Le reportage de Sébastien Boucher vous sera présenté à Hockey 360 ce soir dès 18 h 30 à RDS et RDS Direct.

Révolution et aiguisage de patins dans la même phrase, c’est exagéré, direz-vous. Je peux comprendre, mais si je vous disais que ce sont les mots utilisés par Pierre Gervais. LE Pierre Gervais, gérant d’équipement du Canadien de Montréal depuis 1997. Soudainement, c’est différent...

Une « révolution » qui a pris naissance, ici, au Québec, à St-Mathieu-de-Beloeil, plus précisément. Elite Technologie de performance pour lames « est un fabricant québécois de profils de lames de patins de haute précision et d’aiguiseurs de lames de patins révolutionnaires, contrôlées par ordinateur et entièrement automatiques », peut-on lire sur le site de la compagnie fondée par Denis Proulx.

En résumé, la compagnie conçoit des machines automatisées qui permettent un profilage et un aiguisage d’une précision inégalée jusque-là.

Le Canadien de Montréal a complété l’acquisition de l’équipement conçu par Elite à l’été 2016. L’Avalanche du Colorado et les Sharks de San Jose l’ont fait plus récemment. Plusieurs autres équipes de la LNH, de la Ligue américaine et de la LHJMQ comptent parmi les clients d’Elite.

Pierre Gervais utilise une machine Elite Technologie « C’est une révolution en soi », déclare Pierre Gervais, rencontré dans son local de travail à Brossard. « Personne ne peut, avec l’aiguisage traditionnel fait à la main, arriver à une telle précision, même pas nous les gars de la LNH. C’est d’une précision et d’une constance qui permettent de conserver le profilage, aiguisage après aiguisage, et ça, c’est le plus grand atout, selon moi », renchérit Gervais. « L’autre avantage, c’est que la machine fait les deux patins en même temps. Quand on aiguise des patins manuellement, tu fais le patin gauche environ 3-4 passes (c’est le nombre de fois qu’on passe la lame sur la meule). Ensuite, sur le patin droit, il y a une petite coche, tu fais donc 2-3 passes de plus. Il n’y a personne qui revient faire le patin gauche 2-3 passes.   Après quelques fois, ça devient instable », explique Gervais. « Pour moi, c’est le meilleur aiguisage au monde présentement, sans aucun doute. »

Et Pierre Gervais prend le soin de le préciser lui-même, il louange les qualités de cette technologie, mais il n’a « aucun intérêt financier dans cette compagnie. C’est juste que c’est le meilleur produit sur le marché. »

Beauvillier et Mantha, des clients satisfaits

Des joueurs comme Anthony Beauvillier et Anthony Mantha préfèrent gérer leurs lames et les faire aiguiser directement chez Elite, que de laisser le préposé à l’équipement de leur équipe respective s’en occuper. « J’ai 40 paires de lames qui ne font que circuler entre Detroit et Montréal », raconte Anthony Mantha, après un entraînement matinal au Centre Bell. 

Ce n’est rien envers le préposé, c’est que les Wings n’ont pas l’aiguiseur automatique. « L’équipe a le profileur, mais dès qu’il aiguise à la main, ça enlève le profilage. Ça se contredit un peu », justifie Mantha. « Le préposé (Paul Boyer) a été super bon avec moi. On inspecte mes lames ensemble chaque semaine, avant de les envoyer chez Elite. »

Dylan Larkin, coéquipier de Mantha, a même testé le produit. « Quand ils sont venus à Montréal, en octobre dernier, Larkin a demandé à Anthony s’il pouvait essayer des lames au morning skate », raconte Denis Proulx, le créateur de la technologie Elite. « Et le soir même, il a joué avec les lames que nous lui avons préparées. Le lendemain, il nous a demandé de lui en envoyer à Detroit pour son match du samedi soir contre les Maple Leafs. Il a fallu lui en préparer en catastrophe », se remémore Proulx.

Précision et constance, voilà les deux arguments qui expliquent pourquoi Elite a du succès auprès des pros. « Les pros sont sensibles à ce que ce soit toujours identique », explique Proulx. « Dès qu’il y a quelque chose d’un peu différent, ils le savent tout de suite. Cette machine leur apporte une stabilité et une tranquillité d’esprit. Ils n’ont pas besoin de se casser la tête; leurs lames sont toujours identiques. »

Profilage de la lame, la base

Le profilage, c’est la courbe de la lame. Il n’y a pas de science exacte pour trouver son bon profil : c’est de l’essai-erreur selon le style de patineur. Et Elite offre différents types de profil.

« Le profilage c’est très important. Tout le monde patine différemment », précise Pierre Gervais. « C’est comme avoir une Ferrari avec des mauvais pneus. T’as beau avoir le meilleur pilote au monde, si ta Ferrari est chaussée de mauvais pneus, tu ne peux pas performer avec », image le gérant de l’équipement du CH. « Prends le meilleur joueur de hockey au monde, McDavid par exemple, et mets-lui toutes sortes d’affaires dans les pieds, il ne pourra jamais faire ce qu’il fait, c’est impossible », ajoute Gervais.

Anthony ManthaPour trouver le bon profil, Mantha a passé quelques heures sur la glace avec Denis Proulx afin de trouver le bon ajustement. « On a trouvé l’équilibre parfait entre avoir une lame qui m’apporte à mon top speed et une lame qui m’apporte plus d’agilité », explique l’attaquant des Red Wings. « Je suis un gros bonhomme, il me faut un peu plus d’agilité que des gars comme Gallagher ou Domi qui sont très nifty (habiles). Et à ce jour, je n’ai pas changé mon profilage, parce qu’on a trouvé le bon pour moi. »

Mantha le précisait plus tôt, c’est bien de trouver le bon profil, mais si l’aiguisage défait le profilage, ça ne sert à rien. Et c’est l’avantage de l’aiguiseur automatique ES4, « même si tu aiguises les patins 50 fois, ton profil est toujours identique », spécifie Gervais. « Qu’on le veuille ou non, manuellement, même si tu regardes le gars et tu te dis : il est vraiment stable, il est vraiment bon, il reste qu’aiguisage après aiguisage, si tu grossis la lame, tu vois des imperfections, ça ne peut pas ne pas arriver », raconte Gervais. « Tandis qu’avec cette machine t’es 100% sûr que c’est vraiment intact. »

Aiguisage précis, coupe moins creuse

Non seulement, Mantha a trouvé l’équilibre parfait pour ses lames, il a considérablement changé sa coupe. « Mon aiguisage est passé de 1-2 à 1 pouce et 1/8. Il y a une grosse coche, une grosse différence », précise-t-il. « J’ai une meilleure glisse, je suis fatigué moins rapidement, j’utilise beaucoup moins d’énergie avec des lames moins aiguisées. »

Pierre Gervais abonde dans le même sens. « Naturellement, moins ta lame est profonde, meilleure est ta glisse », ajoute Gervais. « Tu as assez de coupant pour tourner et freiner. Et c’est moins dur sur les genoux, moins dur sur les hanches, tu glisses plus. »

Gervais a même réussi à convaincre certains joueurs chez le Canadien à opter pour une coupe moins creuse. « Max Domi et Jeff Petry ont changé récemment. Ben Chiarot a changé pour une coupe 7/8 », cite Gervais. « On conseille le moins creux possible. Je suis content, on a 5 ou 6 gars sur la coupe à 7/8, qui est pas mal plus flat. On a plusieurs joueurs sur le 3/4 et encore des gars à 5/8, ils sont indomptables. On essaie de les dompter, mais il n’y a rien à faire. On n’a plus personne à 1-2 ou en bas de ça. Avant j’en avais beaucoup, mais ça n’existe plus », ajoute-t-il. 

Une technologie avantageuse... pour les préposés également!

L’aiguiseur automatisé aurait pu être perçu comme une menace pour les préposés à l’équipement, mais ce n’est aucunement le cas. « Ça prend quelqu’un pour évaluer les lames et programmer l’aiguisage », précise Pierre Gervais, tout en ajoutant que « ça ne sauve pas du temps et ce n’est pas plus long, ça prend le même temps pour aiguiser une lame. »

Carey PriceGervais cite l’exemple de Carey Price pour illustrer un des avantages directs de cette technologie pour son travail. « Carey aime ses lames très aiguisées » raconte-t-il. « Il prend ça à 7/16. Et il change de lames assez souvent. À chaque fois que Carey prenait une lame neuve, il fallait que je passe 10-15, même 20 minutes facile à grinder jusqu’à temps qu’on arrive à sa coupe. Maintenant, je mets ça sur la ES4, j’appuie sur 8 à 10 passes, je mets en marche et je vais faire autre chose, comme faire un appel ou une commande », explique Gervais. « Et quand je reviens, les patins sont prêts. C’est précis et ça me rend plus efficace dans une journée, tout en donnant le meilleur produit aux joueurs », prend le temps d’ajouter Gervais.

Évidemment, le Canadien ne peut transporter l’aiguiseur automatisé sur la route, mais Gervais en a une version portative. « Ils en ont conçu une selon nos recommandations. Je m’en sers rarement, c’est seulement en cas d’urgence » précise Gervais tout en nous montrant les valises qui servent à transporter les lames sur la route. « En général, j’apporte ce coffre qui contient 4 valises, donc 4 paires de lames par joueur. J’ai un autre coffre qui contient 6 valises. Pour le voyage dans l’Ouest canadien (fin décembre), j’apporte le coffre avec les 6 sets de lames. Plus de 120 lames à transporter, c’est le prix à payer pour avoir le meilleur des meilleurs. »  

Tout a commencé en 2008

C’est au printemps 2008 que tout a commencé. Le fils de Denis Proulx, Gabriel, s’entraînait alors avec Pierre Allard. Un soir, Proulx vérifie les lames de son fils et s’aperçoit qu’elles sont toutes différentes. Il fait part de sa découverte à Allard. « Pierre m’avait répondu : c’est comme ça. Ce n’est jamais pareil », raconte Denis Proulx. « C’est comme ça, mais il faudrait corriger la situation. C’est à ce moment que j’ai commencé à travailler sur le projet. »

Denis Proulx travaille alors comme spécialiste de la conception de systèmes d’automatisation et dans ses temps libres, il élabore un prototype. Il lui faudra quatre ans avant d’en arriver à ces premiers tests avec des pros, à l’été 2012.  Pierre Allard s’assure de trouver quelques joueurs. Les frères Anthony et Francis Beauvillier sont là. Patrick Langlois du Canadien également. Il ne s’agit que d’un prototype, mais déjà les réactions sont positives. « Patrick Langlois m’a dit : Denis, c’est le futur! », se rappelle fièrement Denis Proulx.

Ces tests étaient supposés demeurés secrets, mais il n’en est rien. En octobre 2012, Denis Proulx est obligé de défaire la cafétéria de son usine pour y installer l’aiguiseur. « Tout le monde venait ici. Le mot se passait. Je n’aurais jamais pensé qu’on deviendrait un centre d’aiguisage », avoue Proulx.

La recette de Proulx? Il avait amélioré la précision des pointes des lames à l’aiguisage et évité la déformation de la lame. De plus, son aiguisage à froid assure une durabilité à la coupe.

Pierre Gervais a été mis au courant du procédé à l’été 2012. Comme tout le monde, il était sceptique au début. Il a tout de même accepté de rencontrer les gens d’Elite. « Ils ont écouté nos recommandations. Ensuite, ils venaient ici à Brossard, ils faisaient les ajustements nécessaires. Disons que ça m’a aidé à être plus confortable et à faire le saut », raconte Gervais. « Bien honnêtement, jamais je ne retournerais avec l’aiguisage traditionnel, jamais, jamais. »

Cette technologie est disponible au grand public (vous saurez trouver où). Et de l’avis de Pierre Gervais, Monsieur et Madame Tout-le-monde verront une énorme différence : « Pour les gens de tous les jours, selon moi, c’est un no brainer! »