Le Canada craint un déclin dans les futurs JO
À un an jour pour jour de l'ouverture des Jeux olympiques de Milan-Cortina d'Ampezzo, le chef du sport du Comité olympique canadien (COC), Éric Myles, ne peut s'empêcher d'être inquiet pour l'avenir du sport au pays.
Les Jeux olympiques de Milan-Cortina auront lieu du 6 au 22 février 2026. Le Canada y enverra une délégation complète qui comptera de 215 à 225 athlètes, a souligné Myles au cours d'un entretien avec La Presse Canadienne, lundi. Qu'en sera-t-il en 2030?
« Avant Paris, je l'avais indiqué : j'étais confiant pour les JO 2024, mais inquiet pour l'avenir, a-t-il rappelé. Je suis encore à la même place. Ça n'a pas changé. Ce qui constituerait ma plus grande tristesse, c'est de me retrouver dans 15 ou 20 ans et de voir à quel point nous avons bien fait au cours de ces années — depuis Vancouver (2010), ce n'est que progression, même aux Jeux d'été —, mais qu'on soit en déclin. Et je crains ce déclin, pas parce qu'on aura mal fait les choses, mais en raison des contraintes financières qui pourraient nous amener à nous demander si on est capables de supporter tous les sports. À trop saupoudrer, ça ne fonctionne pas non plus. »
Le principal coupable aux yeux de Myles est le financement gouvernemental, qui n'a pas bougé depuis de nombreuses années.
« On navigue dans une réalité qui est que le gouvernement [fédéral] n'a pas augmenté le financement des fédérations sportives depuis 20 ans. Ça, ça vient créer une situation difficile. Ça crée beaucoup plus de pression [sur les athlètes] que le financement axé sur les récoltes de médailles : tu as X ressources pour chaque fédération.
« Ce qui est difficile présentement, et je le vois, ce sont des fédérations qui doivent couper sur des camps de développement, qui diminuent la taille de leur équipe. Ça crée une réelle pression sur le développement des athlètes. Ça coupe la chance rapidement à des jeunes qui ont un très bon potentiel. C'est ce qui nous inquiète le plus. »
À nous le podium toujours pertinent?
Myles a également abordé la question du financement des fédérations par À nous le podium, basé sur l'espoir de récolte de médailles, notamment. Depuis les Jeux de Pékin, en 2022, plusieurs athlètes ont exprimé ressentir une pression de performance liée à ce mode de financement, ce qu'on n'entendait pas ou peu entre 2004, quand le programme a été mis en place, et l'olympiade menant aux JO 2022.
Que les athlètes ressentent cette pression n'est assurément pas l'objectif visé d'ANP, mais fait un peu partie des dommages collatéraux, estime Myles.
« Je dirais que cette formule demeure très pertinente quand on regarde ce qui se fait sur la scène mondiale si on veut demeurer compétitifs, [mais] c'est clair que l'intention n'est pas de mettre de la pression sur les athlètes.
« Je ne connais pas un athlète qui s'en va aux Jeux olympiques qui ne se met pas de pression, a poursuivi Myles. Juste pour s'y rendre, c'est l'enfer. Ce sont des privilégiés, dans le sens où ils ne sont pas nombreux, et tout le monde veut faire de son mieux. C'est vraiment ça qui est visé. Pour faire de son mieux, c'est un ensemble de facteurs : la structure de l'équipe, l'approche, la culture, etc. Oui, on veut tous réussir. Si on revient des Olympiques et qu'on a gagné que cinq ou 10 médailles, c'est clair qu'il y aura toute une série de questions pour le monde sportif canadien.
« C'est une préoccupation quotidienne pour moi. Je cherche à améliorer le système, de voir comment on peut améliorer les conditions pour nos athlètes. »
Sur ce point, le COC a revu ces méthodes, notamment au niveau de la santé mentale et de la préparation de l'après-carrière des athlètes.
«Ce qui a évolué beaucoup et qui est intéressant de creuser plus loin, c'est qu'au COC, et ANP est embarqué là-dedans, c'est de financer directement plusieurs programmes sur la culture de la haute performance, le développement des entraîneurs, etc.
« Juste du côté du " coaching ", c'est international maintenant. On regarde ce qui est approprié, ce qui ne l'est pas. Mais aussi toute l'évolution des mœurs dans le " coaching ". On investit beaucoup dans Plan de match, qui vise à soutenir la santé mentale des athlètes. Sur ce point, on est un des pays qui en fait le plus au monde. On faisait très bien au Canada en ce qui a trait aux plans d'entraînement, mais moins sur les plans de vie. On a fait des pas de géants depuis qu'on a mis ça en place, autour de 2015.
« Au départ, c'était davantage un plan de transition, sur la façon de préparer sa retraite. Le programme a progressé et la plupart des sports l'intègrent à leur plan de préparation. Il y a des travailleurs spécialisés qui viennent appuyer les athlètes sur leurs choix de carrière ou d'études, et un très important volet de santé mentale, de soutien confidentiel. J'étais content qu'on ait ça en place avant la pandémie, mais la demande a accru de plus de 200 % pendant la pandémie. C'est un programme sur lequel on reçoit beaucoup de questions de la part d'autres pays. »
Affecté par les tarifs?
Au moment d'écrire ces lignes, le président américain Donald Trump avait repoussé d'un mois l'application des tarifs qu'il souhaite imposer au Canada, mais ils sont toujours d'actualités. Le COC craint-il d'en subir les contrecoups?
« C'est tôt pour voir toute l'ampleur de ça. Ce qu'on regarde de très près présentement, c'est Los Angeles 2028, surtout en raison des feux de forêt qu'il y a eu là-bas, a nuancé Myles. Une très bonne nouvelle dans tout ce drame et ces difficultés, c'est que nous avons signé une entente très importante juste avant Noël, juste avant les feux et la tempête politique, pour un pôle canadien qui nous permettra de tout regrouper nos activités en vue des Jeux de Los Angeles. Nous avons négocié des coûts qui demeureront fixes de la date de la signature, le 19 décembre 2024, pour les quatre prochaines années. Nos coûts s'en retrouvent protégés. »
Que les tarifs soient appliqués ou non, Myles croit que le COC sera en mesure de s'en sortir sans trop souffrir.
« Dans chaque pays où on va, on finit par tisser des liens, même dans des pays où ça peut être plus difficile. On en a eu : on peut penser à la Russie (Sotchi 2014) et la Chine (Pékin 2022), où ce n'est pas toujours simple. Même la Corée du Sud, il y avait certains enjeux. On finit toujours par trouver des gens avec qui on peut tisser de bons liens et, quand on regarde la Californie, nous ne sommes pas à court de bons liens ou de bonnes connexions. (…) On a même plusieurs Canadiens qui sont établis là-bas, qui ont des entreprises.
« Effectivement, il pourrait y avoir des ajustements, mais on ne devrait pas être en mauvaise posture. Ça demeure préoccupant, pas seulement du côté politique, mais du côté environnemental avec tout ce qu'ils ont vécu. C'est certain qu'il y aura un effet sur les coûts. Il y aura d'autres inquiétudes, dont les coûts de déplacement et la valeur du dollar. Ce sont des coûts que les fédérations devront gérer. Je me répète: ça fait 20 ans que le financement de base n'a pas été revu par Ottawa. Les exigences sont plus grandes partout d'un point de vue de la sécurité et de la logistique. Les fédérations travaillent concrètement avec moins d'argent, en raison de l'augmentation de ces coûts. Que le Canada soit demeuré aussi performant, c'est un exploit.
« Ça nous amène à poser plusieurs questions au gouvernement, mais à l'entreprise privée aussi. Les gens l'oublient, mais 98 % de notre financement au COC provient du privé. Il faut continuer de pousser et de trouver comment on travaille ensemble comme pays à soutenir nos athlètes. »