MONTRÉAL – La relation entre Patrick Leduc et Otmane Ibrir remonte à loin.

Au début des années 2000, puisque l’Impact avait cessé ses activités hivernales dans les championnats de soccer intérieur, Leduc avait pris l’habitude, pour garder la forme entre deux saisons, de retourner s’entraîner au Centre national de haute performance (CNHP) à Laval. Ibrir, lui-même un ancien joueur de l’Impact, en était le directeur.

Le jeune pro s’entraînait en compagnie d’amateurs comme Jason Di Tullio et Rocco Placentino. Les séances étaient intenses, l’entraîneur exigeant. Lorsque le temps est venu de se rapporter au camp de l’Impact pour préparer la prochaine campagne, Leduc s’y était présenté dans une forme splendide.

Un an plus tard, ces jeunes qui l’avaient poussé à l’entraînement était devenus ses coéquipiers avec le Bleu-blanc-noir.  

« Ils étaient avec nous et ils jouaient tout de suite. Leur courbe d’apprentissage avait été très rapide. [Otmane] avait pris des jeunes joueurs à la fin de leur soccer mineur et il les avait mis sur une trajectoire ascendante. Et ils étaient prêts quand ils arrivaient chez les pros. Ils avaient faim, ils n’étaient pas intimidés et ils étaient tout de suite, dans bien des cas, capables de faire une différence. »

Le travail d’Ibrir, que la vie a ensuite mené dans son Algérie natale, puis à la tête de l’Association régionale de soccer Richelieu-Yamaska, n’a jamais cessé d’attirer l’attention de Leduc. Il a profité de ses conseils quand il s’est lui-même retrouvé, après sa carrière de joueur, en charge d’un programme sur la Rive-Sud. Il a vu ses sélections régionales, même si elles puisaient dans une banque de talent relativement modeste, faire la vie dure à des programmes mieux nantis. 

Tous ces souvenirs et ces observations sont venus s’encastrer l’un dans l’autre lorsque Leduc, maintenant directeur de l’Académie du CF Montréal, s’est mis à la recherche d’un pilote pour le groupe U23 du club, orphelin d’entraîneur depuis la promotion de Jason Di Tullio avec la première équipe.

La nomination d’Ibrir a été confirmée le 20 mars. Il entrera officiellement en fonction le 1er mai.

« Quand Patrick m’a contacté, ça a été une surprise, je ne le cacherai pas, mentionne le formateur de 57 ans. J’ai touché le haut niveau, que ça soit au Canada ou en Algérie, mais ça va bientôt faire dix ans que je n’ai pas touché à ça. Je suis directeur technique d’une région, on va dire, d’agriculteurs! »

Il y a un monde entre le club dont Ibrir a endossé l’uniforme dans les années 1990 et celui qu’il retrouve près de 30 ans plus tard, mais les visages qu’il y reconnaîtra sont nombreux. Di Tullio a été son capitaine avec l’équipe canadienne des moins de 17 ans. Patrice Bernier l’a aidé à gagner l’or aux Jeux de la Francophonie. Nicolas Gagnon, l’entraîneur-chef de l’équipe U17, a été son assistant à l’ARS Richelieu-Yamaska.

Son nouveau poste lui permettra aussi de consacrer plus de temps à un aspect de son métier qui coule dans ses veines, celui avec lequel il est tombé en amour lorsqu’il a accepté l’offre de Francis Millien de prendre en charge l’équipe québécois des moins de 13 ans au sein de laquelle évoluait « une génération en or » qui a produit des pros comme Adam Braz, Ali Gerba et Andrew Olivieri.

« J’adore le terrain, je suis un passionné du coaching. En tant que directeur technique, je suis gestionnaire des programmes. Mais j’ai aussi mon groupe de sport-études que je dirige le matin de 9 h 30 à 11 h. J’aime être avec les jeunes sur le terrain, leur apprendre des choses, bastonner. J’ai coaché en Coupe du monde, des tournois de CONCACAF, des équipes canadiennes. Mais quand je prends des 9-10 ans, j’ai la même motivation. »

« J’ai fait une maîtrise en gestion du sport à l’Université d’Ottawa, j’ai un ‘bac’ en éducation physique. J’ai du bagage là-dedans. Mais j’ai toujours été coach. J’ai toujours gardé contact avec le terrain. »

Une formule « gagnant-gagnant »

Leduc raconte une autre anecdote au sujet d’Otmane Ibrir, une histoire qui le ramène encore plus loin dans le temps que la précédente, sur le plancher de bois du gymnase du Cégep Édouard-Montpetit. Il y était pour rester à la page – peut-être pour se préparer pour les Jeux du Canada, il n’en est plus certain – entre deux semestres à l’université américaine où il avait décroché une bourse. Son égo, de son propre aveu, passait difficilement par les portes. Il croyait que les règles que devaient respecter les autres ne s’appliquaient pas à lui. Ibrir l’avait remis à sa place sans mettre de gants blancs.

« Je m’attendais presque à un hommage à mon arrivée. Ça m’avait vraiment secoué », conclut Leduc avec l’humilité de celui qui a appris sa leçon. De cet épisode, donc, il a gardé le souvenir d’un coach « très rigoureux, très sérieux ».

De cette étiquette, Ibrir ne fait aujourd’hui aucun effort pour se détacher.

« Je suis dur avec moi-même d’abord, justifie le sympathique pédagogue. Et je suis dur avec tous les gens que j’ai côtoyés, pas juste Patrick! C’est ma façon d’être, c’est ma personnalité. Mais je n’aime pas le mot ‘dur’. Le mot ‘exigeant’ est approprié pour la simple raison que d’après moi, parmi les ingrédients dont un jeune de haut niveau a besoin pour réussir, ça prend un coach exigeant. Mon principe de base : si l’entraînement est facile, le match va être difficile. Je préfère le contraire. Les jeunes que j’ai dirigés depuis des années, je les aime tous, j’ai une relation un peu paternaliste avec mes joueurs. J’ai de l’affection pour mes joueurs, mais je suis extrêmement exigeant avec eux. Et je pense que mon exigence passe parce que justement, il y a l’autre côté affectif. »

Ibrir arrive au CF Montréal dans des conditions particulières. Son contrat est d’une durée de huit mois, période au cours de laquelle il conservera ses fonctions à l’ARS Richelieu-Yamaska. Sans entrer dans les détails, son nouveau patron affirme qu’« on ne peut pas écarter un éventuel retour de certains membres du personnel de la première équipe à l’Académie » et qu’« on ne peut pas se permettre de faire des engagements à long terme pour l’instant. »  La volonté de ficeler une éventuelle entente à long terme semble réciproque, mais dans l’immédiat, les deux partis se sont entendus pour ce que Leduc décrit comme une « formule gagnant-gagnant ».  

« Pour moi, un contrat de huit mois, ça ne change rien, assure Ibrir. Je vais travailler comme si je vais être là pendant dix ans. Après, un autre va peut-être prendre le relais. On fera les comptes à ce moment-là. Mais huit mois, let’s take it. On va le prendre et on verra ce qui va se passer. Je ne commence pas ma carrière. En huit mois, je crois pouvoir mettre une certaine influence sur ce groupe et aider les jeunes, bien sûr. Après on verra. »