Je poussais le panier d’épicerie tout en discutant de tout et de rien avec Sylvie, en ce dimanche. Il y avait beaucoup de gens qui faisaient la même chose que nous, comme cette mère de famille avec ses deux enfants. Le plus vieux, qui marchait vraiment très près de sa maman, avait à peu près dix ans tandis que l’autre était assez jeune pour prendre place à l’intérieur du panier. Les deux portaient une casquette du Canadien, l’une rouge, l’autre bleue.

« C’est Pierre Houde qui est tout près de nous », dit-elle à ses garçons, sur un ton assez élevé pour que je l’entende. Je me suis retourné vers elle, pour répondre poliment à la salutation. « Vous êtes vraiment important pour mon fils, vous savez. Auriez-vous une seconde pour venir lui parler? », en faisant allusion au plus vieux à ses côtés. J’acceptai avec plaisir.

En m’approchant, j’observais le plus jeune qui m’envoyait des sourires et des regards remplis de vie et d’énergie, comme tous les petits gars de son âge. Le plus vieux avait aussi un large sourire, mais ne me regardait pas. « Gêné », que me je suis dit. Lorsque je fus tout juste à ses cotés, je vis qu’il avait un petit appareil dans sa main, de la dimension d’un baladeur ou d’un petit téléphone mobile. Je vis aussi qu’à sa gauche, accrochée aux paniers, il y avait une longue tige métallique, au bout de laquelle il y avait une poignée. C’est en le saluant et en lui demandant son nom que je me suis aperçu que mon jeune ami était...non-voyant.

« Depuis sa naissance », me confia sa mère. Alexandre, mes amis, n’a jamais vu de ses yeux, la vie qu’il semble aimer si chèrement! Et ce petit appareil, qu’il tient dans ses mains, est un enregistreur, dans lequel il raconte ce qu’il vit. « C’est pour cela que j’aimerais que vous lui parliez, pour qu’il enregistre votre voix, comme souvenir de votre rencontre ». Ébranlé, le cœur fendu, je me suis mis à lui parler, entre autres, du Canadien et des séries qui commencent bientôt, ce qui me valut un « high five » de la part d’Alexandre et de son petit frère. Notre conversation fut captée entièrement sur son petit appareil.

Sylvie et moi avons complété nos emplettes et arrivés à la caisse, Alexandre et sa famille étaient là, en attente de payer leur épicerie. « Tu devrais lui faire une petite simulation d’une description d’un but sur son appareil », me suggéra Sylvie. La suggestion fut transmise au principal intéressé qui s’empressa d’actionner son enregistreur. Vous devinez facilement qui fut la vedette de la séquence de jeu simulé et du « …et le buuuuut! » qui suivit.

« Sois sûr que l’enregistrement est bon Alexandre », que je lui suggérai. Après une ou deux secondes d’une habile manipulation de l’appareil pour la conversion sonore du document, l’auteur de ce très beau but fictif me confirma d’un geste de la main que tout était parfait.

C’est sur le sourire d’Alexandre et les remerciements de sa maman que nous nous sommes quittés. C’est une fois arrivé à mon domicile que j’ai réalisé que j’avais omis de lui dire quelque chose d’important, quelque chose qu’il aurait pu aussi enregistrer sur son dispositif et qui aurait vraiment reflété mon état d’âme du moment. Je vais donc le faire via mon billet d’aujourd’hui.

« Tu as les plus beaux yeux du monde, Alexandre! »