La glissade du Canadien pourrait déboucher sur un bien triste printemps au Québec. La dernière défaite contre les Panthers de la Floride n'a fait qu'alimenter la grogne et le désir d'une bonne partie du public de voir rouler des têtes au Centre Bell.

La formation du Canadien fait du sur place, une situation intolérable aux yeux de la majorité. Lundi, le retour de Jaroslav Spacek et l'entrée en scène de deux plombiers de quatrième trio, Petteri Nokelainen et Michael Blunden, n'ont fait aucune différence contre un adversaire exclu des séries éliminatoires à ses 10 dernières saisons. Le vent de panique qui soufflait déjà pas mal fort sur la ville risque de se transformer en bourrasques avec la venue des Flyers ce soir et lors des deux affrontements suivants contre les champions de la coupe Stanley qui ne pouvaient arriver à un plus mauvais moment. Comptez sur les Bruins pour exploiter la situation en tentant de les humilier encore un peu plus.

Être montré du doigt dans cette ville n'est jamais reposant. Parlez-en à Scott Gomez. Parlez-en à Pierre Gauthier et Jacques Martin. Parlez-en également à une légende tricolore, Bob Gainey, qui était revenu au sein de l'organisation en héros et qui est reparti dans une quasi-indifférence. L'histoire retiendra d'ailleurs qu'il a refilé au Canadien un cadeau empoisonné en Gomez qui n'en finit plus de coûter des millions et de rapporter des miettes.

Quand Gainey a signifié à l'ex-président Pierre Boivin son intention de partir - du moins on présume que les choses se sont passées de cette façon -, son remplaçant était déjà tout trouvé. Il y avait déjà un bon moment que le bras droit de Gainey, Pierre Gauthier, tirait les ficelles.

Gauthier, qui avait gardé le fort pendant que Gainey était occupé à cuver son chagrin à la suite de la mort tragique de sa fille Laura, disparue en mer à 25 ans, avait eu le temps de prouver à Boivin qu'il avait tout ce qu'il fallait pour assurer la relève. Disons qu'il aurait été difficile d'ignorer un membre de l'équipe qui avait déjà joué le même rôle à Anaheim et à Ottawa. Pour Boivin, il était donc l'homme idéal pour assurer la suite des choses.

Néanmoins, toute l'expérience du monde ne laisse jamais un homme à l'abri des erreurs. Au cours de l'été, Gauthier a cru avoir pris des décisions qui allaient permettre d'assurer la progression de l'équipe après un printemps générateur d'espoir.

Sans doute sur la recommandation de spécialistes, il a accordé un contrat de trois ans à Andreï Markov qui pourrait hanter l'organisation pendant longtemps. Le risque était grand, car Markov était à une mise en échec près d'une fin de carrière. Dans les circonstances, Gauthier a négligé de protéger ses arrières en laissant filer l'infatigable guerrier de l'an dernier, Roman Hamrlik, parce qu'il exigeait une entente de deux ans. La vraie nature de la dégringolade du Canadien, c'est celle-là. Deux vieux usés à la corde, Hal Gill et Jaroslav Spacek, essaient tant bien que mal d'aider l'équipe au sein d'une garderie à la ligne bleue. Comment voulez-vous que ça marche quand il n'y a aucune transition entre la défense et l'attaque?

Il est également un peu tôt pour analyser le bien-fondé d'un magot accordé à Erik Cole. C'est long quatre ans quand un athlète ne démontre rien de très encourageant, en bonne partie, faut-il le dire, parce que son nouvel entraîneur l'a laissé sur les lignes de côté dès le départ.

On ne peut pas ignorer que Gauthier ait exercé une influence assez évidente sur les décisions de Gainey qui n'a plus jamais été le même après la tragédie qui lui a fait réaliser qu'il y a une vie bien avant le hockey. On pense notamment au rôle qu'il a joué dans le remue-ménage qui a vu une dizaine de joueurs quitter l'équipe il y a deux ans sans qu'on n'obtienne quoi que ce soit en retour.

Et que dire de l'embauche de Jacques Martin? Gainey n'avait aucune affinité avec Martin. Il n'aurait pas été son choix si Gauthier ne l'avait pas envoyé dans cette direction.

Tout le monde est bon, tout le monde est compétent

Depuis trop longtemps, les hauts dirigeants du Canadien ont commis l'erreur d'imaginer leurs hommes de hockey dans la peau de surhommes. La crème de la crème, c'était toujours à Montréal qu'elle existait.

L'ancien propriétaire George Gillett, qui s'y connaissait nettement plus en traitement de la viande qu'en hockey, n'avait-il pas déclaré que le duo André Savard-Claude Julien était le meilleur de toute la Ligue nationale? Ne croyait-il pas dur comme fer que Gainey était un génie?Pierre Boivin, qui s'était rendu chez Gainey à Dallas pour le convaincre de venir reconstruire l'équipe, le considérait lui aussi comme un sauveur capable de marcher sur les eaux.

Plus tard, Gauthier a convaincu à son tour Gainey et Boivin que Jacques Martin était l'entraîneur le plus apte à les conduire à la Terre promise. Deux ans et demi plus tard, ni Gauthier ni Martin n'ont rempli leurs promesses alors que le Canadien patauge honteusement en 29e place.

Voilà où on en est. Des hommes de hockey passent et viennent en étant largement surévalués. On les voit si gros, si forts, qu'on leur accorde un chèque en blanc. Quand ils ont besoin de millions pour attirer des joueurs à Montréal, on les laisse piger à pleines mains dans la caisse. S'ils identifient des athlètes capables de les mener à la coupe Stanley (ce qu'ils ont fait dans le cas de Gomez, Cammalleri et Gionta) ils les embauchent sans égard au prix qu'ils coûtent et au millage qu'ils ont dans le corps.

Par ailleurs, si Gillett était aussi généreux de ses commentaires à l'endroit de son personnel hockey, c'est parce qu'il répétait devant les médias ce qu'il entendait dans les couloirs du septième étage. Il en va de même aujourd'hui pour le propriétaire-président Geoff Molson. S'il s'est permis il y a quelques jours à peine d'affirmer que son équipe possédait les éléments pour gagner la coupe Stanley, qui l'a convaincu de cela, croyez-vous?

M.Molson est un brillant administrateur qui a grandi dans une famille de hockey. Son expertise est nettement supérieure à celle de son prédécesseur du Colorado, mais ça ne veut pas dire qu'il connaît bien la ligue pour autant. Alors, quand son directeur général lui dit que ce n'est qu'une question de temps avant le Canadien mérite une 25e coupe Stanley, il prend sa parole. Après tout, au salaire qu'il les paie, Gauthier et Martin doivent sûrement savoir de quoi ils parlent.

Mais, en même temps, je me dis que le sympathique propriétaire est trop intelligent pour conclure que l'absence d'Andreï Markov est l'unique raison de cette dégradante 29e place. L'écrasement général dont nous sommes témoins en ce moment suscite une question. Pourquoi les Penguins de Pittsburgh restent-ils une puissance de la ligue sans Sidney Crosby et Evgeni Malkin? Pourquoi ont-ils connu une saison de 106 points quand ces deux-là ont manqué un total combiné de 80 matchs l'an dernier?

Qu'est-ce qui fait le plus mal, je vous le demande? Perdre le meilleur joueur de la ligue et l'un des cinq meilleurs ou perdre Markov? À Pittsburgh, le personnel de soutien a pris les choses en main. Les joueurs en ont donné davantage pour alléger les effets de deux pertes aussi grandes. Ici, personne ne s'est levé pour la peine. Gomez, Gionta et Cammalleri ont un total combiné de trois buts cette saison. La peste des Penguins, Matt Cooke, en a marqué autant à lui seul.

Tant que cela ne fera pas vraiment mal

Il faudra prendre son mal en patience, car il n'y aura pas de congédiements avant un bon moment. Gauthier va protéger son entraîneur, un ami de longue date, le plus longtemps possible. M. Molson va leur accorder du temps puisqu'il semble avoir la même confiance en Gauthier que Boivin en avait en Gainey.

Néanmoins, c'est inadmissible que l'équipe ait perdu tous ses matchs à domicile. C'est inconcevable qu'elle passe actuellement le balai dans la cave du circuit.

Il y a tant de décisions sur lesquelles on pourrait revenir. Pourquoi, par exemple, Martin a-t-il attendu au huitième match de la saison pour utiliser en supériorité numérique Erik Cole sur qui son propriétaire a investi 18 millions?

Quand Geoff Molson en viendra-t-il à la conclusion que le temps est venu de passer à autre chose?

--Quand il réalisera que ses hommes de hockey, après un dernier printemps rempli de promesses, sont incapables de les amener plus loin.

--Quand il comprendra que le Canadien, qui a fait la fierté de son grand-père et de son père, régresse au lieu d'avancer vers l'ultime objectif.

--Quand les précieux points perdus finiront par sortir l'équipe des séries, provoquant pour son groupe de partenaires un manque à gagner de quelques dizaines de millions de dollars. Bref, pas avant que la situation n'affecte son portefeuille.

Déjà, il y a des sièges inoccupés dans le Centre Bell. Les places de stationnement sont plus faciles à obtenir à l'intérieur de l'édifice. Moins de clients signifie moins de revenus à la billetterie et aux concessions. Et nous ne sommes qu'en octobre.

Il ne faudrait pas qu'il en vienne à se demander si le Canadien, que ses partenaires et lui ont acheté au coût de 600 millions $, n'a finalement de prestigieux que son passé.

En somme, il faudra vraiment que M.Molson soit piqué au vif dans sa fierté de propriétaire pour faire le ménage. Je ne crois pas qu'il en soit là encore.