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D'une chaise pliante à un trône au Temple de la renommée

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TORONTO – De sa sélection en sixième ronde du repêchage de 1994 à ses premiers coups de patin dans l'uniforme des Sénateurs, rien ne laissait croire que Daniel Alfredsson deviendrait un jour capitaine de son équipe.

 

Rien ne laissait croire qu'il s'imposerait un jour à titre de l'un des joueurs les plus complets de la LNH malgré un coup de patin très moyen, un tir loin d'être redoutable et des mains qui n'avaient rien de celles d'un magicien.

 

Encore moins que ce petit Suédois aux longues mèches blondes s'échappant de son casque irait rejoindre, après une carrière de 17 saisons, les autres immortels du hockey.

 

En 1995, à son arrivée à Ottawa, les projections de l'état-major quant aux chances de Daniel Alfredsson de se tailler une place avec le grand club étaient plutôt conservatrices.

 

Tellement conservatrices que c'est sur une petite chaise pliante en métal campée au beau milieu de la pièce que les préposés à l'équipement l'avaient installé dans le vestiaire de l'aréna de l'université St-Lawrence dans le nord de l'État de New York.

 

Alfredsson était dos à dos avec Antti Tormanen, un Finlandais repêché en 11e ronde. Les pièces d'équipement des deux joueurs vacillaient sur ces deux chaises dans un équilibre aussi précaire que leur avenir avec l'équipe.

 

Du moins, c'est l'impression que ça donnait. Une impression qu'Alfredsson s'est vite assuré de corriger.

 

Car 27 ans après avoir été confiné sur une chaise de métal lors de son premier camp d'entraînement, Daniel Alfredsson ira s'asseoir, lundi soir, sur le trône qui l'attend au Temple de la renommée du hockey.

 

Alfredsson sourit lorsque je lui reparle de la place qu'on lui avait réservée lors de son premier camp d'entraînement.

 

« Je n'avais pas de grosses attentes. J'avais décidé de joueur une année de plus en Suède avant de me rendre à Ottawa, car je n'étais pas prêt. À mon premier camp, je me disais que j'aurais peut-être la chance de jouer une vingtaine ou une trentaine de matchs dans la LNH et que je me retrouverais dans les mineures. Je voulais tenter ma chance en me disant que je retournerais rapidement à la maison si ça ne fonctionnait pas », défile le nouvel intronisé.

 

Toujours campés au milieu du vestiaire sur leurs chaises pliantes en métal, Alfredsson et Tormanen sortent rapidement de l'anonymat dans lequel ils étaient cantonnés depuis leur arrivée au camp.

 

Non seulement obtiennent-ils des casiers normaux, mais les deux Européens se taillent des places au sein de la formation.

 

En 1995, se tailler une place au sein de l'alignement des Sénateurs ne représentait pas un grand exploit.

 

L'année précédente, dans le cadre d'une saison écourtée en raison d'un lock-out, les Sénateurs s'étaient contentés de 23 points – neuf victoires, cinq verdicts nuls – en 48 matchs. C'était mieux que lors des deux premières années de la nouvelle franchise, mais c'était quand même bon pour la dernière place du classement.

 

Mal du pays

 

Une fois la satisfaction de faire directement le saut dans la LNH passée, la triste réalité qui attendait Alfredsson le frappe en plein front.

 

Une réalité qui lui a fait mal!

 

Tellement mal, qu'à un certain moment il contacte ses parents à Göteborg en Suède pour leur faire part de ses intentions de tout lâcher et de rentrer à la maison.

 

« C'était très difficile. On perdait tout le temps. Rick Bowness (6 victoires et 13 défaites) qui m'avait fait une place dans l'équipe a été congédié. Son remplacement n'a rien changé. On perdait même davantage. En plus, je m'ennuyais de ma famille. J'avais le mal du pays », lance Alfredsson avec une moue qui trahit la noirceur des souvenirs que cette réponse lui rappelle.

 

Venu en relève à Rick Bowness, Dave Allison ne gagne que deux des 25 matchs qu'il dirigera avant d'être congédié à son tour et remplacé par Jacques Martin en janvier 1996.

 

« C'est là que tout a changé. Il y avait déjà eu un changement de directeur général – Pierre Gauthier était venu remplacer Randy Sexton – et une fois en place, Jacques a relancé l'équipe. Il a établi des structures. On ne gagnait pas beaucoup plus souvent, mais on sentait qu'on allait quelque part. Après l'arrivée de Jacques, j'ai réalisé que les gars qui m'encourageaient avant les Fêtes en me disant de rester avec l'équipe, en me répétant que ce qu'on vivait depuis le début de la saison était vraiment exceptionnel, que je ne vivrais jamais une autre expérience du genre avaient raison. Ce changement de coach et tout ce que Jacques a apporté de bien m'ont poussé à changer d'idée. »

 

Un des joueurs qui ont encouragé Alfredsson à demeurer à Ottawa était Martin Straka. C'est avec lui qu'Alfie évoluait le plus depuis le début de la saison, mais Straka a fait partie des nombreux changements apportés par Pierre Gauthier pour relancer les Sénateurs.

 

Wade Redden s'est amené à la ligne bleue à la place de Bryan Berard qui a été échangé aux Islanders de New York en compagnie de Martin Straka. Damien Rhodes a remplacé le vétéran Don Beaupre comme gardien numéro un devant Ron Tugnutt.

 

Tout ça, la veille de l'embauche de Jacques Martin.

 

C'est là qu'Alfredsson et ses coéquipiers ont commencé à grandir.

 

Le Calder : un tremplin vers des jours meilleurs

 

Daniel Alfredsson a bien fait de décider de prolonger sa première saison dans la LNH. Car les changements apportés lui ont permis de relancer – ou de lancer c'est selon – sa saison sur des bases nouvelles. Le jeune Suédois s'est soudainement mis à jouer avec plus de confiance et plus d'entrain, il s'est mis à afficher la fougue qui a toujours caractérisé son jeu et a finalement donné aux Sénateurs une récompense en remportant le trophée Calder remis à la recrue de l'année.

 

Ce trophée, bien qu'un honneur individuel, a eu un effet d'entraînement sur le reste de l'équipe.

 

« Je me rappelle que lors de notre dernier match – un duel contre les Devils du New Jersey, alors champions en titre de la coupe Stanley – Jacques (Martin) avait motivé les gars en soulignant qu'on pouvait les éliminer des séries avec une victoire. Il avait aussi insisté sur le fait qu'un gros match pourrait m'aider dans la course au trophée Calder. On a gagné cette partie. C'était la fête dans l'avion en revenant à Ottawa. L'année suivante, on a fait les séries et nous sommes devenus au fil des ans une des bonnes équipes de la Ligue. »

 

C'est avec cette très bonne équipe, alors qu'Alfredsson évoluait au sein de l'un des bons trios de la Ligue, un trio piloté par Jason Spezza et complété sur le flanc gauche par Danny Heatley, que le nouvel intronisé a connu ses moments de gloire dans la LNH.

 

« Nous étions redoutables parce que nous complétions tellement bien. Jason était un grand fabriquant de jeu. Danny avait un tir qui lui permettait de marquer de partout et dans toutes les circonstances. Et moi, je n'avais aucune qualité particulière, mais je donnais tout ce que j'avais. »

 

Alfredsson a tort de dire qu'il n'avait aucune qualité particulière.

 

D'abord, il était meilleur avec la rondelle qu'il ne le prétend. Il a quand même marqué 444 buts et s'est fait complice de 713 autres (1157 points) au fil des 1246 matchs qu'il a disputés dans la LNH.

 

Il est aussi l'auteur du tout premier but marqué en tir de barrage de l'histoire de la LNH. Un but décisif dans un gain de 3-2 des Sénateurs aux dépens des Maple Leafs de Toronto dans le cadre du tout premier match de la saison 2005-2006.

 

Plus encore que les buts qu'il a marqués ou les points qu'il a récoltés, l'éthique de travail et la fougue qu'Alfredsson déployait sur la patinoire à chacune de ses présences, peu importe que ce soit dans les phases offensives ou défensives du jeu, sont des qualités exceptionnelles.

 

Des qualités qui, ajoutées au caractère qu'il affichait sur et hors de la patinoire, l'ont transporté de la chaise pliante en métal qu'il occupait à son premier camp d'entraînement au Temple de la renommée du hockey.

 

Des exemples de caractère affiché hors de la patinoire :

 

C'est Alfredsson qui a un jour mis le capitaine de l'époque Alexei Yashin à sa place dans le vestiaire. Yashin, qui était aux prises avec des disputes contractuelles avec la direction et qui passait plus de temps à se plaindre qu'à mettre à profit l'immense talent que les Dieux du hockey lui avaient donné en cadeau, était devenu un boulet qui ralentissait l'équipe. Il n'assumait plus son rôle de capitaine. Alfredsson l'a mis à l'index, Yashin a été échangé – cette transaction sensationnelle pour les Sénateurs a permis de faire l'acquisition de Zdeno Chara et d'un premier choix qui est devenu Jason Spezza – et Alfredsson a hérité du « C » qu'il a porté jusqu'à la fin de son règne avec les Sénateurs.

 

Alfredsson s'est aussi assuré de rabrouer des entraîneurs trop insistants par moment en les invitant à les laisser, lui et ses coéquipiers, trouver des solutions.

 

Rendez-vous raté avec la coupe Stanley

 

Daniel Alfredsson s'est approché de la coupe Stanley à une reprise : au printemps 2007.

 

Après avoir marqué le but en prolongation qui permettait d'éliminer les Sabres de Buffalo en finale de l'Est, Alfredsson s'est retrouvé face aux Ducks d'Anaheim. Des Ducks qui ont balayé du revers de la main les Sénateurs en cinq parties.

 

Plusieurs minutes après la quatrième défaite, un revers de 6-2 encaissé à Anaheim, Alfredsson m'avait confié qu'il était convaincu que lui et son équipe avaient ce qu'il fallait pour gagner.

 

Vendredi, après avoir enfilé sa bague commémorant son titre de membre du Temple de la renommée, Alfredsson a répété qu'il croyait que lui et ses coéquipiers auraient pu gagner cette grande finale.

 

Après toutes ces années, Alfredsson s'est alors mis à décortiquer chacun des matchs, chacune des périodes, presque chacune des erreurs qui ont permis aux Ducks de prendre le contrôle de la finale et de ne jamais vraiment le perdre.

 

« Tout s'est joué dans le deuxième match. On a perdu les deux premières parties là-bas. Mais dans le deuxième, on a perdu 1-0 et nous aurions pu jouer un peu mieux. On a bousillé un cinq contre trois et cela a fait la différence dans le match. On a super bien joué à notre retour à Ottawa (victoire de 5-3), mais on a perdu un match serré (3-2) dans le quatrième. Je continue à croire qu'en nivelant les chances à Anaheim ou après le quatrième match à Ottawa, nous aurions pu gagner. Mais on ne le saura jamais », philosophe Alfredsson.

 

La blessure provoquée par cette défaite en finale de la coupe Stanley est peut-être guérie. Mais la cicatrice est toujours apparente.

 

Par chance pour Alfredsson, ses succès en compétitions internationales pour défendre les couleurs de sa Suède natale permettent de composer avec l'absence de coupe Stanley.

 

« Quand j'étais jeune, je ne rêvais pas de jouer dans la LNH, mais bien de jouer pour mon équipe nationale. C'était comme ça. J'ai eu la chance de côtoyer les plus grands joueurs de mon pays. De gagner l'or aux Jeux olympiques de Turin (2006). Je me rappelle les célébrations à Stockholm à notre retour. C'était fabuleux », raconte Alfredsson.

 

Il a aussi gagné une médaille d'argent aux JO de Sotchi, sans oublier deux médailles d'argent et deux de bronze en sept participations au Championnat du monde.

 

En 26 matchs disputés lors des différents tournois olympiques, Alfredsson a marqué 13 buts; récolté 27 points. Il a ajouté 46 points (19 buts) en 58 matchs de championnat du monde pour son pays qu'il chérit tant.

 

À Ottawa pour y rester

 

Malgré l'amour de sa Suède natale, et même si c'est là-bas dans sa maison d'été qu'il a reçu l'appel confirmant son élection au Temple de la renommée du hockey, c'est toujours à Ottawa que Daniel Alfredsson profite de sa retraite.

 

« Je dois beaucoup à la ville d'Ottawa et à ses citoyens. Pas seulement ceux qui sont amateurs de hockey et partisans des Sénateurs. J'ai appris la valeur du partage à Ottawa. Je suis devenu un meilleur citoyen à Ottawa. J'ai compris l'importance de l'implication dans la communauté. L'importance de redonner à ceux et celles qui m'ont permis de vivre une si belle carrière », défile Alfredsson.

 

Celui qui se fait appeler « Alfie » aux quatre coins de la ville est à Ottawa pour y rester.

 

Il n'écarte pas non plus, l'idée de profiter d'une deuxième chance au sein de l'état-major de l'équipe.

 

Le changement de propriétaire qui s'organise pourrait d'ailleurs ouvrir la porte à ce retour au sein de la direction des Sénateurs.

 

« La porte n'est pas fermée. Loin de là. J'aime l'équipe. Elle est très en avance sur le club que j'ai joint en 1995. Il y a plusieurs jeunes joueurs de talent au sein de l'organisation. Les résultats ne sont pas là en ce moment, mais je suis confiant qu'ils se retrouveront le chemin de la victoire avant longtemps », affirme Alfredsson.

 

Les Sénateurs, pour honorer l'entrée de leur ancien capitaine au Temple de la renommée, disputeront leur match de lundi face aux Islanders de New York à 17 h. De cette façon, ils permettront aux partisans venus assister à la rencontre au Centre Canadian Tire de demeurer dans l'amphithéâtre et suivre, sur l'écran géant, la cérémonie d'intronisation de Daniel Alfredsson dont le chandail numéro 11 flotte déjà au-dessus de la patinoire.