MONTRÉAL – Alors que le Québec s’acclimate quotidiennement à cette quarantaine collective rendue nécessaire par la circulation du coronavirus, Nicola Riopel commence à souffler un peu.

Riopel est un jeune agent de joueurs de hockey. Sa firme, Propulsion Sports Agency, gère la carrière d’une trentaine d’athlètes, dont la majorité évolue outre-mer. La saison dernière, ses clients étaient dispersés en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Suède, en Slovaquie et aussi loin qu’en Chine.

La COVID-19 n’avait même pas encore été baptisée quand Riopel a commencé à voir ses opérations régulières perturbées par ce qu’il ignorait alors être la naissance d’une pandémie.  

« On était au début janvier quand un premier joueur a commencé à me dire qu’il y avait un certain virus qui circulait », identifie-t-il en se lançant dans une fascinante récapitulation.

Ce joueur avait signé un contrat à deux volets en KHL et se trouvait à Pékin avec l’équipe réserve du Kunlun Red Star. Sa saison, commencée sur fond de blessure, s’était terminée après seulement neuf matchs quand il avait été déterminé que l’opération était la meilleure option possible pour régler le problème. Le 15 janvier, il est passé sous le bistouri et est sorti de l’hôpital avec un rendez-vous de suivi prévu trois jours plus tard. On devait notamment lui enlever des points de suture.

« Mais dans les 48 heures qui ont suivi l’opération, tous les hôpitaux de la ville se sont mis en quarantaine pour traiter le fameux virus, dont on ignorait tout à ce moment-là », relate Riopel.   

« On a vite compris que la façon la plus rapide pour notre joueur de se faire traiter, c’était de revenir ici. Il a d’abord fallu s’assurer avec l’équipe que tous les traitements seraient payés. J’ai dû trouver un docteur qui allait prendre en charge le dossier et une agence de traduction pour qu’il puisse comprendre tous les documents médicaux d’origine. J’ai dû trouver un physiothérapeute qui allait superviser sa remise en forme cet été. Et quand est venu le temps d’acheter le billet d’avion, l’équipe n’avait pas pensé au fait que le joueur avait la jambe droite qui pouvait difficilement plier. Il a donc fallu demander un surclassement pour lui donner plus d’espace. »

Début mars, l’Europe a commencé à sentir l’urgence d’agir et une après l’autre, les ligues de hockey du Vieux Continent ont cessé d’opérer. Le 10, la DEL en Allemagne et l’EBEL en Autriche ont donné le ton. Elles ont été imitées le 11 par l’Extraliga slovaque. Le 13, la Magnus, en France, et la Liiga, en Finlande, ont emboîté le pas. Le 15, c’est la Suède qui s’est rendue à l’évidence.

Dans les bureaux de Propulsion, ça a été le branle-bas de combat pour rapatrier tout le monde rapidement et de façon sécuritaire.

À Trencin, en Slovaquie, les joueurs ont été convoqués pour leur rencontre de fin d’année jeudi le 12 mars et les dispositions ont été prises pour que tous les joueurs étrangers quittent au cours de la fin de semaine. Mais les conditions ont rapidement changé. Le vendredi, le gouvernement slovaque a pris exemple sur les États-Unis et a annoncé la fermeture de ses frontières.

« Pour mon joueur et sa famille, le trajet le plus facile était de partir de Vienne, en Autriche. Mais le vol était prévu pour le dimanche et maintenant qu’ils devaient quitter le pays plus rapidement, le club était réticent à payer plus d’une nuit à l’hôtel. Il a donc fallu devancer leur vol parce qu’en plus, les chauffeurs de l’équipe ne voulaient plus sortir le samedi, sachant qu’ils devraient se mettre en quarantaine à leur retour. »

Avec un enfant de 3 ans et un poupon de 5 mois sur les bras, le joueur de Propulsion a vidé son appartement en vitesse, a passé la nuit dans une chambre d’hôtel à rabais et a finalement pu rentrer au Québec

Des joueurs expatriés en France ont été confrontés à une réalité similaire quand ils ont dû faire une escale de deux jours en Angleterre puisque leur itinéraire original les faisait passer par Newark, au New Jersey, alors qu’ils n’étaient plus les bienvenus au pays de Donald Trump.

« Une chose dont je suis très fier, c’est que durant tout le processus, nos joueurs ont été mis au courant des changements de procédure au Québec et tous, sans exception, se sont mis en quarantaine volontaire à leur arrivée, tient à souligner Riopel. Je sais que des fois ça peut être difficile après ne pas avoir vu leur famille pendant plusieurs mois. Mais tous les gars ont pris ça avec beaucoup de sérieux. »

Planifier dans l’inconnu

Pour Riopel et son partenaire Étienne Lafleur, le casse-tête est loin d’être résolu maintenant que tout le monde est rentré à la maison. Même si le monde du sport est en arrêt complet, les préparatifs pour la prochaine saison sont déjà enclenchés.

« C’est sûr que c’est une priorité, insiste l’ancien gardien de but. Veux, veux pas, c’est la même chose chaque année. Les camps d’entraînement commencent fin juillet, début août et la procédure pour l’attribution de visas de travail prend entre quatre et six semaines. Pour moi, le  gros du recrutement se fait habituellement en avril, mai et juin. Ce sont vraiment des mois déterminants. Mars, c’est comme un tampon qu’on utilise présentement à notre avantage. »

« Les derniers jours, les dernières semaines, ce n’était pas le meilleur moment pour parler aux directeurs généraux parce que la priorité, c’était vraiment d’assurer la sécurité des joueurs. Mais maintenant que la tempête est passée, le monde commence à se parler pour l’année prochaine. On est en plein là-dedans. »

Riopel, qui doit trouver un contrat pour une vingtaine de membres de son écurie en vue de la saison 2020-2021, anticipe une période de négociations remplie de petits ajustements, autant pour les agents que les dirigeants d’équipes. Il imagine par exemple un scénario où certains contrats pourraient couvrir une période de huit mois au lieu de neuf, ce qui permettrait aux clubs de réaliser des économies sur le coût des loyers qu’ils consentent à leurs joueurs.  

Aucune idée ne sera à négliger dans un contexte économique qui risque d’être difficile à la sortie de la crise.

« Dans la majorité des clubs d’Europe, contrairement à l’Amérique du Nord, ce sont les commanditaires qui paient les salaires des joueurs, explique Riopel. Ce sont des entreprises, petites ou grosses, qui risquent d’avoir moins d’argent à donner l’an prochain. Peut-être certaines d’entre elles décideront-elles de se retirer complètement? Plusieurs DG avec lesquels je suis en discussion tentent toujours de savoir quel sera leur budget. »

Les clubs européens pourraient aussi ne pas avoir les moyens de se garder 100 000 euros de côté dans l’attente d’un joueur qui décide de faire ses valises à la dernière minute après s’être fait retrancher d’un camp de la Ligue nationale ou de la Ligue américaine.

La fin de saison en queue de poisson que plusieurs ont vécu dans la ECHL, qui a privé ses joueurs de précieux revenus en mettant la clé dans la porte sans possibilité de reprise, pourrait aussi influencer la réalité des agents. Riopel n’exclut pas de voir des joueurs de la « Coast » tenter d’améliorer leur sort en acceptant des salaires inférieurs à la norme en Europe, déréglant ainsi le marché.

« Je m’attends à ce que ça touche l’économie de plusieurs personnes, conclut-il. Je veux être positif avec les joueurs. Je suis confiant, parce que mes joueurs ont connu d’excellentes saisons, mais il va falloir faire avec les budgets des équipes. »

En attendant d’avoir de bonnes nouvelles à annoncer, Riopel attend de ses clients qu’ils se gardent en forme malgré les conditions qui sont loin d’être idéales. Il a déjà établi un contact avec les entraîneurs qui supervisent l’entraînement de ses poulains durant la saison morte et un plan est en gestation pour réagir à une fermeture prolongée des installations sportives de la province.  

« Il faut faire tout en notre pouvoir pour que les joueurs continuent à se sentir encadrés et que d’ici deux à trois semaines, après s’être reposés, ils puissent recommencer à s’entraîner d’une façon novatrice. Parce que malheureusement, je ne pense pas que la réouverture des gyms va se faire d’ici deux semaines. »