LAVAL – Mardi soir, Charlie Lindgren est allé rejoindre son frère Ryan à l’hôtel où logeait le Wolf Pack de Hartford en prévision de son duel contre le Rocket de Laval. Les deux sont sortis manger des sushis et sont revenus digérer devant la télé. Ils ont regardé un épisode de la télésérie This is us – les deux assurent qu’ils ont su retenir leurs larmes – puis Charlie est allé reconduire son visiteur. Ils se sont serré la main et se sont souhaité bonne chance.

 

Le lendemain matin, chacun dans leur coin des coulisses de la Place Bell, les deux frangins étaient replongés dans une relation d’une toute autre dimension, une nouvelle réalité à laquelle ils ne sont pas encore tout à fait habitués, mais qu’ils ne détestent vraiment pas.

 

Pour la première fois de leur vie, les deux frères sont des adversaires.

 

Charlie est de quatre ans l’aîné de Ryan. Leur première occasion de s’affronter au hockey organisé est survenue en 2016. Avec ses coéquipiers du programme de développement national américain, Ryan était débarqué à St. Cloud pour un match contre l’équipe universitaire du réputé entraîneur Bob Motzko. Charlie, un étudiant-athlète de troisième année, était le gardien partant des Huskies, mais il venait de jouer deux matchs en autant de soirs et avait été laissé de côté pour le troisième.

 

Quelques mois plus tard, Charlie avait signé son premier contrat professionnel avec le Canadien. Ryan, un défenseur que les Bruins de Boston ont envoyé aux Rangers de New York dans la transaction qui leur a permis d’acquérir Rick Nash, l’a imité l’année dernière et a aussitôt fait ses débuts dans la Ligue américaine. Le décompte était amorcé et la réunion de famille désormais inévitable. La grande première a eu lieu le 7 octobre dernier lors de la visite du Rocket au Connecticut.

 

« C’est un match qui a énormément fait jaser au sein de la famille, racontait le gardien du Rocket à quelques heures du deuxième chapitre de la rivalité. Tu aurais dû voir les conversations que ç’a provoqué sur notre groupe de textos! Évidemment, Ryan n’arrêtait pas de dire qu’il allait tenter de marquer un but contre moi. C’était très important pour moi de m’assurer que ça n’arrive pas parce que je sais que j’en aurais entendu parler pour le reste de ma vie. »

 

Jennifer, la mère des garçons, avait fait le voyage en compagnie de leur grand-père. « Elle a détesté ça, elle est presque morte de stress, rigole Charlie. Je sais que mon père, par contre, a adoré. C’est de lui qu’on tient ça. »

 

« Ça », c’est un esprit de compétition presque maladif qui coule dans le sang des Lindgren. Bob, le patriarche, a brièvement gardé les buts des Wolverines de l’Université du Michigan dans les années 1980. Ses deux plus vieux ont suivi ses traces – Andrew, 22 ans, porte le masque en troisième division à l’Université St. John’s – tandis que Ryan a décidé très tôt que le métier de gardien n’était pas pour lui. Mais il a hérité du même tempérament que ses modèles familiaux.

 

« C’est drôle, je me rappelle qu’à une certaine époque, mes entraîneurs de position me proposaient d’inviter Ryan pour tirer sur moi durant les pratiques, partage Charlie. Je refusais à chaque fois parce que je savais que s’il marquait ne serait-ce qu’une seule fois, il me casserait les oreilles jusqu’à me rendre complètement fou. J’aimais mieux éviter de me retrouver sur la même glace que lui. »

 

« L’un des pires mauvais perdants que je connaisse »

 

Si la vie vous a fait cadeau d’un frère, vous vous reconnaîtrez fort probablement dans l’histoire de Charlie et Ryan Lindgren. Dès que le plus jeune a eu l’âge de se tenir debout, il a reçu un minuscule bâton de plastique sur lequel s’appuyer. Puis les matchs se sont déplacés dans les rues de Lakeville, la banlieue de Minneapolis où habitait la famille. Le hockey a toujours fait partie de l’ADN des Lindgren. Mais au-delà de l’amour du sport s’est élevée une obsession de la victoire. Où il y avait un jeu, il devait y avoir un pointage et où il y a un pointage, il ne peut y avoir que des gagnants.  

 

On vous disait plus tôt que les frérots étaient des adversaires pour la première fois de leur vie. Ce n’est peut-être pas tout à fait exact.

 

« Charlie est l’un des pires mauvais perdants que je connaisse, affirme sans se faire prier Ryan, un grand sourire au visage. Que ce soit pour une partie de cartes ou de Xbox, c’est un vrai bébé quand il perd. On ne joue plus vraiment aux jeux vidéo, mais  je me souviens de matchs de NHL ou de FIFA qui se sont terminés avec des manettes qui volaient dans la pièce. Ça chauffait! »

 

Charlie était un enfant chétif qui a grandi sur le tard. Rapidement, il a dû se faire à l’idée que son rêve d’être recruté par le prestigieux programme de l’Université du Minnesota ne se réaliserait pas. Il n’était pas encore sur le radar des équipes de la Ligue nationale quand Brady Skjei, son grand ami d’enfance, a été repêché en première ronde par les Rangers.  

 

Ryan, à l’inverse, a toujours été l’un des plus costauds de son groupe d’âge. Il n’avait que 14 ans quand les Golden Gophers, l’équipe qui avait boudé son frère, ont commencé à lui faire de l’œil. Il est sorti en deuxième ronde à son année de repêchage.   

 

« Je persiste à dire que je suis le meilleur athlète de la famille, lance avec un brin d’autodérision l’espoir du Canadien, une affirmation qui provoque instantanément les moqueries de Michael McNiven, qui prête une oreille attentive à la conversation. On joue au tennis l’été et je le bats. Je sais qu’il dirait qu’il est un meilleur golfeur, mais c’est une question d’interprétation. À tous les sports qu’on peut jouer, on va jouer. »

 

« C’est indécent de sa part de même penser qu’il puisse être considéré comme un athlète, répond son frère. Quiconque le connaît moindrement éclatera de rire en entendant ça. Je me souviens de l’avoir vu jouer au football quand il était plus jeune, il était tellement petit qu’il en faisait pitié. Au tennis, il est correct, mais au golf il n’a aucune chance de me battre. Je lui rappelle sans cesse qu’il est le gars d’un seul sport parce que même au basket... il ne l’a tout simplement pas. »

 

Si vous trouvez que le jeunot ne mâche pas ses mots, sachez que c’est là le seul aspect où Charlie est prêt à concéder qu’il n’est pas du calibre de son frère.

 

« La vérité, c’est que je ne suis pas un grand parleur. Sur la glace, je préfère me taire plutôt que d’offrir une source de motivation à mes adversaires. Mais Ryan n’arrête pas une seconde. [Hunter] Shinkaruk et lui ne se sont pas lâchés l’autre jour à Hartford et [Michael] McCarron a fini par lui demander s’il voulait se battre. Il a le don de vous taper sur les nerfs. »

 

C’est exactement pourquoi Charlie Lindgren n’aura pas que la victoire en tête cette année quand le Rocket retrouvera le Wolf Pack. À tout prix, il devra empêcher son frère de marquer. ​