QUÉBEC - Les fédérations sportives se feront couper les vivres par l'État s'il est démontré qu'elles n'offrent pas aux jeunes athlètes un environnement qui les protège contre d'éventuels prédateurs.

Le financement versé par Québec à quelque 60 fédérations sportives sera donc bientôt assujetti à une série de nouvelles obligations.

Le ministre de l'Éducation, Sébastien Proulx, également responsable du sport, a fait adopter à l'unanimité mardi, à l'Assemblée nationale, une motion visant à mieux protéger les jeunes athlètes contre d'éventuels abus commis par des adultes chargés de leur entraînement.

La motion a été déposée en Chambre alors que quatre des 12 victimes de l'ex-entraîneur de ski alpin Bertrand Charest étaient présentes dans les gradins: Geneviève Simard, Gail Kelly, Anna Prchal et Émilie Cousineau.

Charest, qualifié de « prédateur » par le juge, a reçu une sentence de 12 ans de prison, après avoir été reconnu coupable de 37 chefs d'exploitation et d'agression sexuelle en juin 2017.

Les nouvelles règles devraient entrer en vigueur à compter de 2020.

L'initiative gouvernementale survient à la suite de la demande formulée par ces quatre victimes de l'ex-entraîneur de ski, qui sont sorties publiquement récemment, pour demander à Québec d'agir afin que d'autres jeunes athlètes ne subissent pas le même sort qu'elles.

D'ici 2020, les fédérations sportives devront donc se doter d'un plan d'action destiné à prévenir « les agressions physiques, psychologiques, émotionnelles et sexuelles dans la pratique d'un sport au Québec. »

Le plan d'action devra contenir des procédures claires et prévoir le traitement indépendant des plaintes, tandis que toutes les personnes visées (personnel des fédérations, athlètes, entraîneurs, bénévoles) devront obligatoirement suivre une formation en matière de prévention du harcèlement et des agressions.

Le nouveau règlement pourrait contenir d'autres éléments, comme le fait d'imposer aux fédérations qu'une jeune athlète ne se retrouve pas seule avec son entraîneur.

Il est clair que le financement public des fédérations sportives sera désormais conditionnel au respect de ce règlement, dès qu'il sera adopté.

« Ma colère s'émousse »

En conférence de presse, les anciennes skieuses d'élite ont exprimé leur satisfaction de voir Québec donner suite à leurs demandes aussi rapidement.

L'une d'elles, Émilie Cousineau, a dit souhaiter que le drame subi par les plaignantes et elle-même « donne du courage à d'autres victimes de parler, de se lever. « En tant que victime, je peux affirmer qu'il s'agit d'un processus libérateur. Cela me permet de poursuivre dans ma guérison. En fait, pour la première fois depuis trop longtemps, ma colère s'émousse », a-t-elle commenté, en point de presse, flanquée de ses trois consoeurs, du ministre Proulx et de la ministre de la Condition féminine, Hélène David.

Cette dernière a convenu que depuis trop longtemps, la société, incluant les gouvernements, ferme les yeux sur ce type d'abus.

« On n'a plus le droit de rester les yeux fermés », a commenté Mme David.

« Que le corps de la femme soit un objet d'exploitation, un abus de pouvoir, ça fait des siècles que ça dure, a-t-elle ajouté. Et le mouvement #metoo est en train de dire: Ça suffit! les femmes ne sont plus un objet d'exploitation, nous, les femmes, nous ne nous soumettrons plus à ce rapport de pouvoir. C'est ça qui est en train de se passer. Alors, est-ce qu'il faut agir? Certainement. Est-ce qu'il faut dénoncer? Certainement. Mais pourquoi ces femmes n'ont pas dénoncé depuis 20 ans? Parce que la société n'était pas prête, ni à entendre, ni à agir, ni à bouger. Maintenant, on est prêts à entendre, à bouger et à agir, enfin! »

Le ministre Proulx a dit souhaiter que le mouvement initié par le Québec ait un écho dans les autres provinces et au gouvernement fédéral.

« Cette nécessité de protéger des athlètes dans la pratique de leurs sports n'est pas québécoise, elle est universelle, et ça doit être fait à l'intérieur de nos propres juridictions. Alors, nous, on va le faire à l'intérieur du Québec, on va sensibiliser les homologues fédéraux et des autres province »", a-t-il promis.

Une autre plaignante, Anna Prchal, a souligné que « l'immense vague de soutien que nous recevons chaque jour depuis la dernière semaine de tout près et de loin nous a donné le momentum pour poursuivre ce mouvement et continuer la conversation. Et cela ne s'arrête pas là. Avec la volonté politique, il peut y avoir du changement concret, rapidement. J'espère de tout coeur que les autres provinces et le gouvernement fédéral suivront les traces du Québec pour rendre l'espace sain, sécuritaire et sans abus », a-t-elle fait valoir.