MONTRÉAL – « Détestez-vous Toronto? »

Il y a quelques années, la question aurait assurément déstabilisé Nancy Brooks. Mais en ce dimanche de mai étonnamment ensoleillé, à l’ombre réconfortant des grands feuillus qui bordent le stationnement où le groupe de supporteurs 1642MTL se rassemble avant chaque match local du CF Montréal, elle y répond sans même prendre le temps d’y réfléchir.

 « Mets-en! », s’exclame-t-elle passionnément dans un grand éclat de rire.

S’il s’agissait là de la seule façon de reconnaître les vrais partisans du CF Montréal, Nancy et son mari Tayt rentreraient dans le moule sans même forcer. Mais les preuves de leur amour pour le Bleu-et-Noir sont si nombreuses qu’elles relèguent vite au rang d’anecdote leur prise de position dans cette vieille rivalité. En cette période de discorde où le club peine à réparer les liens avec une frange blessée de ses fidèles, l’histoire de ce couple de St. Albans au Vermont en est une de communion et de fraternité qui réchauffe le coeur.

À l’été 2018, les Brooks sont en visite à Montréal pour assister à un spectacle du festival Just For Laughs. Un détail : ils n’ont pas acheté de billets et réalisent le jour venu qu’il est impossible de s’en procurer. Vers quoi se tourner? Leur choix s’arrête sur le match de l’Impact contre les Earthquakes de San Jose.  

« On avait déjà fait le voyage pour des matchs du Canadien ou des Alouettes, même les Expos dans le temps. Je savais qu’il y avait un club de la MLS, mais on n’avait jamais été tentés d’y aller. Cette fois-là, on s’est dit : "hey, pourquoi pas?" », raconte Tayt, tout de bleu vêtu sous sa casquette et son t-shirt aux couleurs de l’Impact.   

De cette soirée, ils se rappellent du pointage, mais aussi des liens créés avec les occupants des bancs voisins, des Californiens débarqués à YUL quelques heures plus tôt pour venir encourager leur équipe. Avant même de quitter le Stade Saputo, leur idée est faite. Ils y reviendront.

La saison suivante, une trouvaille sur les réseaux sociaux les emballent. Un groupe de fanatiques organise des rassemblements festifs avant les parties. Par curiosité, ils osent s’y pointer lors de leur déplacement suivant. « Parce que qui n’aime pas un bon party! », raisonne Tayt au milieu de son récit.

Tayt et Nancy Brooks avec les 1642MTL et Gabriel GervaisIls y sont accueillis par Louis Colas, alias « le Shérif », et se sentent aussitôt comme des membres de la famille. Cet été-là, les allers-retours s’accumulent et se prolongent grâce aux liens tissés avec les « 1642 » et les fervents de la section 127. Leur sentiment d’appartenance prend une telle ampleur qu’ils décident d’en devenir membre à part entière. À l’hiver 2020, les deux tourtereaux s’achètent une paire de billets de saison.

Leurs sièges sont situés en haut de la section 125, en plein milieu du terrain et à l’abri de la pluie, bien loin de la cohue de la 114 à l’extrémité est du stade. « Je suis vieux et j’ai besoin de m’asseoir! », se défend Tayt, 47 ans.

« Mais à la fin des matchs, on se faufile toujours à travers la foule, le plus vite qu’on peut, pour rejoindre la section de supporteurs, précise Nancy. On aime tellement faire partie des célébrations avec le reste du groupe. »

Cloche, COVID et cannettes froides

Depuis que les spectateurs ont été réadmis au Stade Saputo, les Brooks estiment qu’ils ont assisté à « environ 90% » des matchs locaux disputés la fin de semaine. Parce qu’ils ont deux jeunes filles à la maison, ils font plus souvent qu’autrement l’impasse sur les rendez-vous du mercredi, comme ceux du Championnat canadien. Cette année, ils devraient pouvoir assister à une douzaine de parties.

« Mes parents sont des saints! », lance Tayt en pensant à Anna, 7 ans, et Amelia, 5 ans, qui restent généralement avec leurs grands-parents pendant que leurs géniteurs partent assouvir leur nouvelle passion.

Un tel dévouement requiert plein de petits sacrifices et donne parfois des histoires cocasses. En février, les amoureux avaient prévu traverser la frontière pour assister au match de Ligue des champions contre Santos Laguna. Ils avaient rempli toutes les conditions requises pour éviter les problèmes aux douanes, « puis par hasard, sur Facebook, je vois que le match a été repoussé à cause de la neige, raconte Nancy. Nos tests COVID ne seraient alors plus valides! Il était 19h, les filles étaient en pyjamas, il a fallu s’entasser dans la voiture à la hâte pour arriver à la clinique avant la fermeture! »

« Ça a été toute une aventure, mais on a réussi à être au match... et ça a valu la peine! », conclut Tayt.

Tayt Brooks avec ses filles Anna et AmeliaCette victoire de 3-0 qui permettait au CF Montréal de se qualifier pour la demi-finale de cette compétition continentale est l’un des beaux souvenirs que le couple garde de sa jeune histoire d’amour avec son club de cœur. Un autre moment précieux s’est imprimé dans leur mémoire en août dernier quand les 1642MTL ont demandé à Tayt d’actionner la cloche pour le match contre les Red Bulls de New York que le CFM a gagné grâce à trois penaltys dans les arrêts de jeu.

Pour tous ces beaux moments et ceux à venir, les Brooks souhaitent solidifier leur place dans leur ville d’adoption. Nancy est encore trop timide pour faire la démonstration de ses progrès, mais elle a renoué avec l’apprentissage du français qu’elle avait entrepris à l’école secondaire. Tayt s’engage à l’imiter, « mais elle est en avance sur moi! », admet-il.

Les amoureux ont aussi signé une promesse d’achat pour un condo qui devrait surplomber le Quartier des spectacles en 2023. Il leur servira de pied-à-terre pour faciliter leurs déplacements et ainsi inclure plus régulièrement leurs deux futures partisanes dans leurs pèlerinages.

En attendant, ils ont déjà trouvé une façon bien à eux de redonner à la communauté IMFC qui les a si chaleureusement accueillis. Pour l’avant-match précédant la visite du Real Salt Lake en fin de semaine dernière, ils avaient apporté des réserves d’une de ces boissons bien houblonnées dont les microbrasseries du Vermont ont le secret.    

D’où notre surprise, après une dernière poignée de main, de voir Tayt retourner vers le « tailgate » avec une vulgaire bière commerciale à la main.

« J’ai donné toutes les autres! », se désole-t-il, tout sourire, avant d’aller rejoindre ses compagnons.