MONTRÉAL – Liam Heelis était encore ébranlé mercredi matin, trois jours après l’élimination de son équipe en première ronde des séries éliminatoires du circuit universitaire ontarien. Plus que quiconque, l’entraîneur-chef de l’équipe de hockey masculine de l’Université McGill semblait traverser difficilement la période d’introspection qui accompagne inévitablement la fin d’un parcours.

« Ça a été une longue et difficile saison », souffle-t-il dans les premières secondes d’une entrevue accordée à RDS.

En 2019-2020, McGill n’a pas échappé à ce qui est communément décrit comme de l’adversité dans le jargon sportif populaire. Le programme a perdu des joueurs qui désiraient consacrer plus de temps à leurs études. Ses deux capitaines, Samuel Tremblay et Nathanael Halbert, ont raté la première moitié de la saison en raison de blessures. Il s’agit de facteurs à considérer pour expliquer les résultats décevants qui ont suivi, mais qui demeurent des contretemps anecdotiques et superficiels lorsque comparés à la réelle tragédie qui les a précédés.

En septembre, une semaine avant de disputer leur premier match préparatoire, les joueurs de McGill ont été frappés de plein fouet par la nouvelle du décès de leur entraîneur-chef. Kelly Nobes était une sorte de légende sur le campus montréalais. Il avait joué pendant quatre ans pour les Rouges et s’apprêtait à entamer sa dixième saison derrière le banc de son alma mater. Il est vite devenu évident que le vide laissé par son départ ne pourrait être comblé.

« Je dirais qu’on a passé la majorité de l’année à tenter de retomber sur nos deux pieds et de retrouver nos repères, récapitule Heelis, qui a été lancé dans l’intérim à 28 ans après avoir passé deux saisons dans le rôle d’adjoint. Je lève mon chapeau aux vétérans de l’équipe qui ont fait un travail formidable pour s’occuper des plus jeunes et s’assurer que l’équipe reste soudée. Je me souviendrai de cette équipe pour l’esprit de famille qu’on a su y faire régner. »   

« C’est comme si on avait perdu notre père, compare le défenseur Dominic Talbot-Tassi. Quand on entre à McGill, on sait qu’on est là pour quatre, cinq ans. Ce n’est pas comme dans le junior où tu peux te faire échanger à tout moment. Une fois que tu entres dans le circuit universitaire – je ne sais pas c’est comment ailleurs, mais je sais qu’à McGill, on forme une famille. Le groupe des anciens reste très proche de l’équipe et tout le monde s’entraide. »

« Avec Kelly, on ne parlait jamais de hockey. On parlait toujours de comment ça allait à l’appartement, à l’école, avec la famille. C’était vraiment comme un mentor pour tous les joueurs dans l’équipe et le fait de l’avoir perdu subitement comme ça, c’était vraiment comme si on avait perdu notre personne ressource. »

« Rock and Fire »

Afin de se doter d’un noyau fort et tenter de recréer un semblant de normalité devant l’inconcevable, l’équipe a réagi au départ de Nobes en adoptant la devise « Rock and Fire ». Il s’agirait des deux éléments sur lesquels reposerait la réhabilitation du groupe meurtri.

« On a identifié des leaders qui incarnaient la force tranquille et d’autres qui inspiraient davantage par leur énergie, explique Halbert. Chacun à notre façon, on tentait de s’assurer que tout le monde reste motivé dans les périodes de découragement ou que personne ne panique dans les moments plus stressants. »

« Il n’existe pas de livre ou de mode d’emploi qui explique quoi faire quand quelque chose comme ça arrive, note le capitaine. Personne ne savait trop comment on allait s’en sortir. »

Le drame, sans surprise, a laissé des marques. Elles sont audibles dans le trémolo qui affaiblit la voie de Liam Heelis à mesure que l’entrevue s’étire.

« Je ne crois pas que notre but était de se rallier autour d’un malheur commun, de le transformer en une source de motivation, tente de nuancer Heelis. C’était plutôt de trouver un moyen de s’en sortir ensemble en créant un environnement où il est possible de se sentir vulnérable et où des jeunes hommes sont à l’aise de démarrer une conversation sur tout ce qui les tracasse. C’est difficile pour moi de répondre à leur place, mais je crois que nos joueurs, ça les a hantés pendant longtemps. Ça n’a pas été facile. »  

« Ça a peut-être été plus facile pour les jeunes dans le sens que les plus vieux, on a été capable de transmettre la tradition que Kelly nous avait transmise. Par contre, je dirais que ça a été plus dur pour les vétérans parce que nous, on n’avait plus personne vers qui se tourner. Il y avait quand même Liam et le coaching staff, mais on n’avait plus Kelly Nobes », précise Talbot-Tassi.

« On pouvait toujours comparer. Ça n’a rien à voir avec la job que Heelis a fait, il a fait une job incroyable. Mais c’est humain de se demander "Qu’est-ce que Kelly aurait fait?". C’est ce qui a été dur pour tout le monde. »

Un avenir incertain

Heelis ne sait pas encore s’il sera de retour à la barre des Rouges l’automne prochain, mais ceux qui ont joué pour lui cet hiver se disent prêts à appuyer sa candidature.

« Je pense qu’il a été la meilleure personne pour prendre le dessus, énonce Talbot-Tassi, qui avait eu Heelis comme coéquipier à sa saison recrue à McGill. Premièrement, il ne se prend pas pour un autre. Il admet tous ses torts et il sait qu’il a beaucoup à apprendre. C’est un gars qui aime apprendre, qui est super calme. Je pense que dans cette situation, il fallait quelqu’un de calme pour être capable de remettre ça sur de bonnes bases. Il était comme une présence rassurante pour les gars. »

« Il demandait souvent l’opinion des capitaines, des autres vétérans et de ses adjoints, ajoute Halbert. C’était une relation ouverte pour lui, le canal de communication fonctionnait dans les deux sens. Il ne prétendait pas détenir toutes les réponses et ne tentait pas de camoufler ses erreurs. Il a fait tout un travail dans les conditions dont il a hérité. »

« Ça a été une année d’exploration pour tout le monde, convient Heelis. J’ai vu beaucoup de gens grandir à travers cette expérience, que ça soit au sein de notre groupe de leaders ou de notre personnel d’entraîneurs, et je crois que tous ont fait un travail formidable pour gérer cette situation. »