Forte de ses 1,3 milliard d’habitants, la République populaire de Chine a chamboulé chaque sport olympique dans lequel elle s’est donné le mandat de dominer le monde. Après le patinage de vitesse et le patinage artistique, le Dragon chinois s’attaque au hockey sur glace. Dans le cinquième et dernier texte de cette série d'articles, Alexandre Pouliot-Roberge nous parle du premier joueur chinois à jouer dans la LNH.

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Dans les années 20, le Canada est un pays d’apartheid. Les enfants autochtones sont arrachés à leur famille pour être évangélisés dans des pensionnats. Dans les prairies, les écoles des Francophones sont les cibles du Klu Klux Klang. En Colombie-Britannique, la cible de prédilection est la communauté chinoise.

À la fin du dix-neuvième siècle, beaucoup d’immigrants chinois traversent l’océan Pacifique pour refaire leur vie en Amérique. Au Canada, 15 000 d’entre eux ont travaillé dans la construction du chemin de fer Canadien Pacifique. Malgré leur participation cruciale à la construction des infrastructures du pays, les Chinois sont soumis à une loi d’exclusion honteuse.

Larry KwongEn 1885, Ottawa adopte une loi pour freiner l’immigration chinoise. Chaque Chinois doit payer 50 $ pour traverser la frontière, une chose imposée à aucun autre groupe ethnique. En 1923, le gouvernement fédéral durcit la loi. Les Chinois sont interdits d’immigration au Canada et ceux déjà présents sur le territoire sont privés de plusieurs droits fondamentaux, dont celui de voter. C'est dans ce climat de ségrégation qu’est né Larry Kwong, une future vedette du hockey.

« Durant ma jeunesse, j’ai vécu beaucoup de discrimination. On m’a déjà refusé de me couper les cheveux uniquement parce que j’étais chinois. »

Né en 1923 à Vernon en Colombie-Britannique, Larry Kwong tombe en amour avec le hockey durant son enfance. Il convaincra sa mère de lui acheter des patins en lui promettant de lui acheter une maison dans le futur, une promesse qu’il tiendra quelques années plus tard.

Kwong fait preuve de talent dès son jeune âge. Malgré ses atouts, il ne réussit pas à se tailler une place dans le hockey senior en Colombie-Britannique. Durant la Seconde Guerre mondiale, Kwong est enrôlé, mais il ne sera pas envoyé au front. Il jouera des matchs de hockey pour distraire les soldats. C’est seulement après la guerre, en 1946, qu’il aura enfin sa chance de devenir un hockeyeur professionnel.

« Franck Boucher était l’entraîneur des Rangers à l’époque. Il est venu me voir et il m’a demandé si je voulais rejoindre les Rovers de New York. J’ai accepté. Lorsque j’ai rejoint le club, j’ai été bien accueilli par mes coéquipiers. Il y avait de très bons joueurs dans cette équipe et j’ai eu du succès avec ces gars-là. »

Un match historique

Les Rovers jouent dans l’Eastern Hockey League (EAHL) à l’époque et ils occupent la fonction de club-école des Rangers de New York. À sa première saison, Larry Kwong connaît une bonne saison. En 47 matchs, il compte 19 buts et il récolte 18 aides pour produire 37 points. L’année suivante, les Rovers ont évolué dans deux ligues. En plus de jouer dans l’EAHL, Larry Kwong a participé à 48 joutes dans la Ligue de hockey senior du Québec (LHSQ). Ce n’est toutefois pas dans ces ligues qu’il a marqué l’histoire.

« Boucher est venu me voir et il m’a dit que j’allais jouer pour les Rangers. J’étais heureux. J’attendais ce moment depuis longtemps. »

Les BravesEn date du 13 mars 1948, Larry Kwong devient le premier hockeyeur non blanc à jouer dans la LNH. Le tout se déroule au Forum de Montréal contre le Club de hockey canadien. Les choses ne se déroulent toutefois pas comme Kwong l’aurait souhaité. L’entraîneur le garde sur le banc jusqu’en troisième période avant de lui accorder moins d’une minute de jeu. Le numéro 11 des Rangers se débrouille bien, mais on ne lui redonnera pas de seconde chance. Beaucoup estiment encore aujourd’hui que Kwong a été victime d’une injustice. Gaston Legault, de Valleyfield, fait partie de ceux-ci.

« C’est un fait. Larry Kwong n’a pas eu de chance. Être envoyé sur la glace dans les deux dernières minutes du match pour ne jouer que quelques secondes, je n’appelle pas cela un essai. Larry était sorti très malheureux de cette histoire. »

À 80 ans, Gaston Legault est une encyclopédie vivant dans le domaine du hockey senior. Dans les années 40 et 50, il est un grand partisan des Braves de Valleyfield. Le club a joué dans la Ligue de hockey senior du Québec de 1945 à 1955. Il a même écrit un livre intitulé « Il était une fois les Braves. » Mr Legault explique comment Larry Kwong s’est trouvé un nouvel emploi.

« Le propriétaire des Braves, Arthur Vinette, apprit que Larry Kwong n’était pas satisfait de son utilisation à New York. C’est Gerry Glaude des Rovers qui l’a informé de la chose. Glaude avait joué pour les Braves lors de la saison 1946-47 et il était resté en bon terme avec le club. »

Kwong rejoint donc les Braves à l’été 1948. Selon Gaston Legault, l’annonce de sa mise sous contrat a eu un impact monstre sur la ville de Valleyfield.

« À la une du journal local, on pouvait lire : “King Kwong avec les Braves.” Larry Kwong est devenu une attraction partout dans la ligue. À Valleyfield, il jouait durant toutes les supériorités numériques. Il se positionnait à la pointe et il faisait des passes très précises. Il est même inventé le concept du “bureau de Wayne Gretzky”. Lorsqu’il était derrière le filet, il faisait des passes exactement comme Wayne Gretzky durant les années 80. »

Gaston Legault n’est pas le seul à parler de Larry Kwong avec autant d’enthousiasme. Bert Bourassa a joué avec Larry Kwong deux saisons au sein des Braves. À 86 ans, l’ancien défenseur a gardé des souvenirs mémorables du célèbre King Kwong.

« Larry, c’était un joueur merveilleux. Il travaillait très fort et il se présentait à tous les matchs. Il faisait des montées terribles. Il avait toutes les qualités pour jouer dans la LNH. Il était rapide et il faisait des passes extraordinaires de l’arrière du filet. Un peu comme le faisait Gretzky. »

Bert Bourassa est mis sous contrat par les Braves à l’été 1950. Il est mis sous contrat par nul autre que Toe Blake, puisque l’ancienne vedette du Canadien y commence sa carrière comme entraîneur-chef. Blake construit savamment son équipe et il remporte la coupe Alexander, le trophée ultime de la LHSQ. Avec les Braves, Larry Kwong a finalement été sacré champion.

Amoureux de Valleyfield

Larry Kwong a vécu huit ans au Québec. L’homme de 93 ans parle toujours en bien des Francophones aujourd’hui. Kwong a d’ailleurs fait l’effort d’apprendre le français à l’époque. Gaston Legault le confirme.

« Il a appris le français à Valleyfield grâce à Kitoute Joannette. Kitoute, c’était tout un pistolet. J’ai déjà demandé à Larry Kwong qu’est-ce Joanette lui a appris à dire en français en premier. Larry m’a répondu que c’était, “voulez-vous coucher avec moi ce soir.” Ce n’était pas une mauvaise idée, car Larry était très populaire auprès des femmes. Lorsqu’un spectateur lui a demandé pourquoi il était toujours célibataire, Kwong a répondu que “personne ne voulait lui.” Ça l’a fait éclater tout le monde de rire. »

Rosario « Kitoute » Joannette est une légende locale à Valleyfield. Il a été une vedette de la Ligue senior et un excellent joueur de baseball. Il a aussi joué quelques matchs pour le Club de hockey canadien. Gordie Haworth, un autre ancien coéquipier de Larry Kwong, se souvient des tours pendables qu’a joués Joannette au Chinois le plus populaire du hockey.

« Larry était très gentil et il ne s’énervait pas pour rien. Kitoute en profitait pour lui tendre des pièges de toutes les sortes dans le vestiaire. Lors des trajets en autobus, durant son sommeil, Kitoute lui coupait ses cravates! »

Gordie Haworth parle de Larry Kwong comme d’un homme serein lors de son passage à Valleyfield. King Kwong y a même fondé un restaurant avec l’aide d’André Corriveau. Un restaurant dont se souvient très bien Jacques Deslaurier, un autre gagnant de la coupe Alexander de 1951.

Larry Kwong« Nous allions souvent manger à son restaurant. C’était un très bon établissement où on mangeait des vrais mets chinois. Il en était lui-même le gérant. C’était toujours bondé de monde. »

Gaston Legault aborde dans le même sens. Le restaurant de Larry Kwong est même devenu un endroit stratégique pour rencontrer la vedette des Braves.

« C’était un restaurant très couru à Valleyfield. Beaucoup de partisans s’y déplaçaient uniquement pour lui serrer la main. D’ailleurs Larry Kwong avait les cheveux longs à cette époque. Il portait donc un filet à cheveux lors des matchs. Un filet exactement comme ceux qu’on trouve dans la restauration! »

Le contact avec le public est aussi très bon. Généreux de son temps, Larry Kwong accueille toujours à bras ouverts les partisans comme l’explique Bert Bourassa.

Larry Kwong« Il n’a jamais refusé de signer un autographe. Il pouvait rester quelques heures uniquement pour faire plaisir aux amateurs. C’était un homme tellement gentil. Nous avons eu beaucoup de plaisirs avec lui. Il est était très fier de jouer pour les Braves. »

La vie de rêve à Valleyfield a toutefois pris abruptement fin. À l’été 1955, les Braves déménagent à Trois-Rivières pour devenir les Lions. Cela est dû au départ de Jean Béliveau pour la LNH. Un transfert qui provoquera un effondrement soudain de la LHSQ. Larry Kwong jouera une demi-saison à Trois-Rivières, mais le déménagement lui fait mal. Il quittera le Québec pour jouer aux États-Unis avant de terminer sa carrière en Suisse.

Larry Kwong vit aujourd’hui à Calgary. Depuis quelques années, les honneurs se succèdent. Des reportages ont été enfin publiés à propos de son exploit. Une livre a aussi été écrite par Paula Johanson de l’Université de Victoria en Colombie-Britannique. Cette même province l’a intronisé au sein de son Panthéon du sport. Kwong ne sera donc pas oublié, mais il souhaite que d’autres brandissent son flambeau dans le futur.

« Lorsque Andong Song a été repêché, j’ai été très heureux. Toute ma carrière, j’ai souhaité que d’autres Chinois jouent aussi dans la LNH. »

Depuis l’obtention des Jeux olympiques par la ville de Beijing, les chances de voir un autre rêve de Larry Kwong se réaliser sont plus fortes que jamais. À 93 ans, l’ancienne vedette des Braves peut dormir en paix, car lorsque la Chine s’éveillera, la LNH, elle aussi, tremblera.