À environ deux kilomètres des Nations Unies, où la guerre de la Russie en Ukraine occupe l'avant-scène, la foule du Madison Square Garden a scandé le nom du gardien Igor Shesterkin lors des derniers instants d'une victoire en séries éliminatoires.

Des scènes similaires se sont déroulées dans la capitale lors du premier tour éliminatoire lorsque les partisans des Capitals de Washington ont acclamé le capitaine de longue date Alex Ovechkin avec des chants de 'Ovi! Ovi!'

Ovechkin a longtemps été associé au président russe Vladimir Poutine, l'instigateur de l'invasion.

Les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey sont devenues par inadvertance un carrefour du sport et de la politique, les Russes jouant sur les patinoires nord-américaines dans le contexte du plus grand conflit militaire en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Alors que leurs compatriotes dans plusieurs sports, du soccer au tennis, ont été bannis des compétitions, les Russes de la LNH ont continué à jouer tout en restant discrets à l'extérieur de la patinoire.

« Tout le monde fait de son mieux dans des circonstances incroyablement éprouvantes, a précisé le commissaire Gary Bettman à l'Associated Press lors d'une récente entrevue. Nos joueurs jouent pour leurs équipes de la LNH, peu importe d'où ils viennent. À ce moment précis, les joueurs russes sont dans une situation impossible. »

Au total, 56 Russes ont évolué dans la LNH au cours de la saison régulière, soit environ 5% du nombre total de joueurs, dont 29 ont participé aux séries éliminatoires, soit un peu moins de 8%. Certains s'inscrivent parmi les meilleurs du sport, des contributions de Shesterkin guidant les Rangers de New York au deuxième tour à Nikita Kucherov et Andrei Vasilevskiy aidant le Lightning à se qualifier pour une quatrième finale de l'Association de l'Est en cinq ans et visant une troisième coupe Stanley consécutive.

La LNH n'a jamais sérieusement envisagé, comme Wimbledon, une interdiction imposée aux joueurs de Russie et du Bélarus, qui a offert son aide. Elle a publié une déclaration condamnant la guerre, a mis fin aux opérations commerciales et aux partenariats en Russie et a cessé de publier sur les sites de médias sociaux et numériques en russe.

Situation délicate

Les joueurs nés là-bas - que ce soit à l'époque de l'Union soviétique ou de la Fédération de Russie - ont continué à jouer depuis que les forces de Poutine ont envahi l'Ukraine, le 24 février. La LNH s'est dite préoccupée par le bien-être des joueurs russes, ajoutant : « Nous comprenons qu'eux et leurs familles sont placés dans une position extrêmement difficile. »

« C'est un bourbier et il n'y a pas d'issue facile, a analysé Stefan Szymanski, professeur de gestion du sport à l'Université du Michigan. Les réponses les plus claires sont de dire : 'Nous n'interdirons aucun athlète' ou 'Nous allons simplement interdire tous les athlètes', et tout ce qui se trouve entre les deux sera pris dans ces zones grises.»

Les joueurs russes ont essentiellement gardé le silence sur ce que Poutine a présenté comme une "opération militaire spéciale", qui peut entraîner une peine de prison en Russie pour quiconque l'appelle une guerre. Ovechkin, qui a fait campagne pour Poutine en 2017, a lancé un appel à la paix, le défenseur Nikita Zadorov des Flames de Calgary a publié le message « PAS DE GUERRE» sur Instagram et l'attaquant Andrei Svechnikov des Hurricanes de la Caroline a qualifié la situation de « difficile ».

L'agent Dan Milstein, originaire d'Ukraine qui représente 14 joueurs russes sous contrat dans la LNH, dont Kucherov et Vasilevskiy, a déclaré à l'AP en mars que parler de la guerre de quelque manière que ce soit était très délicat à cause des membres de la famille restés au pays. Lui et plusieurs autres agents certifiés par l'Association des joueurs de la LNH qui ont des clients russes ont refusé de commenter depuis ou n'ont pas répondu aux messages sollicitant des commentaires.

Les joueurs russes de haut niveau tentent en grande partie de rester à l'écart du débat tout en se concentrant sur leur travail au moment le plus important de l'année. Les succès sur la glace ne font aucun doute, car les Russes ont marqué 41 buts - 9 % du total en séries éliminatoires - et remporté 21 des 72 victoires pour les gardiens avant le match de lundi entre le septième match de la série Rangers-Hurricanes, lundi.

« Quand vous jouez, vous oubliez tout, a affirmé la vedette des Penguins de Pittsburgh, Evgeni Malkin. C'est le meilleur moment pour sauter sur la patinoire et faire ce que vous faites toute votre vie. »

Un moyen de propagande

La question de savoir s'ils devraient être sur la glace pendant que leur pays fait la guerre à l'intérieur des frontières d'un voisin est devenue un sujet de débat parmi la communauté du hockey. Le gardien retraité et membre du Temple de la renommée, Dominik Hasek, un Tchèque, a demandé à la LNH de suspendre les contrats de tous les joueurs russes et a mentionné que la participation publique des athlètes russes est « une énorme publicité pour le pays russe et ses actions. »

Szymanski considère la trêve olympique de la Grèce antique comme un argument en faveur d'une interdiction générale des athlètes russes.

« Les citoyens des pays impliqués dans la guerre ne peuvent pas participer au sport, a-t-il dit. C'est censé être une célébration de l'esprit humain, pas un moyen de faire la guerre indirectement. »

Cela inclut bien sûr le sport en tant que forme de propagande et de réussite nationalistes, l'exemple le plus probant étant celui des Jeux olympiques de 1936 dans l'Allemagne nazie. Brendan Dwyer, directeur de la recherche et de l'enseignement à distance au Center for Sport Leadership de l'Université Virginia Commonwealth, a précisé que toute interdiction des joueurs de hockey russes serait un coup dur pour le Kremlin.

« Poutine place ces athlètes sur un piédestal plus que le football, plus que le tennis, a noté Dwyer. La seule chose que je continue à dire, c'est à quel point le sport est important pour ce régime. Cela remonte au-delà de ce régime, au communisme, en général, et à l'URSS et à la façon dont ils utilisent le sport comme moyen de montrer leur pouvoir à l'échelle internationale et le hockey plus que tout autre sport. »

La Russie a toutefois perdu l'organisation d'événements.

La LNH a cessé d'envisager d'y organiser de futurs matchs et la Fédération internationale de hockey sur glace a interdit les joueurs des équipes nationales russes et bélarusses de ses compétitions. La FIHG a également privé la Russie de l'organisation du tournoi mondial junior 2023 et du Championnat du monde masculin tandis que la Suède a déclaré que toute personne qui joue dans la KHL basée en Russie ne serait pas admissible pour jouer pour son équipe nationale.

Pourtant, la LNH continue d'importer des talents russes, comme les Predators de Nashville qui ont mis sous contrat le meilleur espoir chez les gardiens Yarsolav Askarov. Ou les Flyers de Philadelphie qui ont offert un contrat au gardien Ivan Fedotov après avoir aidé l'équipe 'ROC' (Comité olympique russe) à s'assurer une médaille d'argent aux Jeux olympiques de Pékin lorsque la Russie n'a pas été autorisée à participer sous son propre drapeau en raison de sanctions antidopage dans plusieurs sports.

Bettman a révélé que la ligue ne dissimule ni ne minimise d'aucune façon les performances des Russes, que ce soit Ovechkin qui poursuit le record de buts en carrière de Wayne Gretzky ou des joueurs comme Kucherov et Kirill Kaprizov du Wild du Minnesota qui se distinguent en séries éliminatoires.

« Leurs performances sont célébrées, tout comme Alex qui file vers l'immortalité. Nous le célébrons, et nous célébrons les réalisations de chaque joueur parce qu'ils jouent dans la LNH pour leur équipe de la LNH et pour les partisans de la LNH.

Szymanski a établi des parallèles avec l'Afrique du Sud pendant l'apartheid lorsque les équipes nationales ont été interdites, tandis que les athlètes individuels de tennis et de golf ont été autorisés à continuer à participer à leurs sports. Lui et Dwyer conviennent qu'il n'y a pas de réponses faciles pour gérer cette situation, en particulier pour une ligue comme la LNH qui a prospéré grâce à l'infusion de talents russes au cours des dernières décennies.

« Je ne sais pas s'il existe un meilleur moyen de passer à travers, a déclaré Dwyer. C'est une situation très, très compliquée. »