OTTAWA – Chaque fois qu’il saute sur la patinoire, Thomas Chabot donne l’impression que les neuf hommes qui l’entourent ont besoin d’un aiguisage. Son coup de patin est à ce point supérieur qu’on croirait voir un personnage de jeu vidéo sur une surface de hockey sur table. Tous ses adversaires ont l’air encastrés dans un corridor vertical pendant qu’il zigzague sans effort d’une extrémité à l’autre de la patinoire.

 

On l’observe et on jurerait revoir... Non, faudrait quand même pas exagérer.

 

Mais on ne peut s’empêcher. L’avez-vous vu lire le jeu? La longue passe qu’il a poussée à Ryan Dzingel juste avant le premier but de Mark Stone, mardi contre les Devils du New Jersey. Et celle qu’il a fait ricocher sur la bande à l’intention de Matt Duchene, en pivotant à la fin d’un repli défensif, et qui a mené au deuxième but de Stone. Ne me dites pas que ça ne vous a pas fait penser à...

 

D’accord, d’accord. On se garde une petite gêne.

 

Mais avez-vous vu ses chiffres? Après 15 matchs, il a déjà 20 points! C’est non seulement le meilleur rendement parmi tous les défenseurs de la Ligue nationale, c’est assez pour le placer au quatrième rang du classement des pointeurs de la LNH au grand complet. Il est tôt pour extrapoler, on en convient, mais s’il devait conserver ce rythme, il terminerait la saison avec 87 passes et 109 points, des statistiques qui lui permettraient d’annihiler les records d’équipe qui appartiennent à...

 

Ok, on arrête. Guy Boucher va vouloir nous étriper.

 

« Moi, les comparaisons, j’ai toujours trouvé que c’était ridicule, a bien fait comprendre l’entraîneur-chef des Sénateurs d’Ottawa mercredi. Il n’y a aucune personne qui est pareille à une autre. La minute où tu commences à comparer, tu envoies des mauvaises ondes à quelqu’un. La raison pour laquelle [Chabot] a du succès en ce moment, c’est qu’il n’essaie d’imiter personne. Il est lui-même dans sa progression. Il se concentre sur lui-même au lieu d’essayer d’être quelqu’un d’autre. La définition d’un athlète qui est concentré, c’est quelqu’un qui se concentre sur le moment présent et sur ce qu’il a à faire. Dès que tu commences à étendre ça, tu as quelqu’un qui se perd dans tout ça. »

 

À partir de maintenant, vous pourrez nous considérer comme les grands coupables si Chabot, du jour au lendemain, commence à s’enfarger dans ses lacets, à confondre ses coéquipiers avec ses adversaires ou à envoyer ses tirs de la pointe dans la baie vitrée. Désolé Guy, mais il faut dire les choses comme on les voit.

 

Ton défenseur de 21 ans, celui que tu rappelais de la Ligue américaine il y a à peine un an, celui qui disputera ce soir son 80e match dans la LNH, celui dont tu as augmenté le temps de jeu de cinq minutes par match depuis l’an passé, joue comme celui qu’il remplace. Il joue comme Erik Karlsson. C’est complètement absurde, on le sait. Mais c’est la vérité.

 

« Je lui ai dit hier soir que je n’ai jamais vu personne connaître un aussi bon match depuis que je suis dans cette ligue, a témoigné Chris Wideman, qui en est à sa quatrième saison à la ligne bleue des Sénateurs. Il était absolument impressionnant. »

 

« J’aimerais dire que je suis surpris, mais je ne le suis pas. Il est incroyable, a répondu Matt Duchene à une question du collègue Patrick Friolet, mardi soir. C’est une super-vedette et il pourrait être un sérieux candidat au trophée Norris dès cette année. »

 

« Il joue avec tellement de confiance, comme dans les rangs junior, a ajouté Mark Stone à l’ami Friolet. Il semble voir le jeu au ralenti et il faut toujours le bon jeu au bon moment. »

 

Une humilité à protéger

 

Même si le talent lui sort par les oreilles, Chabot n’a jamais été du genre à vouloir prendre plus de place que ses voisins de casier. C’est l’impression qu’il nous avait laissé quand on l’avait rencontré avant qu’il soit choisi en première ronde au repêchage de la LNH. Rien n’avait changé quand on l’avait revu, un homme parmi les garçons, au Championnat du monde junior. Et on n’a pas été trop dépaysé mercredi matin dans le vestiaire des Sénateurs, au lendemain d’un match de trois points au cours duquel il avait décoché neuf tirs au but.

 

Sur les comparaisons avec Karlsson : « Veux, veux pas, ça va toujours revenir, ça sera toujours là, mais on est des joueurs différents. Les choses qu’il a faites ici, c’est assez incroyable, je ne pense pas que personne va jamais battre ça. Il a quasiment tous les records dans l’équipe. J’ai été heureux de le côtoyer, d’être dans la même équipe que lui pendant un bout de temps et de le voir faire ces choses-là. »

 

Sur ses statistiques personnelles : « C’est sûr que j’en entends parler, les gars me taquinent avec ça, mais comme je leur ai dit, rien de tout ça ne serait possible sans eux. Ce n’est pas comme si j’avais 40 buts. J’ai plein de mentions d’aide, ce qui veut dire que les gars qui jouent avec moi font aussi les bons jeux. J’ai du succès parce que mes coéquipiers en ont eux aussi. »

 

Sur son jeu défensif : « Ça s’en vient, mais je ne pense que ça ne sera jamais parfait, honnêtement. Il n’y a jamais rien de parfait. »

 

Boucher n’est pas avare de compliments envers sa jeune pépite. « Son coup de patin a toujours été au-dessus de la moyenne », convient-il. « Il a toujours eu cet effet de ‘wow’ qui l’a suivi », approuve-t-il. « Sa progression rapide est proportionnelle à son talent et à son potentiel », louange-t-il.

 

Mais la qualité première que l’entraîneur remarque chez son quart-arrière, c’est cette humilité qui le caractérise depuis des années.

 

« C’est pour ça que le succès lui colle à la peau, c’est pour ça qu’il impressionne tout le monde. C’est parce qu’il reste humble et simple dans son processus d’apprentissage. [...] Présentement, le plus grand danger serait qu’il commence à s’exciter avec tout ce qu’il entend, avec tous les trophées qu’on lui prédit. Si vous aimez le kid, c’est la pire chose à faire. Il est sur la bonne voie présentement. Son attention aux détails, son éthique de travail et sa lucidité face à sa situation le servent bien. Je crois que tout ce qui se passe autour de ça ne lui est d’aucune utilité et il le sait. Mais c’est important pour nous, les entraîneurs, de le protéger de ces influences extérieures qui pourraient le faire dérailler. »

 

« C’est important qu’il garde les deux pieds sur Terre. C’est ce qu’il faut jusqu’à maintenant et c’est ce qui m’impressionne le plus. »​