Les séries de la coupe Stanley offrent leur lot d’histoires inusitées ou de vedettes instantanées. Presque à chaque printemps, un joueur qu’on n’attend pas parvient à se faire remarquer d’une façon étonnante.

Tiens, prenons le cas de Warren Foegele, des Hurricanes de la Caroline, par exemple. Quand la machine des Hurricanes s’est mise en marche pour finalement éliminer les Capitals de Washington, champions en titre, qui pouvait prononcer correctement le nom de Foegele? Qui pouvait l’épeler sans faute d’un premier jet? Le gars a bouclé sa saison de 77 matchs avec 15 points. L’un des éléments-clés du renversement des Capitals, il a déjà amassé cinq buts et quatre passes dans les séries.

On pourrait aussi vous parler d’un attaquant qui, en carrière, a disputé un seul match en séries. Pourtant, son nom est gravé sur la coupe et il conserve une précieuse bague dans un coffret de sûreté à la banque. Tout cela après avoir été blanchi dans ce match, il y a 19 ans.

Steve Brûlé habite Blainville. Il a disputé trois saisons juniors avec les Lynx de Saint-Jean, dont les deux dernières en récoltant plus de 100 points. Gagnant du trophée Michel Bergeron, remis à la recrue offensive de la LHJMQ, il a été un choix de sixième tour des Devils du New Jersey en 1993. Il pouvait donc logiquement rêver à une carrière dans la Ligue nationale. Surtout qu’à sa première saison professionnelle dans la filiale des Devils, à Albany, l’équipe a remporté la coupe Calder, emblème du championnat des séries éliminatoires dans la Ligue américaine, tout en étant le meilleur marqueur des siens à cette occasion.

Cinq ans d’attente

Malheureusement, il lui a fallu patienter cinq ans avant qu’on fasse appel à ses services. Et là encore, ce n’est pas parce qu’on le voulait vraiment. Son rappel a eu lieu dans le cadre d’une manoeuvre typique dans les séries de la coupe Stanley. Une fois la saison de la filiale terminée, comme le veut la coutume, quelques joueurs sont rappelés pour composer le traditionnel groupe des réservistes appelé les « Black Aces ». Ces joueurs portent bien leur nom. Ils ne s’entraînent pas et ne voyagent pas avec l’équipe, de sorte qu’ils deviennent un peu anonymes dans la grande aventure des séries.

Au printemps 2000, ç'a été vrai pour tous les remplaçants des Devils, sauf pour Brûlé que le directeur général Lou Lamoriello a convoqué dans son bureau pour lui annoncer qu’à titre de premier joueur sur cette liste, il allait faire partie à part entière de l’équipe. Il serait ainsi de tous les entraînements, des réunions d’équipe et des exercices d’échauffement d’avant partie. Dans une situation d’urgence, Lamoriello tenait à ce qu’il soit au même diapason que tous les autres.

L’occasion s’est présentée lors de la finale de conférence contre les Flyers. Dans le tout premier match de sa vie dans la Ligue nationale, Brûlé ne s’est pas inscrit à la marque. Sa feuille de route indique seulement qu’il a disputé ce match. En somme, parce qu’il a donné quelques coups de patin dans une partie des séries, il a pu inscrire son nom sur la coupe et recevoir la bague qui l’accompagne.

« Des gens ont peut-être pensé que les Devils m’avaient tenu à l’écart de l’organisation durant toutes ces années, mais ce n’était pas le cas, raconte-t-il. J’étais avec eux depuis cinq ans. Je connaissais certains joueurs que j’avais fréquentés au sein de la filiale. J’ai vécu une expérience qui me laisse encore aujourd’hui avec de merveilleux souvenirs. Les Devils formaient un groupe très uni avec des leaders comme Martin Brodeur, Scott Niedermayer, Scott Stevens et Ken Daneyko. Durant ces séries, je n’ai jamais senti que j’étais un étranger dans le groupe. Nous vivions tous ensemble à l’hôtel, sur la route comme à la maison. Nous étions superstitieux. À l’heure des repas, nous étions huit joueurs par table et personne n’avait le droit de s’asseoir ailleurs. Moi, j’étais attablé avec Brodeur, Niedermayer et Claude Lemieux, notamment. »

Brûlé ne montre pas sa bague aux jeunes joueurs dont il a la responsabilité au sein de l’Académie de hockey Joël Bouchard, sauf quand son histoire pique leur curiosité. Quand cela se produit, il considère davantage sa bague comme un trophée. Le précieux objet lui permet de garder dans ses pensées l’image de ce moment magique, tout en lui faisant réaliser à quel point il a été chanceux de vivre pareille expérience.

Trois ans plus tard, le hasard a voulu qu’il dispute deux autres parties dans la grande ligue avec l’Avalanche du Colorado qui lui avait fait signer un contrat pour ajouter de la profondeur à son club-école de Hershey. L’entraîneur Bob Hartley, qui le connaissait déjà, lui avait permis de compléter un trio avec l’excellent marqueur Milan Hejduk et Joe Sakic.

« Quel  moment formidable j’ai vécu à cette occasion, dit-il. Sakic était mon idole de jeunesse. En définitive, je n’ai joué que trois parties dans la Ligue nationale, mais je les ai vécues toutes les trois avec énormément d’émotion. »

Une chance incroyable

Brûlé a éparpillé son long parcours de 18 ans dans le hockey en jouant dans la Ligue américaine (600 matchs), durant une saison dans la Ligue internationale et sept autres en Europe où il a terminé son stage là-bas par un championnat dans une ligue B de Suisse. Il est revenu au Québec pour y jouer deux autres années avec les Marquis de Jonquière, dans la Ligue nord-américaine. Ceux qui ont l’impression qu’il a porté ce dernier chandail pour aller se mesurer aux meilleurs bagarreurs de ce circuit font fausse route puisqu’il y a remporté le trophée attribué au joueur le plus gentilhomme.

Juste pour mesurer l’ampleur de son coup de chance au New Jersey, il faut savoir que quelques-unes des plus grandes étoiles du hockey n’ont pas eu sa chance. Marcel Dionne, qui a marqué plus de 730 buts, n’a jamais pu s’approcher d’une coupe Stanley. Le Jean Béliveau des Rangers de New York, Jean Ratelle, a participé aux séries au cours des 15 dernières années d’une carrière de 21 ans, mais il n’a aucune coupe à son crédit. Même chose pour Jarome Iginla, Gilbert Perreault, Peter Statsny, Mike Gartner, Mats Sundin, les jumeaux Sedin et Patrick Marleau qui, lui, vient de compléter sa 21e saison.

« On ne réalise pas une chose comme celle-là quand on est jeune, reconnaît Brûlé. Je suis chanceux d’avoir vécu ça. Je regarde jouer Joe Thornton qui tente encore en ce moment de gagner la coupe Stanley. Je n’ai pas réussi à évoluer dans la Ligue nationale, mais j’ai eu un beau parcours. J’ai bien vécu grâce au hockey pendant longtemps et j’ai joué dans de bons calibres de jeu. Je n’ai pas perdu mon temps dans la East Coast League. »

Sa garderie a évité le pire

Il travaille aujourd’hui au sein de l’Académie de hockey Joël Bouchard dans des programmes élites, de sport-étude et de développement. L’été, il poursuit ce boulot dans des camps de jours.

Il a aussi sa propre entreprise. Il est copropriétaire d’une garderie de 100 enfants à Sainte-Marthe-sur-le-Lac qui comprend 80 places privées subventionnées et 20 autres places privées non subventionnées. Sa partenaire en affaires est la directrice générale de l’entreprise et il s’implique personnellement dans l’entretien de l’édifice. La garderie compte 25 employés. Il considère ce projet à long terme comme son futur fonds de pension.

« C’est une chance inouïe que les inondations ne nous aient pas touchés », confirme-t-il avec un soulagement évident.

Après avoir eu besoin d’un seul match pour remporter la coupe Stanley et en voyant aujourd’hui 100 enfants, dont ils ont la responsabilité, éviter les inondations dramatiques qui ont marqué cette ville, il semble bien que Brûlé soit né sous une bonne étoile, après tout.