LAVAL – On ne pourrait se sentir plus loin de la Floride qu’en cet après-midi de juillet aux abords de la surface numéro 3 du Complexe sportif Guimond. Les jambes dénudées tournent au bleu et les poils qui les couvrent se hérissent. Le nez coule. La condensation rend les baies vitrées opaques.

 

À 13h pile, le maillot rouge de Jonathan Huberdeau fend le brouillard en deux. L’attaquant vedette des Panthers s’empare d’une rondelle et amorce un lent tour de patinoire pendant que Sébastien Bordeleau peaufine les derniers détails de leur rendez-vous hebdomadaire.

 

Bordeleau est un entraîneur certifié spécialisé dans le perfectionnement des habiletés individuelles. Il a embrassé ce créneau en 2012, au retour d’une décennie passée à jouer dans la Ligue nationale suisse. « À la fin de ma carrière de joueur, j’ai eu des entraîneurs européens - des Finlandais, des Russes, des Tchèques - qui accordaient beaucoup d’importance à des aspects du jeu comme les techniques de patinage, le maniement de la rondelle, les lancers, explique l’ancien choix de troisième ronde du Canadien. J’adorais faire de l’extra avec eux. J’avais 34, 35 ans, je voulais rester dans l’élite et garder ma place d’étranger. Deux ou trois fois par semaine, ils m’amenaient des points qui me permettaient de m’améliorer. »

 

Comme pédagogue, Bordeleau s’est bâti, de fil en aiguille, une clientèle impressionnante. Il a travaillé avec des membres de l’équipe nationale féminine canadienne. Le Canadien a fait appel à ses services pour assurer la progression des jeunes de son club-école et des invités à son camp de développement. L’été, des joueurs de la Ligue américaine et de la Ligue nationale s’insèrent dans son horaire.

 

Huberdeau est un nouveau client. Le natif de Saint-Jérôme vient de connaître la meilleure saison de sa jeune carrière, concluant avec 69 points en 82 matchs la première année d’un contrat de six ans qui lui rapporte près de 6 M$ annuellement. Mais il n’est pas satisfait.

 

« Je voulais être un joueur marquant à chaque match et on dirait que je ne le faisais pas, déplore l’ailier gauche de 25 ans. À mon âge, je sais que je vais probablement continuer de gagner naturellement en maturité et en confiance, mais je voulais prendre un step plus gros. »

 

Au début de l’été, Huberdeau a envoyé à Bordeleau la bande vidéo de quatre matchs choisis au hasard. « Pas des highlights, spécifie ce dernier, mais des séquences de matchs normales, pour voir ce qu’on pouvait faire pour l’améliorer. » Le joueur a ajouté son grain de sel, le coach s’est fait une tête, puis ils se sont mis au boulot.   

 

Les deux hommes ont déjà une dizaine de séances derrière la cravate lorsqu’ils se retrouvent, entre deux canicules, devant la lentille de RDS. Prêt à commencer, Bordeleau fait signe à son élève de rester dans un coin de la patinoire et l’y rejoint avec une rondelle. Huberdeau doit la placer sous l’un de ses patins et avancer en faisant des mouvements semi-circulaires avec l’autre. La commande est simple, mais l’exécution l’est beaucoup moins.

 

« C’est tough en crime! », pardonne Bordeleau en riant après que son poulain eut évité une chute de justesse.

 

C’est le début d’une série d’exercices visant à améliorer la mobilité et la fluidité du patineur. Chaque nouvelle commande est d’abord exécutée d’un pas prudent, incertain, puis est répété avec plus de tempo à mesure qu’elle se fige dans la mémoire musculaire du joueur. Huberdeau a beau appartenir à l’élite de la Ligue nationale, il n’a pas le choix de laisser son égo au vestiaire.      

 

« Je me choque souvent! Je veux toujours bien faire, mais comme Seb me le répète souvent, je suis en apprentissage. Oui, je joue dans la LNH, mais je n’ai jamais fait ça. C’est sûr que là, je pense plus à me concentrer sur les exercices et j’oublie un peu le lien avec les parties. Mais ce sont des outils qu’il me donne que je vais pouvoir mettre dans ma game pendant l’année. Ça va peut-être m’aider à aller chercher une couple de secondes ici et là, à être plus efficace. »

 

« Quand Daniel Carr a marqué son premier but dans la Ligue nationale, il m’a appelé après la partie pour me remercier, confie Bordeleau. Il avait fait un wrap-around autour du filet, les hanches ouvertes, un geste qu’on avait beaucoup pratiqué ensemble. C’est le plus beau cadeau qu’il pouvait me faire. Ce que je veux, c’est que mes joueurs sentent que je fais une petite différence pour eux autres. »

 

Tomber pour mieux se relever

 

Bordeleau transmet son savoir avec des moyens modestes. Une demi-douzaine de modules fournis par la compagnie HockeyShot, des vieux bâtons juchés sur des roues de bolides miniatures et une bonne vieille chaudière de rondelles constituent l’ensemble de son équipement. À mi-chemin dans la séance, il envoie Huberdeau prendre une gorgée d’eau pendant qu’il disperse stratégiquement ses obstacles.

 

« On recommence! Il est déjà ‘et 25’ », dit-il à son retour au banc.

 

Devant Huberdeau se trouve un parcours étalé sur une cinquantaine de mètres qu’il devra négocier, rondelle sur le ruban, de façon à simuler des duels dans des espaces restreints. 

 

« C’est tight, c’est tight! », encourage Bordeleau quand son client accroche une haie. « C’est bon ça, t’étais dedans! Ça ne me dérange pas que tu tombes! », crie-t-il un peu plus tard. Après chaque répétition, Bordeleau s’approche de son élève et compare ce qu’il vient d’exécuter à une situation de match.

 

« Dans mon enseignement, ce que je montre le plus, c’est de ne pas manier la rondelle, expliquera-t-il plus tard. J’exagère, c’est une façon de parler, mais je veux mettre ça au minimum. Ce que je prêche, c’est le placement de rondelle pour la prochaine étape. Je sais qu’aujourd’hui il y a beaucoup d’entraîneurs de maniement de rondelle qui font des dribbles rapides comme Patrick Kane, si on peut dire. Mais il n’y a qu’un Patrick Kane, il n’y en a pas 600. Il faut essayer d’être efficace dans nos mouvements en vue de la prochaine étape, que ce soit une feinte, que ce soit une passe, que ce soit un lancer. C’est ce que j’essaie de faire comprendre à mes joueurs. »

 

Le dernier enchaînement que Bordeleau a préparé pour Huberdeau englobe tous les éléments de cette philosophie. À partir de l’aile gauche, l’ancien gagnant de la Coupe Memorial déjoue deux adversaires imaginaires, décoche une passe qui lui revient instantanément, coupe brusquement vers sa droite avant de revenir vers sa gauche, où son momentum doit l’amener à décocher un tir des poignets sans avertissement. Chaque geste est calculé de façon à ce que le patineur génère un maximum de puissance tout en limitant les risques d’erreur.

 

« Viens chercher la rondelle sur ta jambe gauche, insiste Bordeleau. Si tu reach, t’as plus de chances de la perdre. Et l’endroit où tu la places sur ta palette est importante. Tu veux qu’elle reste flat. »

 

Pendant que la surfaceuse prépare sa sortie, Huberdeau prend quelques minutes pour pratiquer son lancer sur réception. De retour dans le vestiaire, son entraîneur et lui s’agglutinent devant l’écran du photographe Vincent Ethier pour décortiquer le mouvement au super ralenti. Même après une saison de 27 buts, le numéro 11 des Panthers est à la recherche du moindre détail qui l’aidera à augmenter sa production.

 

« Vers la fin de l’été, j’aimerais ça l’incorporer dans mes cours de groupe, projette Bordeleau. Le tempo augmente et il y un peu plus de compétition dans les exercices de protection de rondelle, on recrée les habitudes de jeu... Je vais avoir besoin d’autres joueurs, parce que je ne pourrai pas y aller pendant une heure contre lui! »  

 

« Il m’aide, je le remarque, constate l’ancien choix de première ronde. Quand je joue dans mes ligues d’été – c’est sûr que c’est moins fort, mais j’essaie de me concentrer sur moi-même, sur ma façon de patiner, et déjà je vois une différence. »