Le décès de Viktor Tikhonov marque la fin d’une époque. À 84 ans, il est le dernier entraineur-chef de l’équipe nationale soviétique à quitter ce monde. Durant ses 32 ans de carrière à titre d’entraineur, le patriarche du hockey soviétique n’a laissé personne indifférent. Louangé pour ses succès et critiqué pour ses méthodes, Tikhonov demeure aujourd’hui un personnage controversé en occident.

En Russie, Viktor Tikhonov est une fierté nationale. Les éloges sont venues de toutes les strates de la société. La famille du défunt a même reçu des condoléances du président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine. Le ministre des Sports, Vitaly Mutko, a qualifié le décès de l’ancien entraineur du club de l’Armée rouge de « perte irremplaçable. »

Tikhonov a été mis en terre au cimetière St-André, où l’on trouve aussi celui que l’on nomme le père du hockey soviétique, Anatoly Tarasov. Jusqu’à maintenant, Tikhonov a rejoint son prestigieux prédécesseur. Ils se tiennent côte à côte autant au Temple de la renommée du sport russe qu’à celui de la Fédération internationale de hockey sur glace. Il n’y a qu’à Toronto où Tikhonov brille par son absence.

En 1974, Anatoly Tarasov a été admis au Temple de la renommée du hockey à titre de bâtisseur. Son célèbre adjoint, aussi entraineur-chef du Dinamo de Moscou, Arkady Tchernychev s’y trouve aussi. En Russie, il ne fait pas de doute que Tikhonov mérite cet honneur. Viatcheslav Bykov a joué durant 12 ans sous ses ordres et il abonde en ce sens.

« Il est un souvenir impérissable dans la mémoire des partisans de son époque, mais aussi chez les joueurs et les entraineurs qu’il a forcés à innover. À titre d’entraineur, mais aussi à titre de joueur, il a fait entrer le hockey dans une nouvelle Ère. À mon avis, il est digne d’être honoré dans ce Temple. »

Il ne fait aucun doute que Tikhonov a marqué le hockey à titre d’entraineur. Son palmarès parle de lui-même. En URSS, il a remporté le championnat national à 12 occasions lors de 12 saisons consécutives à la tête du club de l’Armée rouge. Sur la scène internationale, il a raflé trois médailles d’or olympiques et sept autres aux Championnats mondiaux. Une feuille de route comme on n’en verra jamais plus. Sa non-admission au Temple de la Renommée n’est donc pas liée à la valeur du patrimoine sportif qu’il lègue.

En Occident, le nom de Tikhonov est lié à ses méthodes de directions. La défection d’Alexander Mogilny et les témoignages de ses anciens joueurs lui ont donné l’image d’un tyran aux méthodes inhumaines. Le contrôle total sur la vie privée des membres de l’équipe et ses entraînements militarisés prennent plus de place que son impact sur hockey. Il est vu comme l’antithèse des valeurs de la démocratie occidentale. Aux yeux de Boris Mikhailov, ancien capitaine de l’équipe nationale soviétique, ces arguments n’ont aucune valeur.

« Il doit à tout prix être intronisé au Temple de la renommée du hockey. Tikhonov n’est pas qu’un grand entraîneur russe ou soviétique. C’est un des plus grands entraîneurs de l’histoire du hockey, tout pays confondu. Vous savez, je ne crois pas que la démocratie ce soit bon pour nous. À mon avis, nous n’aurions jamais rien gagné si nous avions eu une structure démocratique sous Tikhonov. »

Viktor Tikhnov utilisa sans doute les outils que lui fournissait l’État soviétique pour s’imposer à titre de géant du hockey sur glace. Des méthodes dures et loin de celles promues en Amérique du Nord. Il fut l’outil d’un système où la victoire était le seul dénouement acceptable à une compétition internationale.

Il reste maintenant à savoir si le patriarche du hockey russe doit payer le prix à titre de complice ou s’il doit être vu lui-même comme une victime d’une machine dans laquelle il est né, car ses joueurs postsoviétiques l’ont connu sous tout autre jour. Nikolai Pronin, dernier capitaine de l’Armée rouge avant que Tikhonov se retire en 1996, a connu un tout autre homme.

« J’ai lu toutes ces histoires dans les médias, mais j’ai de la misère à y croire. Je ne dis pas que c’est faux, mais il ne m’est jamais arrivé rien de tel. Tikhonov nous a simplement montré à jouer au hockey. Il a toujours été gentil avec moi. Moi, ce 'dictateur', je ne l’ai pas connu. »