ZHANGJIAKOU, Chine – Le programme À nous le podium (ANP) ne fait pas l'unanimité. Il a même été sévèrement critiqué récemment. Mais fait-il partie du problème du financement du sport amateur canadien ou de la solution?

ANP a été couché sur papier quelque part en 2003, mais est officiellement entré en action en 2005. Il avait pour objectif clair de s'assurer que le Canada figure parmi les premiers de classe aux Jeux olympiques de Vancouver de 2010, qui venaient de lui être attribués deux ans plus tôt.

Sur son site Internet, ANP indique avoir pour mission « (d'offrir) du soutien technique aux organismes nationaux de sport pour que le Canada récolte plus de médailles aux Jeux olympiques et paralympiques » en « (accordant) la priorité aux stratégies de financement en formulant des recommandations de financement d'après une approche ciblée, collaborative et fondée sur des preuves dirigée par des experts ».

Sur le terrain, ce financement se traduit par une aide très ciblée, aux athlètes et programmes de pointe, figurant parmi les cinq ou huit premiers au monde. C'est ce qui semble la plus grande source de mécontentement, certaines fédérations s'estimant lésées quand elles ou leurs athlètes ne sont pas choisis.

« Je la comprends (cette frustration), surtout si t'es un petit sport et que tu ne bénéficies pas du support que tu penses mériter, ça peut être frustrant, affirme Jean-François Rapatel, directeur de la haute performance à Snowboard Canada. Je ne pense pas que le problème soit ANP, mais plutôt le reste du système.

« ANP est là vraiment pour venir donner l'apport supplémentaire nécessaire pour les athlètes qui ont vraiment une chance de performer au plus haut niveau. Le problème c'est qu'en dessous de ça, il n'y a rien. Si tu as un sport qui n'a pas encore démontré que tu as des athlètes qui ont des chances de gagner des médailles, tu ne tombes pas sous leur mandat. On est un peu dans ce problème-là avec nos programmes de snowboard alpin et de demi-lune : on ne tombe pas sous leur mandat. On en reçoit un peu pour les athlètes (de la relève), mais notre programme d'élite n'est pas encore là. On arrive avec des athlètes comme (Élizabeth) Hosking. Mais c'est extrêmement difficile tant que tu ne te retrouves pas avec des athlètes espoirs de médaille dans tes rangs. C'est donc le manque de financement avant ANP qui manque. »

Stéphane Barrette, chef de la direction de Nordiq Canada, abonde dans le même sens.

« Il n'y a aucun doute que le financement (entre la base et l'élite) est manquant. ANP a été créé en vue des Jeux de 2010 pour combler un besoin criant dans le but d'aider les athlètes du top-8 à grimper sur le podium. Il ne s'agissait pas de saupoudrer de l'argent partout, mais d'identifier des besoins très précis : des équipes médicales, des entraîneurs de pointe, que le développement de ce personnel soit le meilleur qui soit. Est-ce que ç'a fonctionné ou pas? Je pense que sans cet argent, ç'aurait été plus difficile. Est-ce que (les fédérations) s'attendaient à (recevoir) plus ou moins? Ça, chacun a son opinion. Je dirais qu'ANP, généralement, fait un bon travail. On comprend son mandat. »

C'est d'ailleurs l'un des problèmes cités d'ANP : il semble s'être dénaturé depuis sa création, créant ainsi des attentes irréalistes à son endroit.

« Je pense que ce qui devrait être fait dans un monde idéal, c'est qu'ANP soit un peu plus comme il l'était au début, c'est-à-dire très ciblé. Je crois beaucoup au financement ciblé: à un moment donné, on ne peut pas tirer partout, on doit faire des choix », estime Dominick Gauthier, cofondateur et directeur des opérations chez B2Dix, un organisme privé de financement philanthropique d'athlètes et de fédérations.

« Le problème c'est qu'ANP est devenu tellement gros que toute la tarte du financement du sport d'élite passe par là, poursuit Gauthier. Avant, ils avaient une portion de la tarte : on travaillait avec des sports, des athlètes qui avaient des chances de médaille et on leur donnait les éléments nécessaires à leur préparation. Maintenant, à peu près tout le financement qui arrive de Sport Canada pour le sport d'élite passe par ANP. Ils sont devenus en quelque sorte l'organisme de financement des sports au Canada. Pour moi, c'est là où une organisation comme celle-là n'est plus aussi agile qu'elle devrait l'être. Tout le monde dépend d'eux pour survivre! Quand ANP laisse tomber une discipline ou une fédération, elle tombe sous le respirateur artificiel. C'est un peu ça le problème.

« Je verrais une base de financement plus large pour toutes les fédérations sportives et ensuite, une bonne portion ciblée qui vient d'ANP. Aux fédérations ensuite de combler le manque de façon créative dans le secteur privé ou avec des levées de fonds. Si j'avais à faire un "reset", c'est cela que je ferais présentement. »

Le noeud du problème se trouverait donc entre le financement de la base de la pyramide sportive et celui de l'autre extrémité : comment fait-on pour se rendre à l'élite?

« Si le gouvernement prend vraiment à coeur le sport dans tous ses aspects et le sport à long terme et voit les retombées de la haute performance dans la société, libre à lui de faire plus dans le développement, laisse tomber Barrette. D'ailleurs, ça fait 10 ans que Sport Canada n'a pas renouvelé la Politique canadienne du sport et ses subventions. Nos subventions de Sport Canada, le partenaire financier principal de toutes les fédérations, n'ont pas augmenté depuis 10 ans. Nos coûts d'opérations ont augmenté eux. Ça met une pression énorme. Ça nous demande d'être de plus en plus autonomes. C'est facile à dire, mais pas facile à faire. On en subit tous les contrecoups.

« On est à un point critique en ce moment. Des fédés s'en tirent mieux que d'autres, mais généralement, c'est assez unanime comme son de cloche parmi mes collègues d'autres fédérations. Le gouvernement doit réévaluer son investissement s'il veut qu'on continue de livrer la marchandise. »

« Tout ne doit pas se rendre à ANP, estime par ailleurs Éric Myles, chef du sport au Comité olympique canadien. Il doit y avoir un travail de première ligne qui doit être effectué. C'est un organisme qui doit garder toute son attention sur la haute performance. Ce doit être ce qui arrive en fin de cycle, pour mener aux médailles. Ensuite, c'est le rôle des gouvernements fédéral et provinciaux, notamment quand on parle du financement de base, qui est hyper important. On a tous du travail à faire pour venir améliorer cette base et ce n'est pas le rôle d'ANP, même s'il va collaborer aux discussions. »

Toutefois, assurent plusieurs intervenants, ça ne veut pas dire qu'il ne peut pas être repensé après bientôt 20 ans d'existence.

« Il faut toujours se questionner. C'est comme ça que le programme a grandi. Il faut se demander si c'est la bonne façon de faire avec les moyens qui sont limités et les fédérations qui ont du mal à trouver du financement privé, dit Gauthier. La réalité n'est plus celle que nous avions avant les Jeux de 2010. Si on obtient les Jeux de 2030, faudra retourner à la table à dessin aussi : il n'y a à peu près plus personne qui respire. Tout le monde attend l'injection (de fonds) d'ANP pour survivre. Ça ne devrait pas être comme ça. »

« Je m'opposerais avec véhémence à l'élimination d'ANP. Depuis sa création, le programme a fait de grandes choses pour le sport canadien, argue Peter Judge, chef de la direction de Freestyle Canada, qui a été la tête d'ANP de 2014 à 2018. Il a été créé dans une quête de haute performance. Cela étant dit, tout organisme, afin de demeurer pertinent, doit se remettre en question et apporter des changements. (...) Forcément, le financement doit être réexaminé afin de demeurer pertinent. »

« On voit de beaux résultats en biathlon, en ski de fond, en saut en skis : ça démontre qu'on a beau faire toutes nos prédictions et nos prévisions, il y a beaucoup de choses aléatoires aux JO. C'est pour ça que d'assurer une meilleure base pour tout le monde serait plus viable. Ça nous permettrait d'avoir une meilleure stratégie à long terme », conclut Gauthier.