MONTRÉAL – Patrick Dallaire met tout de suite un bémol quand on lui rappelle les modestes statistiques qu’il a compilées durant sa brève carrière de hockeyeur junior.

 

« Dans la LHJMQ, dans le temps, si on avait ,870 d’efficacité, c’était beaucoup, remet en contexte celui qui a joué sept matchs pour les Cataractes de Shawinigan lors de la saison 1992-1993. Je partageais le filet avec Patrick Lalime, qui avait peut-être ,850 [NDLR : Lalime a terminé la campagne avec un pourcentage d’arrêts de ,863]. On avait aussi l’une des plus jeunes équipes de la ligue. Je pense qu’on avait quelque chose comme 13 joueurs de 17 ans dans l’alignement. »

 

N’empêche, l’année suivante, Dallaire n’a pas été retenu au camp d’entraînement des Cataractes et a compris ce qu’il devait comprendre. Il a fait une croix sur ses ambitions de joueur et a préparé son déménagement pour Trois-Rivières. Il voulait étudier la littérature à l’université et devenir professeur de français.

 

« J’avais vu que le hockey ne me mènerait pas nécessairement loin dans la vie... », dit-il en repensant à son entrée dans la vie adulte.

 

Il sait aujourd’hui qu’il s’était solidement gouré.

 

Dallaire a effectivement passé les deux décennies suivantes dans le domaine de l’enseignement, mais c’est à peu près tout ce qu’ont en commun sa réalité et l’avenir qu’il s’était imaginé. Dans quelques semaines, il accompagnera la délégation allemande à Peyongchang pour participer aux Jeux olympiques en tant qu’entraîneur des gardiens de but de l’équipe masculine de hockey.

 

« Quand tu es un jeune joueur, tu rêves de jouer dans la Ligue nationale. Comme entraîneur, mon rêve est rapidement devenu de travailler avec les pros. Je ne pensais jamais le réaliser en obtenant une offre de l’Europe, mais c’est arrivé, j’ai sauté sur l’occasion et j’ai fait mes preuves. C’est sûr qu’aller aux Olympiques, c’est la cerise sur le sundae. »

 

Le parcours insolite de Patrick Dallaire a débuté aux côtés de son bon ami Dominic Ricard, qui lui avait demandé un coup de main alors qu’il débutait une carrière d’entraîneur avec les Élans de la Mauricie, au niveau bantam AA. Quand Ricard est passé derrière le banc des Estacades du Cap-de-la-Madeleine, dans le midget AAA, Dallaire l’a suivi. C’est là qu’il a connu Pascal Leclaire.

 

Quand Leclaire s’est fait repêcher par les Mooseheads de Halifax, il est devenu le visage d’une équipe en reconstruction. Les nouveaux dirigeants lui ont demandé avec qui il aimerait travailler. Le téléphone de Dallaire a sonné.

 

« J’ai fait la navette à Halifax, à temps partiel, pendant deux ans. De fil en aiguille, on m’a offert le job à temps plein. »

 

L’appel de Pierre Pagé

 

Dallaire est débarqué à Halifax avec rien d’autre qu’une femme ouverte d’esprit et un anglais sommaire. Il y est resté pendant dix ans, a fondé une famille et s’est incrusté dans la communauté grâce à ses écoles de hockey. C’est son implication avec les jeunes qui l’a fait apparaître sur le radar de Pierre Pagé. Installé en Europe après sa carrière dans la Ligue nationale, l’ancien pilote des Nordiques cherchait un entraîneur des gardiens qui pourrait travailler autant avec l’équipe pro qu’avec l’académie du Red Bull de Salzbourg.

 

« C’est arrivé comme un cheveu sur la soupe », se surprend encore Dallaire, qui n’avait jusqu’alors jamais pensé qu’il réaliserait son rêve de l’autre côté de l’Atlantique.

 

L’aventure autrichienne a duré six ans. En 2015, après que Red Bull soit devenu l’unique propriétaire de l’équipe de Munich en première division allemande, un nouveau défi a été présenté à Dallaire. Sa feuille de route depuis qu’il l’a accepté suggère qu’il l’a relevé haut la main.

 

Patrick Dallaire (à droite), célèbre la conquête du championnat de la DEL par l'EHC Munich.L’EHC Munich a remporté le championnat de la DEL, la Deutsch Eishockey Liga, lors des deux dernières années. Au cours de chaque saison qui a précédé ces conquêtes, le club s’est classé deuxième au chapitre des buts alloués. Cette année, son gardien titulaire, Danny aus den Birken, est parmi les meneurs du circuit pour la moyenne de buts alloués (2e) et le taux d’efficacité (5e).

 

« Ça a sûrement aidé », reconnaît humblement Dallaire quand il est question de l’appel que lui a lancé Marco Sturm, ancien joueur de la LNH et aujourd’hui entraîneur de la sélection nationale. Depuis l’été 2016, le petit gars de Shawinigan travaille pour le drapeau de son pays d’adoption. 

 

« Le fait que je travaille dans la DEL a aidé. Il cherchait quelqu’un qui connaissait les gardiens du circuit et qui pouvait les voir évoluer à longueur d’année. Comme je suis aussi le responsable de la vidéo avec mon club, j’ai la chance de voir tous les matchs de chaque équipe. J’ai une très bonne idée de qui performe et qui a plus de difficulté et je peux donc faire mes recommandations. »

 

« Je pense qu’on a des chances »

 

Dallaire admet qu’il a dû se pincer quand il s’est retrouvé sur le banc de l’équipe allemande pour son match de quart de finale au plus récent Championnat du monde. Ce soir-là, les Allemands ont été éliminés après avoir subi une courte défaite de 2-1 contre... le Canada. Mais dans la tête de l’expatrié, aucun doute quant à son allégeance!

 

« Je vais t’avouer que je me sens plus Allemand que Canadien, affirme-t-il sans gêne. C’est l’équipe pour laquelle je travaille, c’est ici que j’habite. J’aurais bien aimé qu’on les batte la dernière fois, ça a passé proche. On va tout faire pour y arriver. »

 

Avec l’absence des joueurs de la LNH en Corée, le scénario est loin d’être improbable. L’Allemagne devra d’abord traverser un groupe corsé qui inclut également la Suède, la Finlande et la Norvège, mais dans le contexte qu’on connaît, le boss des cerbères croit que c’est loin d’être mission impossible.

 

« Sur papier, on a une bonne équipe. On ne se cachera pas que la Russie va être très forte, elle a des gros noms, mais pour le reste, c’est assez ouvert. Nos gars sont ensemble depuis deux ans, ils ont bien fait au Championnat du monde. Je pense qu’on a des chances. Ça dépend de plein de facteurs, mais on ne part pas la tête entre les deux jambes. »

L’Allemagne, qui n’était même pas parvenue à se qualifier pour les Jeux de Sotchi, comptera sur deux anciens vétérans de la LNH, soit le défenseur Christian Ehrhoff et l’attaquant Marcel Goc. Un seul autre membre de l’équipe peut se vanter d’avoir l’expérience des Olympiques et il sera sous la direction de Patrick Dallaire.

 

Le gardien Dennis Endras, du club de Mannheim, sera l’un des trois portiers germaniques. Il sera épaulé par aus den Birken, le poulain du coach québécois en DEL, et par le jeune Timo Pielmeier. Ce dernier est aussi lié, en quelque sorte, à son entraîneur de position. En 2007, après avoir été repêché par les Sharks de San Jose, il a traversé l’océan pour venir goûter au hockey nord-américain. Il a joué une saison avec les défunts Fog Devils de St. John’s et une autre avec... les Cataractes de Shawinigan.

 

Pour Patrick Dallaire, il s’agit là d’une autre preuve que le monde du hockey est bien petit et qu’il peut mener à des endroits inattendus.

 

« Je voulais enseigner, mais quand j’ai eu l’occasion de travailler dans le hockey, je n’ai pas pu la laisser passer. Le coaching rejoint un peu le meilleur de mes deux mondes. Ce n’était pas nécessairement réfléchi, mais c’est arrivé. La passion a pris le dessus. »