MONTRÉAL – « As-tu dit que tu avais ‘six kills’ ou des ‘sick skills’? »

Bokondji Imama se retient tant bien que mal pour ne pas réagir à la blague qui lui est adressée, mais autour de lui, l’auditoire éclate. Le soleil n’est levé que depuis quelques heures, mais pour la douzaine d’athlètes qui sont rassemblés sur un tapis du Adrenaline Performance Center, il n’est pas trop tôt pour se bidonner.  

« Il y a des fois où ça parle pas mal moins que ça, avouera toutefois plus tard Alexandre Carrier, un choix de quatrième ronde des Predators de Nashville en 2015. Tous les autres jours, on fait du cardio et tu sors de là, t’es couché à terre. »

Jonathan Chaimberg, le propriétaire du gym, ne se fait pas prier pour corroborer. Sourire en coin, il raconte la récente mésaventure de Daniel Sprong, un espoir des Penguins de Pittsburgh qui, deux jours plus tôt, s’était laissé guidé par son orgueil sur le tapis roulant. Cette journée-là, un repas de moins a transité vers son système digestif.

Ancien homme de coin de Georges St-Pierre, Chaimberg travaille avec des joueurs de hockey depuis une dizaine d’années. Kristopher Letang, Jakub Voracek et Jiri Hudler ont été parmi ses premiers clients. Lars Eller, Anthony Duclair et Michael Matheson ne sont que quelques-uns des joueurs établis qui ont depuis décidé de lui confier une partie de leur mise à niveau estivale.

Chez APC, les hockeyeurs viennent complémenter ce qu’ils peuvent accomplir sur la patinoire avec des entraîneurs spécialisés en maniement de rondelle ou en patinage. Un programme axé sur le renforcement du bas du corps et sur l’entraînement en circuit leur permet d’améliorer leur explosion et leur endurance cardiovasculaire.

« Tu n’as pas le choix, tranche Carrier. Mon père me dit qu’à l’époque où il jouait, les joueurs utilisaient le camp d’entraînement pour se mettre en forme. Là, on ne pourrait jamais faire ça. Les gars sont tellement en shape. Même les plus jeunes comme moi, ou ceux en dessous, on s’entraîne tellement fort. Tu veux tout le temps pousser les plus vieux. On ne pourrait jamais arriver au camp et espérer se faire une place sans ça. »

Chaimberg séduit les hockeyeurs en leur offrant un entraînement personnalisé adapté à leur réalité. Letang, un vétéran qui a l’habitude de passer près de 30 minutes par match sur la patinoire, ne sera pas pris en charge de la même manière que Duclair, un jeune attaquant avec la puissance comme carte de visite.

« Je ne suis vraiment pas un cookie cutter, explique le crack de fitness. Tu sais, ces moules qui donnent des biscuits qui ont tous la même forme? Je ne veux pas ça parce que tout le monde a différentes caractéristiques. Dès qu’un gars arrive dans mon gym, j’identifie ses forces et ses faiblesses et je vois sur quoi il doit travailler. »

Carrier, un défenseur de 5 pieds 11 pouces qui pesait 174 livres à sa dernière année junior, avait des croûtes à manger quand il  a commencé à travailler avec Chaimberg il y a trois ans.

« Il partait de loin, dit l’entraîneur. Il ne pouvait pas sauter, il était vraiment lent. Mais sur la glace, c’est un joueur vraiment doué et intelligent, alors si on pouvait améliorer sa puissance... »  

« Dans le gym, tu veux toujours être plus fort physiquement. Tu veux être plus rapide, tu veux un meilleur lancer, ça va venir avec, dit Carrier. Sauf que tu veux tout le temps faire des drills qui ressemblent à ce que tu vas vivre sur la glace. Par exemple, Jon ne nous fera jamais faire cinq kilomètres de course parce que sur la glace, ça n’arrive jamais. On va faire des sprints et travailler avec de courts intervalles. On l’a vu aujourd’hui, avec les sprints et les départs avec trois enjambées, ça ressemble beaucoup à ce qu’on fait sur patins. »

Camaraderie compétitive

Aujourd’hui, comme à chaque vendredi, Chaimberg délègue. Pendant qu’il travaille en musculation avec Michael Matheson, c’est Marc-Élie Toussaint et Jordan Rwiyamilira qui supervisent le cours de groupe. Agilité et vitesse sont au programme du jour, mais chaque exercice est conçu avec un objectif parallèle en tête : créer un amical climat de compétition.

Sur une surface de gazon synthétique, cinq haies sont placées de façon à faire zigzaguer les coureurs de gauche à droite. Deux joueurs, placés à quelques foulées d’intervalle, partent simultanément, le premier devant évité d’être rattrapé par le second. Ryan Culkin, un défenseur récemment mis sous contrat par le Rocket de Laval, ressent la pression et commet un faux départ à sa première présence sur les blocs.

Michael Matheson au travail avec Jonathan Chaimberg

« J’aurais pu t’avoir si j’avais voulu! », lui lance Imama après que les deux hommes eurent finalement atteint le fil d’arrivée.

La trame sonore de la matinée sera composée de ce genre de taquinerie. « C’est comment de finir deuxième, Boko? », envoie Peter Sakaris à Imama après avoir eu le meilleur dans un autre enchaînement de haies. « Hey, on veut échanger Culkin pour Carrier! », poussera Sakaris, le clown de la bande, avant une compétition par équipe.

Toute cette franche camaraderie ne doit toutefois pas être interprétée comme de la nonchalance. À travers les blagues, le sérieux des athlètes n’est jamais remis en question.

« C’est tout le temps pour s’améliorer. On le fait pour le plaisir, mais au bout de la ligne tu le fais pour battre le gars à côté de toi pareil », assure Carrier.

En temps normal, Matheson participerait à l’entraînement de groupe, mais son indisponibilité en vue de la fin de semaine a incité Chaimberg à modifier le plan de match. Plutôt que de tester son cardio, le jeune défenseur des Panthers sue en solitaire dans une autre section du gymnase.

« Tu n’as pas besoin de te dépenser chaque jour au point où tu penses que tu vas vomir, précise le sympathique rouquin, qui a commencé à travailler avec Chaimberg avant sa première saison à Boston College. Ce qui est important, c’est d’attaquer tous les endroits où tu dois t’améliorer. Pour moi, aujourd’hui, c’était plus explosif avec des sauts, des chin-ups, des choses comme ça. Mais je dois aussi travailler en vitesse. »

Matheson se définit lui-même comme un rat de gymnase. Fidèle au poste six jours sur sept, il estime passer plus de vingt heures par semaine chez APC, sans compter ses trois présences hebdomadaires sur la patinoire.

« L’été, c’est le temps de t’améliorer, de prendre du poids, d’augmenter ta vitesse. C’est le temps de le faire parce que durant la saison, c’est vraiment trop difficile. On joue 82 matchs, on joue presqu’à chaque deux soirs. Durant la saison, le but est plus de maintenir les acquis. Durant l’été, j’aime aller le plus fort que je peux. »