ZHANGJIAKOU, Chine - Les Jeux olympiques de Vancouver ont créé un engouement sans précédent au pays envers le sport amateur. Mais depuis 2010, le financement corporatif s'essouffle et les fédérations sportives doivent travailler d'arrache-pied pour permettre aux athlètes du pays de garder leur place au sein de l'élite mondiale. Celles rencontrées par La Presse Canadienne aux Jeux de Pékin sont unanimes : Vancouver doit obtenir les JO 2030 afin de redonner un second souffle aux investissements privés.

« Le Canada a une pensée différente d'autres pays, qui misent sur d'importantes commandites corporatives, note Jean-François Rapatel, directeur de la haute performance à Snowboard Canada. D'avoir les Jeux au Canada, c'est ça qui réveille la population et les entreprises, qui les excite. Ils réalisent que c'est l'occasion pour le pays de bien faire. J'étais avec Canada Alpin de 2005 à 2013, j'ai vu l'effet que Vancouver 2010 a eu. Des commanditaires se sont pointés, tout le monde voulait être impliqué d'une façon ou d'une autre. On a appris de ça, mais on n'a pas appris à combler le manque qui existe, de faire perpétuer ça dans le temps. »

« Je pense qu'ils ont raison à 100 % de dire cela, affirme pour sa part Peter Judge, chef de la direction de Freestyle Canada. Il y a certainement encore un intérêt du monde corporatif pour les JO et les athlètes, leurs histoires et leurs exploits aux Jeux. Il n'y a pas de doute qu'une plateforme importante, comme on l'a vu avant Vancouver 2010, attire les investissements corporatifs. Je crois aussi, comme nous l'avons vu au fil des ans avant 2010, qu'il y a une fierté qui s'installe partout au pays. Je crois que le monde corporatif souhaite s'investir dans cette fierté, qu'il est lui-même fier de participer en aidant les athlètes. »

Freestyle Canada, l'apport corporatif en 2022 représente à peine 30 % de ce qu'il représentait en 2010. Ces chiffres sont sensiblement les mêmes à Nordiq Canada, qui régit le ski de fond au pays. Cela a une incidence directe sur les opérations de ces fédérations, en plus d'avoir un effet sur le développement de la relève.

« Ce qu'on entend du monde sportif est très clair : l'argent provenant du monde corporatif a grandement diminué au cours des 10 à 12 dernières années, ajoute Judge. Ces corporations ont possiblement tenté de tirer profit de certaines associations, que ce soit avec des athlètes ou des fédérations. C'est très valide, mais ces associations ont tendance à avoir une durée limitée. Avec les différents défis à surmonter par tout le monde, comme la crise financière de 2008 (qui s'est réellement résorbée en 2014 au Canada), la COVID et tous les autres défis qu'on a rencontrés depuis, il n'y a pas de doute qu'il est plus difficile d'obtenir l'engagement du monde corporatif. Toutes ces « forces extérieures » peuvent avoir un impact profond sur le pouvoir d'engagement des compagnies.

« Je crois que le monde corporatif va revoir de fond en comble sa façon de s'engager socialement et le sport fera partie de ces réflexions. D'éventuels Jeux de Vancouver qui auraient lieu dans huit ans : ça nous place en bonne position. »

Mais pour certains, il y a plus que le temps nous séparant des derniers Jeux au Canada qui peuvent expliquer le désintérêt du milieu corporatif.

« Je dirais que depuis quatre ou cinq ans, on est tous victimes des mauvaises décisions du Comité international olympique (CIO), estime Dominick Gauthier, cofondateur et directeur des opérations de B2Dix, un organisme privé de financement philanthropique des athlètes. Les gens sont exaspérés. On l'a beaucoup senti avant ces Jeux de Pékin. Même les gens qui sont des passionnés de sports, comme moi et les gens qui m'entourent, commencent à se poser de sérieuses questions. On le sent aussi chez les gens qui ne font pas partie de ce Mouvement olympique, les gens qui nous regardent à la télé ou qui nous lisent: il y a un essoufflement, très grand. Ça a été poussé à un autre niveau avec les Jeux en Chine, les cas de dopage, etc. Tous les jours, je me lève en me demandant quelle mauvaise nouvelle nous aurons encore. Je veux parler du positif, mais on ne nous donne pas le choix! »

« Comme pour le reste de la société, il y a une plus grande attention sur les valeurs environnementales, les causes sociales, la bonne gouvernance, souligne Stéphane Barrette, chef de la direction à Nordiq Canada. Quand on sollicite des commanditaires ou des donateurs potentiels, ce sont des thèmes qui sont de plus en plus chers pour eux. Ils posent beaucoup de questions. Ils veulent s'assurer que s'ils appuient une fédération nationale, elle aura de très hautes valeurs éthiques, entre autres. »

Et, ajoute Barrette, le sport professionnel vient aussi jouer dans les platebandes du sport amateur.

« Plusieurs rapports le démontrent : le sport amateur a encore perdu un peu plus de parts de marchés par rapport aux sports professionnels au cours de quatre ou cinq dernières années. »

Le COC moins touché

Le Comité olympique canadien (COC) s'en est mieux sorti que la plupart des fédérations depuis Vancouver 2010. Ce qui lui permet de redonner aux fédérations nationales

« C'est davantage une croissance qui s'est faite depuis 2010 avec nos partenaires, indique Éric Myles, chef du sport au COC. L'important, c'est que ça ne va pas juste au COC. Oui, on a eu une augmentation, mais il y a un accroissement sur notre capacité à venir aider et travailler avec les fédérations depuis 2010. »

Il donne en guise d'exemples de l'aide fournie aux fédérations pour les aider à améliorer leur gouvernance, leurs stratégies marketing ou leur développement des affaires.

« Quatre-vingt-quinze (95) % de nos avoir sont tous des investissements qui retournent dans le milieu. Certains passent par À nous le podium et ciblent davantage la haute performance, mais il y a aussi tout un travail de soutien auprès des fédérations qui se fait », a poursuivi Myles.

Celui-ci rejoint toutefois les fédérations sportives canadiennes sur ce point: des Jeux en 2030 seraient bénéfiques pour tous.

« Oui, la venue des Jeux est hyper importante pour diverses raisons, pas seulement au niveau corporatif. Premièrement, tout l'engouement que ça entraîne, on vient de le voir avec deux Olympiques très rapprochés, au niveau de la population, des jeunes. Ensuite, le côté corporatif et l'engagement des gouvernements. (...) Les Jeux apportent ce moteur-là.

« On capitalise encore aujourd'hui sur les fonds qui ont été créés après Calgary (1988) et Vancouver. Alors, oui, cette candidature est essentielle pour amener le système sportif à un autre niveau et venir nous aider. »

« Je ne pense pas qu'une simple candidature soit suffisante pour faire tourner le vent et restimuler l'intérêt du monde corporatif et, qui sait, profiter d'un financement rehaussé du gouvernement canadien à la haute performance, nuance toutefois Judge. Ça prend les Jeux. Une candidature n'a pas le même cachet comme plateforme que l'obtention en bonne et due forme des Jeux olympiques. »

Salt Lake City, Sapporo et une candidature Barcelone-Andorre-Pyrénées ont manifesté officiellement leur intérêt auprès du CIO, qui ne tient plus nécessairement une élection entre
les villes candidates à sept ans des Jeux, comme il le faisait par le passé. Le CIO a adopté une « nouvelle approche flexible et collaborative (qui) signifie qu'il n'y a plus de cycle de
candidature fixe », lit-on sur Olympics.com. Les candidates américaine, japonaise et espagnole ont ainsi démontré leur intérêt pour des Jeux en 2030, 2034 ou 2038.

Pour l'instant, le dossier de Vancouver-Whistler, préparé en collaboration avec quatre Premières Nations de la Colombie-Britannique, a obtenu l'appui du COC. Une étude de faisabilité a été lancée au début du mois, mais le Canada n'a pas encore déposé de candidature officielle.