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Ismaël Koné : la proximité de l'échec

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MONTRÉAL – Bien des années plus tard, face au journaliste qui le torpillait de questions, Ismaël Koné devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel sa mère l'emmena faire connaissance avec la glace.

Bon, d'accord, ce ne sont pas exactement nos mots. Et le cliché est gros comme le bras, on vous le concède. Mais faites-nous confiance. On s'en va quelque part.

L'histoire commence donc le jour où un jeune immigrant de 8 ans voit la neige pour la toute première fois.

« Je voulais aller faire ma boule de neige, et ensuite je voulais la garder, nous raconte Koné. Je rentre, je la mets dans un bol, puis je la dépose au salon. Je pars, je reviens et je vois que c'est de l'eau. Pourquoi? »

C'est la seule fois, sur la durée d'une rencontre d'une trentaine de minutes, que la conversation déviera du seul sujet qui semble véritablement intéresser Koné : le soccer. Mais il y a quelque chose dans l'anecdote dont le jeune homme peut maintenant s'inspirer dans ses ambitieuses visées sportives.   

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Koné est né en Côte d'Ivoire. Il y a vécu les sept premières années de sa vie avant d'émigrer au Québec avec sa mère. Suzanne Diomane et son fils se sont posés dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal.

« Ça a été dur pour moi, je vais pas te le cacher. Tu tisses des liens avec des gens et après on te les enlève comme ça et tu ne sais pas pourquoi. Quand t'es jeune, c'est difficile de comprendre que tu dois quitter pour une meilleure vie, entre guillemets. »

Dans le complexe d'appartements où se sont logés les nouveaux arrivants, les voisins parlaient majoritairement l'anglais et se passionnaient surtout pour le basketball. Koné, lui, pensait au football matin, midi et soir. Il ne voyait pas ce qu'elle avait de meilleure, cette vie.  

« En Afrique, tu te promènes partout, à n'importe quelle heure tu vas voir du monde en train de jouer. Ici, il fallait que tu dises à tes amis "Ok, on va se rencontrer à telle heure, on va jouer de telle heure à telle heure et après on va rentrer". C'était différent de ce à quoi j'étais habitué. Des fois je voulais jouer, j'avais personne dehors, j'avais pas d'amis. Ça a été brusque. Maintenant j'en rigole, mais c'est ça qui m'a un peu forgé. »

Koné a attendu deux ans avant d'intégrer son premier club. Un jour, il jouait au parc Benny quand il a aperçu des garçons de son âge, en uniforme, se diriger vers il ne savait trop où. Il les a suivis jusqu'à un terrain derrière l'école Marc-Favreau. Un match se préparait. Il s'est dirigé vers une dame et lui a dit qu'il voulait y participer. On lui a fait comprendre qu'il fallait être inscrit, avoir payé un droit de jeu, mais on lui a quand même prêté un maillot et fait voir le terrain pendant quelques minutes. Avant qu'il retourne à la maison, on lui a expliqué comment officialiser son adhésion. Il s'est enrôlé chez les U11 AA.

« Tu vois, c'est drôle mon parcours, observe Koné. C'est juste mon amour du foot qui m'a mené où je suis. »

« Kwame, I wanna go pro »

C'est pourtant l'un des points sur lesquels Kwame Ansah a le plus souvent insisté pendant les deux années que Koné a passées au CS St-Laurent, à partir de l'âge de 15 ans. Lorsqu'on rêve d'atteindre les plus hauts sommets, vient un temps où l'amour ne suffit plus.   

« Quand il est venu chez nous, la discussion que j'ai eue avec lui était simple, révèle son ancien entraîneur. La seule chose qui va faire la différence dans ta carrière, c'est le travail. Est-ce qu'il était prêt pour ça? Parce que quand tu passes du côté pro, tu dois changer toutes tes habitudes. C'était ça mon inquiétude un peu. »

Ansah se souvient d'un jeune humble, adoré de tous ses coéquipiers. D'un joueur aussi qui, malgré toutes les bonnes valeurs qu'on tentait de lui inculquer, n'avait pas encore besoin de se fendre en quatre pour s'élever au-dessus de la mêlée.

« Vous savez, il y a des joueurs qui sont nés avec des choses naturelles. Lui, c'est ça. On voyait ça dès le début. Mes assistants et moi, on se disait : "Ce gars-là, il faut absolument qu'il teste le haut niveau". Il avait du talent au-dessus de tout le monde, c'est incroyable les choses qu'on voyait chez lui. »

En 2019, les U17 du CS St-Laurent se sont qualifiés pour les Championnats canadiens. Ils sont revenus avec la médaille de bronze et leur joueur vedette avec une réputation qui dépassait désormais les frontières du Québec.

« Les équipes qui s'intéressent à lui, je dirais que ça a commencé là parce qu'il a fait un gros, gros tournoi, estime Ansah. Je me rappelle bien, il y a au moins quatre entraîneurs d'autres provinces qui étaient venus me parler de lui. Ils me demandaient ce que ce gars-là faisait à Montréal, s'il était au centre d'entraînement de l'Impact. Il y avait beaucoup de questions autour de lui parce qu'il avait clairement quelque chose de plus que les autres. »

Des universités canadiennes et américaines ont commencé à lui faire de l'œil. Sa réponse était toujours la même :  « Kwame, I wanna go pro ». Koné a complété son secondaire 5, mais n'a jamais eu l'intention de convoiter d'autres diplômes. Après un récent match du CF Montréal, il a raconté qu'il avait 15 ans lorsqu'il a annoncé à sa mère qu'il voulait gagner sa vie en jouant au soccer.    

« Plus jeune, c'était plus compliqué, nous avait-il dit en privé quelques jours plus tôt. Ma mère a fait beaucoup d'études et elle m'a justement fait venir ici pour que j'aie une meilleure vie. Elle est très intelligente, pour elle c'était logique que je fasse la même chose qu'elle. Mais moi, j'avais une vision différente. Maintenant elle voit que j'ai pu réaliser mon rêve. Elle m'a toujours poussé, ne m'a jamais retenu. Mais quand j'étais jeune, c'était difficile. »

Couler pour de simples bêtises

L'année suivant les Championnats canadiens, Koné s'est associé à un agent – le Montréalais Nick Mavromaras, qui gère notamment la carrière des internationaux canadiens Jonathan David et Cyle Larin – et a décroché des essais en Belgique.

Pour la première fois, la réalité l'a rattrapé. Parfois, même les plus grands prodiges doivent apprendre à s'armer de patience. C'est ce que les grands érudits du monde du sport appellent « le processus ».

En Europe, Koné s'est retrouvé en compétition avec des athlètes doués qui avaient grandi avec des ressources et des moyens qu'il n'avait jamais eus, dans des environnements comme il n'en n'avait jamais connus. « Je savais que c'était la différence entre nous, repense-t-il avec lucidité. Quand je suis allé à Genk, j'ai vu qu'il y avait certains aspects qu'il me manquait. »

« Moi mon but, c'était de faire ça vite. Je ne voulais pas commencer à Montréal, je voulais commencer en Europe. Je savais que j'avais le potentiel, mais il fallait l'apprentissage, tu vois? »

Koné est rentré à la maison après un premier voyage infructueux. Avant qu'il n'ait le temps de repartir, la COVID l'en a empêché. C'est à ce moment que le CF Montréal est devenu une option. Il a finalement signé son premier contrat professionnel avec le club à l'été 2021.

« J'ai eu beaucoup de discussions avec lui par rapport à ça, mentionne Kwame Ansah. Il disait qu'il comprenait. Je pense que si jamais il va à l'autre niveau, c'était la préparation dont il avait besoin pour qu'il comprenne qu'il doit travailler plus. Je pense que c'est ce qu'il fallait pour qu'il mette encore plus de travail. »

De son propre aveu, Wilfried Nancy n'a pas ménagé sa recrue cette année. « J'ai été vraiment, vraiment dur avec lui, a dit l'entraîneur lors de son bilan de fin de saison. Pas parce que j'étais heureux de le faire, mais parfois, je devais l'être. »

Koné a traversé des périodes d'euphorie. L'hiver dernier, il a marqué le premier but de sa prometteuse carrière dans un match de Ligue des champions. Un mois plus tard, il était appelé par la sélection canadienne pour une série de matchs de qualification en vue de la Coupe du monde. Des blessures et des préoccupations que Nancy a voulu garder à l'interne l'ont ensuite sorti du groupe de partants pendant une partie de l'été. Il a toutefois terminé la saison en force, tellement qu'il a reçu de l'intérêt de clubs anglais et qu'on le verrait mal être exclu de la formation qui partira représenter le pays au Qatar dans quelques semaines.

« Quand tu viens de loin et que tout d'un coup tu as tout ce dont tu rêvais, dans ta tête ça fait juste "woof". Tu peux tellement te perdre rapidement. Après tu te dis "mais qu'est-ce qui s'est passé?" », a retenu la pépite de son initiation aux aléas du sport professionnel.

En théorie, Koné pensait s'être protégé contre ce genre de menace. Il avait identifié des modèles positifs, parmi eux Alphonso Davies, qui avait su bien gérer la célébrité précoce. « Sa tête aurait pu exploser, mais il est resté humble ». Il avait aussi été témoin d'histoires qu'il ne voulait pas vivre. « J'ai vu beaucoup de gens couler pour des simples bêtises », regrette-t-il.

Mais il n'y a rien comme avoir soi-même les deux pieds sur un nuage pour saisir la fragilité du succès.

« L'autre chose qui m'aide, c'est que si jamais je ne travaille plus sur le terrain et que je crois que je suis rendu, à la fin les offres de Sheffield et de Norwich, il n'y en aura plus. Si j'écoute trop les gens comme [le journaliste] Fabrizio [Romano] qui parle de moi, eh ben il ne va juste plus parler de moi. Je vais tout perdre, tu vois? Je ne travaille pas pour que les gens parlent de moi, mais ça te montre dans quel état d'esprit je suis. Le travail, ça va toujours battre tout. »

Ismaël Koné l'a appris à un jeune âge. Ce qu'on croit solide peut s'avérer être d'une désarmante fragilité. Ce qu'on tient en sa possession peut fondre avec une seule mauvaise décision.

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