Ce qui me fascine le plus avec le repêchage, c’est qu’année après année, tous les clubs fêtent leurs sélections comme si les jeunes joueurs tout juste greffés à leur organisation allaient les propulser tout droit vers la coupe Stanley.

En sixième ronde hier, les spécialistes qui ont étudié les candidatures de tous les jeunes appelés, et même ceux qui ont été oubliés, défilaient leurs qualités au même rythme qu’ils le faisaient la veille en parlant d’Alexis Lafrenière et des autres membres du top-10.

À les écouter, les petits gars repêchés en sixième et septième rondes avaient tous les atouts pour tourner le fer dans la plaie des équipes et des recruteurs qui ne sont pas intéressés à eux. Ou pas assez!

Le pire, c’est qu’un, deux, cinq gars repêchés en début de soirée mercredi trouveront le moyen d’atteindre la LNH. De se faire une niche dans l’un des 31 vestiaires. De connaître une belle carrière. Peut-être même de devenir une vedette.

Inversement, des candidats repêchés en début de soirée mardi, des candidats pourtant assurés d’avoir de brillantes carrières stagneront dans la Ligue américaine, dans la KHL ou dans une autre ligue professionnelle en Europe.

Remarquez que c’est déjà quelque chose que d’atteindre la Ligue américaine. Que c’est enrichissant autant sur le plan culturel que financier d’aller faire carrière en Europe.

Mais encore cette année, deux, peut-être trois, joueurs repêchés par les 31 clubs joueront 100 matchs ou plus dans la grande Ligue.

C’est peu. C’est très peu. Mais c’est avec ces jeunes qui donneront raison aux recruteurs qui ont cru en eux que les équipes peuvent bâtir des fondations solides.

D’où la grande importance du repêchage.

Surprises, déceptions

Chaque année depuis le premier repêchage dont j’ai été témoin – celui de 1997 alors que Joe Thornton avait les cheveux blonds et longs et quelques poils seulement au menton – je tente d’identifier des sélections qui pourraient être cruciales dans quelques années.

Je souhaite la plus belle des carrières à Alexis Lafrenière qui a tout, mais alors là tout, pour non seulement réussir dans la LNH, mais y devenir une vedette.

Dans quelques années, on saura si les Rangers ont eu raison d’en faire le tour premier choix de la cuvée 2020.

Dans quelques années, on saura si les Kings de Los Angeles ont bien fait de préférer Quinton Byfield à l’Allemand Tim Stützel qui devrait orchestrer la relance des Sénateurs d’Ottawa. On dit le plus grand bien de l’Allemand.

Pas surprenant que le directeur général Pierre Dorion triomphait autant en parlant de sa sélection de Stützel qu’il triomphait il y a deux ans lorsque le Canadien lui a permis de mettre la main sur Brady Tkachuk avec la quatrième sélection après que le Canadien eut tout misé sur Jesperi Kotkaniemi. Pour le moment, les Sens ont eu le dessus sur le Tricolore avec cette sélection. Est-ce que ce sera toujours le cas dans un, trois, cinq ans?

Est-ce que les petits attaquants Marco Rossi que le Wild du Minnesota a repêché au 9e rang et Cole Perfetti que les Jets ont sélectionné tout juste après voleront la vedette du repêchage de 2020?

Est-ce que le vrai voleur sortira de la cinquième ronde, de la sixième, de la septième?

Il faudra être patient avant de savoir.

Et c’est ça qui est le plus intéressant avec le repêchage. C’est l’attente des surprises et des déceptions. C’est l’attente du développement des jeunes promis à de brillantes carrières qui permettra de déterminer qui a eu raison et qui a eu tort.

À ce jeu, Jarmo Kekalainen qui est non seulement un excellent directeur général, mais aussi un visionnaire en matière de dépistage de talent – il jouit aussi d’un réseau sensationnel de contacts en Europe – a réalisé le coup le plus fumant du repêchage mardi soir.

Quand les Blue Jackets ont prononcé le nom de Yegor Chinakhov pour faire de l’ailier droit russe leur premier choix avec la 21e sélection, plusieurs analystes ont dû sauter sur leur ordinateur, car le nom de Chinakov n’était pas sur leur liste. Pas seulement sur leur liste de candidats potentiels en première ronde. Sur leur liste tout court.

Ça c’est un coup fumant.

Dans les quartiers généraux des 30 autres équipes de la Ligue, quelques dépisteurs ont dû se gratter la tête. Certains ont sans doute fait des blagues en ridiculisant cette sélection qui venait de bien plus loin que du champ gauche. Mais les plus prudents, les plus expérimentés, les meilleurs en fait, ont dû se dire : « est-ce que j’ai manqué un diamant brut au nom de mon organisation? » Car c’est ça le repêchage. Une sélection de jeunes qui ont tous de très belles qualités et quelques défauts dont on doit établir une projection sur les dix années qui s’en viennent.

Quand Montréal boude les Québécois

Le Canadien dans tout ça?

Eh oui! Le Tricolore a tourné le dos au Québec encore cette année. C’est vrai qu’on aimerait voir des candidats de l’Outaouais, du Saguenay, de l’Estrie et de la Gaspésie enfiler un chandail du Canadien lors du repêchage.

Mais plus important encore, c’est qu’il puisse l’enfiler lorsque viendra le temps de jouer dans la LNH qui importe. Si, bien sûr, ces jeunes sont en mesure d’atteindre la LNH.

Dans sa chronique sur RDS.ca, le collègue Stéphane Leroux qui connaît la LHJMQ mieux que le Canadien et le hockey junior canadien aussi bien que les recruteurs du Tricolore souligne en caractères gras le fait que Marc Bergevin et ses recruteurs ont boudé le Québec une fois encore.

Pour ma part, je suis moins tranchant sur ce point.

Le plus facile pour le Canadien sera de profiter d’un ou deux choix pour prendre une chance sur un petit gars d’ici. Car après tout, le Tricolore comme bien d’autres clubs, a pris des chances avec un ou plusieurs des jeunes qu’il a sélectionnés au cours des deux derniers jours.

Bilan des choix de Trevor Timmins

Mais si le Canadien s’est trompé avec ces coups de dés, il devra en subir les conséquences tout autant.

Est-ce que le Canadien a bien fait de sélectionner Louis Leblanc en première ronde du repêchage de 2009 (18e sélection) ou il aurait été mieux servi par Chris Kreider que les Rangers ont repêché tout de suite après?

Est-ce que le Canadien a bien fait de repêcher Jason Ward un franco-ontarien au 11e rang de la première ronde en 1997, ou il aurait été plus avisé de choisir Marian Hossa que Pierre Gauthier et les Sénateurs d’Ottawa ont repêché tout de suite après?

Des exemples comme ça il y en a des tonnes.

Tout le Québec a poussé des hauts cris en 2007 lorsque le Canadien a préféré Ryan McDonagh à Angelo Esposito qui venait de connaître une grosse saison avec les Remparts à Québec.

Tout le Québec connaissait Esposito. Personne ne connaissait McDonagh qui sortait d’une école secondaire du Minnesota.

Qui a connu la plus belle carrière?

Si les Penguins de Pittsburgh n’avaient pas pris Esposito au 20e rang, le Canadien aurait dû s’exposer à plus de critiques encore en lui préférant Max Pacioretty sélectionné au 22e rang de la première ronde.

Inversement, il est impardonnable pour le Canadien d’avoir perdu Patrice Bergeron, d’avoir préféré David Fisher à Claude Giroux qui jouait avec les Olympiques de Gatineau.

Il est là le défi du Canadien. Je me fiche bien qu’il repêche des Québécois simplement pour satisfaire le bon peuple et éviter un barrage de critiques. Mais je ne lui pardonnerai jamais de lever le nez sur un joueur qui connaîtra une belle carrière dans la LNH.

C’est pour cette raison qu’avant de lapider Trevor Timmins de critiques et d’aller jusqu’à l’accuser d’être anti-francophone, il est obligatoire d’attendre un, deux voire cinq ans. Parce que le temps lui donnera peut-être raison.

Pour l’instant, Keiden Guhle, Luke Tuch, Jan Mysak, Jack Smith, Blake Biondi, Sean Farrell, Jakub Dobes et Alexander Gordin ne sont que des noms.

Donnons-leur le temps de devenir, ou non, des joueurs de hockey avant d’y aller de grandes conclusions.

Rappelons-nous qu’en 2010 le nom de Brendan Gallagher ne disait rien et il est devenu tout un joueur de hockey. Il est aujourd’hui le cœur du Canadien de Montréal.

En attente du développement de ces jeunes, Marc Bergevin et le Canadien doivent maintenant se tourner vers le présent. Ils doivent profiter du marché des joueurs autonomes qui s’ouvre demain et aussi du marché des transactions qui risque d’être actif au cours des prochains jours pour améliorer dès maintenant le club.

Mais ça, je vous l’ai déjà écrit plusieurs fois.

On saura d’ici 24 à 48 heures, si le DG du Canadien a continué de connaître du succès dans sa quête d’améliorer son club. Car depuis le début de sa saison, Marc Bergevin a fait du très bon travail. Même ses détracteurs les plus féroces doivent l’admettre.