L’éclatante victoire du Canada au curling en double mixte a d’abord été une victoire pour... le curling lui-même! Présenté pour la première fois aux Jeux olympiques, c’était une formule qui faisait grincer des dents les puristes de la discipline qui ne lui accordaient pas beaucoup de crédibilité. C’est lorsque s’est répandu la rumeur que cette version du sport allait se retrouver aux Jeux olympiques que les pays plus « sérieux », lire ici plus compétitifs, s’y sont intéressés. Jusque-là, ce n’étaient pas nécessairement les meilleurs qui y jouaient, chaque pays réservant ses meilleurs éléments à la compétition par équipe. Mais le mirage d’un podium olympique a changé beaucoup de choses.

Favorisé par la formidable profondeur de son bassin de joueurs, le Canada a remporté la médaille d’argent à sa première participation au Championnat du monde en double mixte. Les essais olympiques ont suivi et ce n’étaient pas des joueurs de deuxième catégorie qui y participaient. La preuve, cette médaille d’or en fin de compte. Et « l’establishment » du sport a dû se rendre à l’évidence... le spectacle plaît, la formule est ludique, les matchs sont plus courts. Une petite révolution vécue dans d’autres sports déjà. On peut penser à l’arrivée du score continu au volleyball il y a plusieurs années, qui a contribué à accélérer beaucoup les matchs, mais qui rencontrait certaines réticences au début.

Mais cela n’allait pas sans apporter certains défis aux joueurs. « Il y a d’abord un défi technique, explique Guy Hemmings, analyste de curling (et quatre fois participant au Brier) à RDS et aux Jeux olympiques. Les joueurs doivent être plus en forme. Lancer sa pierre, se relever et aller brosser demande une meilleure condition physique. Mais il faut dire que, de façon générale, les joueurs sont mieux préparés physiquement qu’avant. Puis il y a un défi stratégique. Parce qu’il y a moins de brosseurs, il faut une meilleure lecture de la glace. Et le capitaine doit être totalement investi puisqu’il sera appelé à brosser lui aussi. »

Pour les néophytes, le double mixte offre une belle porte d’entrée à la discipline. Joué plus rapidement, deux pierres sont déjà « placées » avant le début de chaque manche et il n’en reste que dix à tirer plutôt que 16, un match peut se conclure en une heure quinze. On apprend à connaître et reconnaître plus aisément les deux joueurs, les discussions sont faciles à suivre et le rythme soutenu. « Après cette brillante démonstration, estime Hemmings, il est certain que les clubs de curling au pays vont suivre. C’est plus facile de former des équipes et on devient compétitif plus rapidement. C’est vrai aussi sur la scène internationale.  Si le Canada a un million de joueurs membres dans différents clubs, créant ainsi un bassin formidable, ce n’est pas le cas de l’Espagne, la Hongrie ou la Roumanie par exemple. Et former une équipe de deux, c’est pas mal plus simple que d’avoir quatre bons joueurs à trouver. »

Si le Canada a gagné, constate lucidement Guy Hemmings, c’est qu’il a envoyé les meilleurs. Les meilleurs dans un gratin de joueurs qui feraient les grands dimanches de bien des équipes. John Morris a été impressionnant dans la victoire, lui qui a tout remporté ou presque, sur les scènes nationales et internationales. Les championnats canadiens et mondiaux juniors, le Brier (de façon spectaculaire en 2015), la médaille d’or par équipe aux Jeux de Vancouver, pour ne citer que ceux-là. Après une défaite au premier match, lui et sa partenaire Kaitlyn Lawes ont enchaîné six victoires dans leur cheminement vers la médaille d’or.

« Il a été impeccable, analyse Guy Hemmings. À un certain moment, dans la demi-finale, Lawes était secouée et n’arrivait plus à tirer de bonnes pierres. Il a fait ce qu’il fallait. » Comme un joueur de tennis qui regarde le cordage de sa raquette après un mauvais coup, Lawes mettait en doute la qualité physique de sa pierre. Morris lui a alors proposé de prendre la sienne et a joué la pierre défectueuse, qui était évidemment bien équilibrée. Mais ce simple geste fut un moment tournant dans le match et à partir de ce moment, Lawes a retrouvé son aplomb et le duo a remporté la victoire en demi-finale. « Il y a beaucoup plus de pression sur la demi-finale en double où on a une seule chance de se qualifier pour la finale. Morris, dans ce match, a joué à la fois un rôle de capitaine et d’entraîneur », poursuit Hemmings.

Ni Morris, ni Lawes ne participeront au tournoi en équipe. Le Canada, riche en curleurs on l’a dit, a choisi d’envoyer des équipes distinctes dans les trois disciplines. Un luxe que tous les pays ne peuvent se permettre. Mais cette victoire du Canada en double mixte a peut-être inspiré les hommes qui débutaient hier et qui ont remporté une victoire de 5 à 3 sur l’Italie et de 6 à 4 sur la Grande-Bretagne. Et les nouveaux adeptes intéressés par le double mixte emboîteront peut-être le pas à la compétition en équipe. Si T.J. Watt des Steelers de Pittsburgh en a fait son sport de prédilection à regarder aux Jeux olympiques, alors pourquoi pas vous, guidés par les connaissances éclairées et les commentaires enthousiastes de Guy Hemmings? Et accrochez-vous bien, d’autres médailles sont certainement à venir.