Comment le Canadien a-t-il pu en venir là? Comment une organisation, qui a vraiment tout pour que ça fonctionne, à commencer par une clientèle qui l'aime d'amour et qui lui pardonne aveuglément son incapacité chronique à redevenir une formation gagnante, a-t-elle pu faire confiance à tant de dirigeants plus ou moins capables de faire une différence?

Ronald Corey, qui a profondément aimé cette équipe, ne doutait pas une seconde qu'il pavait la voie à une longue série de nominations extrêmement coûteuses quand il a cavalièrement expulsé Serge Savard d'une organisation qu'il avait contribué à faire gagner.

Vous ne croiserez pas souvent une meilleure personne que Réjean Houle, un gars dévoué, généreux, qui n'hésiterait pas à vous donner sa dernière chemise. D'ailleurs, c'est parce que Corey lui a demandé de servir à nouveau le Canadien qu'il a accepté sans trop réfléchir un poste pour lequel il n'avait aucune compétence. Le job de directeur général nécessite que le candidat connaisse la ligue de fond en comble. Or, Houle vendait de la bière chez Molson depuis 10 ans quand le poste lui a été offert.

À peine deux mois après avoir chaussé les énormes souliers de Savard, Houle s'est vu dans l'obligation d'échanger un athlète passionné, assoiffé de victoires, déjà gagnant de deux coupes Stanley, d'autant de trophées Conn Smythe et de trois trophées Vézina, qui avait déjà parcouru une bonne partie de la route menant au Panthéon de la renommée.

C'était la transaction qui aurait pu permettre au Canadien de réussir un coup d'éclat capable d'assurer son succès durant quelques saisons. Échanger son joueur de concession sous-entend qu'on porte le grand coup pour changer la face de l'équipe. Or, loin d'avoir pu profiter de l'exil de Roy pour se renforcer, le Canadien s'est royalement fourvoyé en obtenant des joueurs qui n'ont pas fait long feu à Montréal. L'organisation aurait pu faire trois pas en avant. Il en a fait deux en arrière.

Ne blâmez pas Houle uniquement. Blâmez celui qui a fait de lui un directeur général et qui, peu de temps après, lui a conseillé d'effectuer cette transaction majeure en toute hâte afin de ramener le calme dans la ville et dans les médias. Au lieu de placer trois ou quatre équipes en compétition pour faire grimper les enchères, Houle a tout de suite téléphoné à l'organisation la plus susceptible d'accueillir son gardien à bras ouverts, l'Avalanche du Colorado. Sans un véritable pouvoir de négociations, Houle et tous ceux qui l'ont conseillé ont été endormis par un directeur général rusé, Pierre Lacroix.

L'improvisation, qui allait marquer les prochaines années, était bien lancée.

Geoff Molson est à blâmer, lui aussi

Le Canadien n'a jamais représenté une équipe très crédible depuis sa dernière coupe. Tant sur la glace qu'à l'étage supérieur. André Savard a probablement été le meilleur directeur général de l'équipe depuis le remplacement du Sénateur, même s'il était loin de jouir de l'expérience de Bob Gainey et de Pierre Gauthier. Il est celui qui a commis le moins d'erreurs. Malgré le fait qu'il soit parvenu à restructurer un secteur du recrutement d'une inefficacité gênante, il a été tassé sans trop de considération par Gainey. Mis de côté, rarement consulté, il a préféré partir.

Tout ça pour en arriver au gâchis d'aujourd'hui causé par un directeur général, montréalais pure laine, qui se comporte comme si le fait français n'avait la moindre importance au sein de l'organisation la plus titrée du hockey. On ne dressera pas la liste de toutes les bévues commises par Gainey, la plupart sous la profonde influence de Gauthier. Vous les connaissez déjà.

La dernière gaffe de Gauthier a été de trop. Elle a plongé le Canadien dans l'embarras et écorché l'image d'homme d'affaires de son propriétaire. Même si M.Molson est dans ses petits souliers en ce moment, il doit accepter une bonne part de blâme pour ce qui vient de se passer. N'a-t-il pas entériné la décision de remplacer Jacques Martin par Randy Cunneyworth, ne serait-ce que sur une base intérimaire? Cela ne nous étonne pas de Gauthier, qui affiche rarement un préjugé favorable envers les Francophones, mais Geoff Molson? Comment a-t-il pu ne pas appréhender la réaction négative du public?

Si M. Molson avait déjà sa petite idée concernant le grand ménage qu'il effectuera sûrement à la fin de la saison, pourquoi n'a-t-il pas jugé bon de recommander à Gauthier de terminer la saison avec Jacques Martin? Pourquoi n'a-t-il pas suggéré en deuxième lieu le rappel temporaire de Clément Jodoin de la filiale de Hamilton? La solution aurait été pas mal moins dommageable que celle de choisir un coach unilingue pour écouler les 50 derniers matchs.

Était-ce urgent à ce point?

Quelle était l'urgence pour Gauthier de passer aux actes? Avait-il atteint un tel point de non-retour avec son ex-entraîneur qu'il lui aurait été impossible de tolérer sa présence durant les quatre derniers mois de la saison?

La vérité, c'est que Gauthier n'a pas semblé réaliser le problème linguistique et d'image qu'il allait soulever. Il a pensé hockey et rien d'autre, comme lorsqu'il était le patron à Ottawa et à Anaheim où la langue ne présentait aucun problème pour lui.

On lui reproche de ne pas avoir prévu un plan B en préparant une relève francophone derrière le banc, mais s'il ne l'a pas fait, c'est probablement que son plan B s'appelait Randy Cunneyworth. Ce faisant, il n'avait nullement besoin d'un coach francophone dans sa très maigre banque de successeurs potentiels. Gauthier s'est peinturé dans le coin en négligeant ce facteur pourtant primordial. En voulant diriger seul sa barque, en n'écoutant personne, il s'est isolé. Il n'a jamais été aussi seul depuis samedi.

Geoff Molson n'apprécie pas d'être tourné en ridicule en ce moment. Il n'aime sûrement pas qu'on lui reproche de ne pas être en plein contrôle de l'organisation la plus en vue au Québec. Il doit bouillonner intérieurement quand on l'accuse de ne pas avoir été le chien de garde d'une langue essentielle au succès de son entreprise. Il est actuellement embourbé dans une situation qu'il ne pourrait modifier subito presto sans s'exposer à plus de ridicule encore.

Tout cela à cause du mode de gestion de son directeur général qui ne convient pas du tout à un marché comme celui de Montréal.

Gauthier n'a-t-il pas déjà déclaré haut et fort qu'à talent égal, il ne se sentait pas l'obligation d'opter pour le produit québécois. Dans son vocabulaire, l'expression «à talent égal» n'existe pas car, selon lui, on ne peut jamais tomber sur deux athlètes totalement identiques. Une excuse en or pour se détacher de cette responsabilité cruciale.

Les exemples de détachement du Canadien en général et de Gauthier en particulier pour le fait français ne datent pas de la dernière semaine.

Gauthier n'a-t-il pas été vite sur la gâchette pour se débarrasser de Guillaume Latendresse et de Maxim Lapierre?

Il était le précieux conseiller de Gainey quand ce dernier a promis d'accorder une réponse à l'agent d'Alex Tanguay et de François Beauchemin, deux joueurs autonomes, sans jamais les rappeler par la suite.

Et que dire de la réponse que Gainey avait faite à l'agent de Denis Gauthier quand, à la fin d'une entente lui ayant rapporté deux millions $ par saison chez les Flyers, le rude défenseur s'était dit prêt à terminer sa carrière avec le Canadien à un salaire avoisinant les 800 000 $.

«Keep calling the other clubs», avait-il répondu sèchement à l'agent francophone.

Gauthier n'était pas la réincarnation de Doug Harvey, mais il aurait vigoureusement brassé la cage au sein d'un groupe de défenseurs jouant depuis trop longtemps comme des mauviettes.

Il y aura un prix à payer

Il y a deux semaines, à l'occasion de la réunion des gouverneurs de la ligue, Geoff Molson avait accordé un vote de confiance à ses deux hommes de hockey. Gauthier et Martin n'avaient pas à craindre pour leur boulot cette saison, avait-il dit.

Deux semaines plus tard, Gauthier l'a fait passer pour un menteur en remerciant Martin. Non seulement est-il allé contre l'engagement formel du propriétaire, mais il a pris une décision qui obligera Molson à lancer trois millions de dollars par la fenêtre.

Depuis quelques jours, M. Molson a perdu la belle envergure qu'il affichait le jour où il a pris l'entier contrôle de l'équipe. Il y aura un prix à payer pour ce qui vient de se passer, mais il ne sera pas le seul à le payer, soyez-en sûr. Gauthier n'aura plus jamais l'occasion de le placer dans une situation gênante. C'est terminé pour lui. Il est devenu un employé par intérim, lui aussi. Comme Cunneyworth, il est cuit.

Le Canadien, incapable de se rebâtir sur la glace depuis une quinzaine d'années, devra maintenant s'appliquer à refaire une image corporative ternie par l'incompréhension et le manque de clairvoyance de son directeur général.

Quant à celle de Geoff Molson, elle ne prendra du mieux que lorsqu'il fera maison nette. Pas avant.