LAVAL – Pendant que Jake Evans s’installait dans l’autobus qui devait ramener le Rocket à la maison après une défaite en fusillade contre les Senators de Belleville, samedi soir, Michael Graham qualifiait les Fighting Irish de Notre Dame à la finale du Big 10 avec un but en prolongation contre les Gophers de l’Université du Minnesota.

Un an plus tôt, jour pour jour, Evans était celui qui était au cœur des succès des Irish. Le jour de la Saint-Patrick, il avait préparé le but décisif de Cam Morrison, en prolongation, pour battre Ohio State en finale de conférence. Notre Dame avait remporté ses quatre matchs suivants, tous par un écart d’un but, pour atteindre la grande finale du tournoi de la NCAA. Pendant deux semaines complètement folles, Evans s’était fait complice d’un autre but décisif et avait lui-même joué les héros dans les dernières secondes de la demi-finale. L’espoir du Canadien avait terminé sa carrière universitaire avec huit points en cinq matchs, tous sans lendemain.

Le contraste avec sa nouvelle réalité est frappant. Lundi matin, la recrue du Rocket s’est présentée à l’entraînement avec neuf points à ses huit derniers matchs. Il venait d’en ajouter trois à sa fiche lors du programme double à Belleville. On en compterait un quatrième si le gardien Marcus Hogberg n’avait pas sorti un trèfle à quatre feuilles de ses culottes pour le voler dans la prolongation du deuxième match.

Evans traverse probablement la meilleure séquence de sa jeune carrière professionnelle, mais l’euphorie qui lui faisait faire de l’insomnie il y a un an, l’excitation qui l’empêchait de se concentrer en classes, ne fait plus partie de son quotidien. Dans l’écho d’un aréna flambant neuf qui sera vide pour un deuxième printemps consécutif, il abat la petite besogne qui est le propre de tout hockeyeur professionnel. Son prochain match n’aura de particulier que de suivre le précédent et de précéder le suivant. Numéro 65 sur le calendrier du Rocket.

« C’est clairement un autre monde, reconnaît Evans. Je ne veux pas dire que les matchs ont moins de signification ici, mais à pareille date l’an dernier, chaque soir on faisait face à l’élimination. Ça a été la plus grosse différence en passant chez les pros. Le nombre de matchs, le temps de pratique limité et toute la préparation que ça implique. À l’université, on passe une semaine complète à penser au prochain match, on ne tient plus en place quand c’est enfin le temps de jouer! Ici, on n’a souvent qu’à attendre au lendemain. »

Selon à peu près toutes les unités de mesure traditionnelles, la première saison d’Evans dans le hockey professionnel peut être qualifiée de succès. Avec douze matchs à jouer, le joueur de centre de 22 ans se classe au deuxième rang de son équipe pour les buts (13), les aides (26) et les points (39). Son entraîneur l’utilise dans toutes les missions. Au cercle des mises en jeu, il gagne ses duels avec plus de régularité.

Joël Bouchard valide les chiffres. « Cette année, il a coché toutes les cases, évalue l’entraîneur. Il a vraiment pris beaucoup de maturité comme joueur de hockey, ça, c’est sûr. Il a appris beaucoup. Je trouve que c’est un des gars qui a beaucoup assimilé de millage, sur plein d’affaires. Il a eu des ratés, il a fait des bons coups, mais c’est un gars très intelligent. Tu lui parles et il comprend exactement ce que tu veux lui dire. Il a été lancé dans la marmite, comme on dit, et il s’en est vraiment bien sorti. »

Evans, un ancien choix de septième ronde qui arrivait dans l’organisation du Canadien enrobé d’une certaine dose de mystère, a certainement connu une saison à la hauteur des attentes qui pouvaient raisonnablement être placées en lui à sa sortie des rangs universitaires. Les 60 matchs professionnels à son dossier lui ont procuré des réponses à bien des questions que suscitait cette transition.

Mais il est le premier à rappeler que la patience demeure de mise dans son cas.

« Je pense toujours être sur la bonne voie, mais je suis loin d’être arrivé à destination. Il y a des soirs où tout va bien et où j’ai l’impression que je dépasse les attentes que j’avais placées en moi. Mais il y en a d’autres, particulièrement ceux contre les bonnes équipes de la Ligue, où je suis encore déstabilisé par le talent de certains gars. J’observe des gars qui sont passés dans la LNH ou ceux qui font la navette, je me compare à eux et je réalise que j’ai encore des croûtes à manger. »

Une question de « pace »

Evans est arrivé à Laval précédé d’une belle réputation, mais il avait été un choix de septième ronde pour une raison. Son gabarit générait des interrogations et son coup de patin n’avait jamais fait pâmer personne. Avant même qu’il ne reçoive son premier chèque de paie, ces travers lui ont été mis sous le nez.

« Je me souviens qu’à mes deux premiers matchs, je jouais avec [Alexandre] Alain et [Daniel] Audette, mais je crois que je ne suis pas embarqué sur la glace une seule fois en troisième période », se remémore-t-il avec amusement.  

Pour expliquer ce qui clochait dans le jeu de son jeune projet, Bouchard utilise à répétition le terme anglais « pace », qu’on se permet de traduire dans ce contexte par « vitesse d’exécution ». Un hockeyeur n’a pas nécessairement besoin d’être doté d’un coup de patin au-dessus de la moyenne pour avoir un bon « pace. »

« Il y a des gars qui sont quand même rapides, mais ils regardent, ils observent, explique Bouchard. Le "pace", c’est souvent des gars qui vont analyser plutôt qu’être dans le jeu. Tu as des super bons patineurs qui n’ont pas de "pace". »

Evans, lui, n’était ni très rapide, ni très impliqué, du moins pas assez au goût de son coach.

« Ça a pris dix matchs, estime Bouchard. Je lui répétais de monter son "pace", que ce n’était pas assez bon. C’était un gars qui jouait très lent, tout était au ralenti. Avec la rondelle, sans la rondelle, il se fiait beaucoup à son sens du jeu, mais son engagement était moyen. Il était compétitif, mais il manquait de mouvement, d’intensité. On l’a poussé, il s’est poussé et il a compris. Il a gagné ses galons. Il a appris qu’il n’y a pas de marge de manœuvre dans le pro. »

Selon les observations du coach, Evans est aujourd’hui un patineur plus explosif et un athlète en meilleure forme physique, mais aussi doté d’une nouvelle attitude. La férocité qu’il démontre en échec avant, par exemple, ne faisait pas partie de son portfolio il y a quelques mois, pas plus que sa capacité à purger des pénalités. Mais depuis quelques semaines, Bouchard n’hésite pas à l’envoyer sur la glace en désavantage numérique, le décrivant comme « l’un des bons joueurs défensifs de notre équipe. »

« Il s’est adapté et a ajouté une autre dimension à son jeu. Selon ce que j’avais entendu à son sujet avant qu’il arrive, et aussi d’après ce que j’avais vu dès le départ, c’était un joueur à une seule dimension. Son talent ou son statut au collège lui permettait de jouer comme ça, mais ici, il a réalisé des choses dont il n’était même pas conscient et il a travaillé dessus. »

« Je sais qu’il est arrivé ici avec l’étiquette d’un joueur offensif et il l’est encore, mais mon travail, c’était de faire de lui un bon joueur sur 200 pieds et je peux maintenant dire qu’il en est un. Ce n’est pas parfait, mais il a progressé à plein de niveaux. »