MONTRÉAL – Sean McColl n’attend pas littéralement le facteur. Il sait pertinemment que personne ne viendra cogner à la porte de la maison qu’il a louée pour la semaine dans un quartier huppé de Montréal.

Sean McColl n’attend pas non plus de savoir ce que le facteur lui apportera. Il le sait depuis un mois déjà. Et l’impatience ne le ronge pas parce qu’il sait que les nouvelles seront bonnes.

Mais Sean McColl attend. Impatiemment. Il veut toucher l’enveloppe, sentir le papier et voir les mots, les mots qu’il attend de lire depuis qu’il a commencé à pratiquer l’escalade à l’âge de 10 ans. Les mots qui lui confirmeront qu’il est officiellement un athlète olympique.

Le natif de Vancouver fait partie de la première vague de grimpeurs qui se sont qualifiés pour les Jeux de Tokyo, où l’escalade fera son entrée comme discipline olympique en 2020. Il a obtenu son billet à la fin du mois d’août en se classant 10e aux championnats du monde combinés. Seuls les sept premiers compétiteurs au classement se voyaient octroyer une place aux JO, mais comme chaque pays ne pourra avoir plus de deux représentants de chaque sexe et que quatre Japonais se sont classés devant lui, McColl a hérité du dernier laissez-passer disponible.

« C’est sûr que maintenant que j’ai eu un mois pour y penser, c’est beaucoup plus ancré en moi. Je me réveille et je n’ai pas peur que ce soit juste un rêve », raconte McColl, de passage au Québec pour participer au Bloc Shop Open.

« Mais c’est vrai que les premiers jours, c’était vraiment, vraiment bizarre. Un peu à cause de la manière dont je me suis qualifié, sans même avoir fait partie de la finale. Ce n’était pas comme j’avais prévu, on va dire, mais j’ai quand même mon ticket. »

Les championnats du monde combiné étaient la première de trois occasions pour McColl et ses confrères de s’assurer de l’une des vingt places disponibles pour les Jeux de Tokyo. Ceux qui sont arrivés à court en août auront la chance de se reprendre lors des qualifications olympiques à la fin novembre, où six autres invitations seront distribuées. Une autre porte s’ouvrira ensuite aux vainqueurs de chacun des cinq championnats continentaux qui auront lieu au printemps. Le compte sera bon lorsque la place réservée au pays hôte et une autre laissée à la discrétion d’une commission tripartite auront été attribuées.

Compliqué? Un peu, mais ce n’est plus le problème de McColl, qui passera la prochaine année dégagé du stress et complètement investi dans sa préparation pour la plus grosse compétition de sa vie.

« Pour moi, le fait d’être qualifié si tôt est ce que j’apprécie le plus. Dans le cerveau de presque tous les grimpeurs, on se disait qu’on devait se qualifier dans les deux premières compétitions. Le championnat continental, c’est une seule place, c’est vraiment un coup de dés, et ça arrive très tard dans l’année. Là, je peux être complètement relâché. Je pourrai profiter de ma saison [sur le circuit de la Coupe du monde] et bien gérer mes repos. Dans ma tête, toute l’année sera consacrée à ajuster la machine pour les Jeux. »

Priorité : la vitesse

L’escalade sportive regroupe trois disciplines : la vitesse (un contre-la-montre sur un parcours unique de 30 mètres), la difficulté (une paroi verticale de 15 mètres que les concurrents gravissent à l’aide d’un système de protection) et le bloc (une série de petits problèmes à résoudre sur un mur de quatre mètres). Chaque discipline a ses spécialistes et ses classements distincts sur le circuit de la Coupe du monde.

Mais aux Jeux de Tokyo, les trois épreuves seront regroupées et les médailles seront remises aux concurrents qui auront réalisé le meilleur pointage cumulatif au terme de la compétition.

McColl, qui a été couronné champion du monde du combiné en 2012, croit que sa polyvalence et son expérience pourraient lui donner un avantage dans ce format particulier. Lors des récents championnats du monde combiné, sa force en difficulté lui a permis de finir dans le top-10 même s’il avait sous-performé en vitesse et en bloc.  

« Je suis beaucoup plus fort en diff et en bloc. Même avec mon chrono le plus rapide sur la voie de vitesse (6,99 secondes, réalisé au Championnat du monde en août), je suis vraiment au milieu de tous les grimpeurs en combiné. Mais j’ai plus de 150 Coupes du monde dans les trois disciplines à mon actif, ça fait douze ans que je fais de la compétition de haut nvieau. Je crois que ça aide beaucoup pour le mental. J’ai un peu tout vu. J’ai déjà monté sur le podium dans de mauvaises journées et j’ai déjà raté des demi-finales quand je me sentais à 100 %. Il n’y a plus grand-chose qui puisse me surprendre. C’est juste un autre jour au boulot pour moi. Et j’adore cette expression parce que j’adore mon bureau! »

Dans la prochaine année, McColl entend consacrer une plus grande partie de son entraînement au mur de vitesse. Son objectif est d’améliorer le record canadien de 6,60 présentement détenu par le Britanno-Colombien Robert Stewart-Patterson.

« Avant le mois de novembre de cette année, je m’étais entraîné 5 ou 6 heures dans toute ma vie en vitesse. À partir de novembre, j’ai fait six heures par semaine pendant quatre mois d’affilée et ça m’a aidé incroyablement. Cette année, je prévois poursuivre la même routine. Mon objectif initial était de descendre sous les 7 secondes aux JO. Je suis donc un an en avance sur mon plan. »

Vieux à 32 ans

À 32 ans, McColl est le doyen de l’élite de son sport. Parmi les autres grimpeurs masculins qui sont déjà qualifiés pour Tokyo, le Français Mickael Mawem est le seul autre qui aura 30 ans lorsqu’il passera sous les anneaux. Chez les femmes, il est déjà établi que la grande favorite pour l’or olympique sera la Slovène de 20 ans Janja Garnbret.

McColl, qui a milité pendant sept ans pour l’inclusion de son sport dans le cycle olympique, est bien conscient qu’il n’est plus le grimpeur qu’il était et que ses chances de médailles auraient été franchement meilleures à Londres ou à Rio. Mais dans la vie comme sur le mur, il sait aussi qu’on ne gagne rien à dévier de l’instant présent.
 
« J’y pense toujours. C’est impossible de ne pas y penser, admet-il. Quand je regarde mes statistiques, j’ai gagné la plupart de mes médailles entre 2012 et 2015. On peut dire que c’est dommage, mais en même temps, toutes ces médailles et ces années m’ont apporté où je suis aujourd’hui, qualifié pour les JO de 2020. »

« Je pense souvent aux univers parallèles. Dans celui où je suis actuellement, tous mes accomplissements du passé m’ont mené aux Olympiques. Qui dit que je me serais qualifié pour ceux de 2012 ou 2016? Et qui sait si je serais où je suis aujourd’hui? On va dire que c’est un peu zen tout ça, mais je ne regrette rien. Parce qu’on a quand même les JO ici en 2020. Et j’en fais partie. »