce que Bob Hartley retient à 64 ans.

« C'est le métier le plus fou au monde. Mais, en même temps, le plus beau. Je suis encore en amour avec le hockey », a-t-il lancé.

« C'est LA raison pour laquelle je suis encore entraîneur ! Je continue d'adorer ça sauf le côté cruel des congédiements », a conclu Claude Julien en donnant raison à Hartley.