On ne sait trop à quoi s’attendre de l’équipe de hockey formée de joueurs venus d’un peu partout et qui sont appelés à prendre la relève des plus grandes vedettes de la Ligue nationale. Si Gary Bettman l’avait voulu, les chances du Canada de remporter une troisième médaille d’or olympique consécutive auraient certainement été meilleures.

Par la force des choses, on a fait appel à des athlètes qui n’auraient jamais pu rêver d’une participation olympique. Des marginaux qui voudront profiter au maximum de la mission la plus importante de leur carrière, celle de charrier pour la seule fois de leur vie les espoirs de toute une nation. Au moment de la sélection finale, on s’est assuré que ces 25 « négligés » avaient suffisamment de caractère et de courage pour faire face à diverses situations, dont celle de remplir la mission quasi impossible de mériter l’or.

On a donc réuni des joueurs qui, on le souhaite, démontreront beaucoup de résilience et qui feront en tout temps passer les intérêts de l’équipe avant les leurs. Aux Olympiques, quand un athlète est laissé de côté, comme cela se produit inévitablement dans un sport d’équipe, il ne peut pas placer ses émotions à l’avant-plan. Quand on représente un pays, c’est primordial de s’effacer quand la situation l’exige puisqu’on a rarement deux occasions de gagner aux Jeux. Chose certaine, cette occasion ne se représentera plus jamais pour ces joueurs de remplacement.

Ils ne peuvent pas avoir un meilleur exemple sous les yeux que celui de Martin Brodeur qui en aurait beaucoup à leur dire concernant l’attitude à adopter aux Olympiques. Lors du retour des joueurs de la Ligue nationale aux Olympiques, à Nagano, en 1998, le gardien recordman s’est lui-même effacé avec beaucoup de générosité pour laisser toute la place à Patrick Roy et ce, même s’il traversait une saison des plus fructueuses avec les Devils. Brodeur a appris qu’il vivrait sa première expérience olympique sur le banc quand l’entraîneur Marc Crawford a confirmé, dès l’arrivée de l’équipe à Nagano, que Roy serait son gardien pour toute la durée de la compétition.

Décision pas très étonnante dans les circonstances quand on y pense. Crawford était l’entraîneur de l’Avalanche du Colorado et de Roy. Il allait devoir continuer de vivre avec son gardien vedette après les Jeux. Si Jacques Lemaire avait été l’entraîneur de la formation canadienne, il aurait certainement opté pour Brodeur. Glen Sather, pour sa part, aurait eu un parti pris évident pour son propre gardien, Curtis Joseph. Roy avait déjà trois coupes Stanley en banque et la majorité des entraîneurs sondés durant sa carrière affirmaient que pour gagner le septième match d’une finale de la coupe Stanley, c’est lui qu’ils choisiraient en raison de sa propension à manger les bandes dans les moments sans lendemain.

Je me souviens de ce point de presse de Crawford comme si c’était hier. J’en avais immédiatement jasé avec Brodeur. Je m’attendais à ce qu’il exprime son amère déception. Bien sûr, il était déçu. C’était assez évident qu’il aurait aimé disputer tous les matchs, comme Roy s’apprêtait à le faire. Cependant, il avait eu une réaction qui en disait long sur le type d’athlète qu’il était. Il s’était rangé totalement derrière cette directive d’équipe. Ce comportement pourra lui permettre assez aisément de s’asseoir avec les représentants des Jeux de 2018 pour leur expliquer pourquoi il est crucial en pareilles circonstances d’accepter les décisions qui sont prises pour le bien de l’équipe.

Brodeur, qui avait compilé des chiffres impressionnants cette saison-là (43-17-8, 1,80 et ,917), était resté d’un calme olympien. Il était même allé jusqu’à dire qu’il était préférable de s’en remettre à un seul gardien pour gagner ce genre de compétition, ajoutant du même souffle qu’il lui aurait été difficile de prendre le rôle de commande devant Roy. Un élan d’abnégation comme on en voit très peu dans les rangs professionnels.

Néanmoins, quand le Canada a été privé de la médaille d’or après avoir perdu en fusillade contre la République tchèque et Dominik Hasek, Brodeur se serait attendu à ce que Crawford lui permette au moins de participer au match pour la médaille de bronze. L’entraîneur s’en est tenu à son plan original.

Brodeur n’a pas protesté. Pourtant, il rêvait depuis longtemps d’une participation aux Olympiques. Six membres de sa famille avaient fait le voyage pour l’épauler. Sa déception, il l’a surtout ressentie en pensant aux émotions qu’il aurait souhaitées faire vivre à son père, lui-même un médaillé des Jeux de Cortina d’Ampezzo, 42 ans auparavant. Pour ressentir une sensation aussi forte, il allait donc devoir attendre aux Jeux de Salt Lake City quatre ans plus tard. Une mission qu’il a d’ailleurs parfaitement réussie en aidant le Canada à mettre fin à une disette de 50 ans sans médaille d’or.

Voilà pourquoi Brodeur est aujourd’hui la plus belle source d’exemple qu’on puisse offrir aux joueurs de la délégation canadienne. À 25 ans, il était une vedette montante dans la Ligue nationale. Il aurait été pleinement justifié de manifester une certaine frustration, mais il ne l’a jamais fait. Aujourd’hui, il peut regarder les joueurs droit dans les yeux et leur raconter ce que ça prend vraiment pour gagner aux Olympiques. Pas juste pour l’attitude qu’il a adoptée à Nagano, mais pour tout ce qu’il a accompli par la suite dans le cadre des Jeux olympiques.

Martin BrodeurTout un parcours olympique

Brodeur a participé à quatre des cinq tournois après que les joueurs de la Ligue nationale aient été acceptés aux Olympiques. Il est d’ailleurs le gardien qui a remporté le plus de victoires dans l’histoire des Jeux : 7. Un total qu’il n’a malheureusement pu gonfler à Vancouver en 2010.

Fort de trois coupes Stanley, on s’attendait à ce qu’il soit encore une fois le gardien titulaire du Canada, mais on a opté cette fois pour Roberto Luongo qui, à titre de membre des Canucks, avait la chance unique de participer aux Olympiques dans sa propre cour. Luongo a été à la hauteur en remportant cinq victoires consécutives et la médaille d’or.

Actuellement, à PyeongChang, Brodeur est en mesure de guider les trois gardiens sélectionnés, Ben Scrivens, Kevin Poulin et Justin Peters, qui n’auraient jamais pensé un jour représenter la feuille d’érable aux Olympiques. Ils ont actuellement la chance de profiter de son savoir et de sa brillante feuille de route. Détenteur d’un record de 691 victoires qui ne sera jamais surpassé, Brodeur fera bénéficier de sa vaste expérience olympique à trois gardiens qui ne totalisent que 90 matchs en carrière dans la Ligue nationale.

Si jamais les choses se passent bien pour Équipe Canada à PyeongChang, il faudra lui reconnaître un certain mérite. Un gardien, qui a su s’effacer dans l’un des moments les plus importants de sa carrière, a sûrement les qualités requises pour en inspirer d’autres.