MONTRÉAL – Lors de sa première apparition publique dans le rôle de président de l’Impact de Montréal, Kevin Gilmore avait proposé une image forte pour illustrer ce qui allait devenir le point d’ancrage de sa philosophie : le club dont il prenait le contrôle devait voir gros et se comporter en conséquence.

« Peut-être parce qu'on est dans l'ombre du Canadien, on se dit que nous sommes dans un petit marché. Mais Montréal, c'est un gros marché, voulait faire comprendre celui qui succédait alors à Joey Saputo. La culture doit donc changer. On doit agir comme un club de gros marché. »

Ses décisions subséquentes se sont avérées alignées avec cette volonté. Dix mois plus tard, l’Impact faisait de Thierry Henry son nouvel entraîneur. L’ancienne vedette du soccer français avait peu d’expérience à ce poste, mais sa seule présence le long des lignes de touche allait assurément braquer les projecteurs du monde entier sur la métropole québécoise. Gilmore avait admis qu’aucun autre candidat n’avait été interviewé au cours du processus de sélection.

Henry n’a finalement jamais dirigé l’Impact puisque quelques mois plus tard, le nom et les couleurs du club étaient remisés et remplacés par un nouveau concept dans le but avoué de faire rayonner le club à l’international. « C’est à la fois une responsabilité et un privilège en tant que club sportif d’être un ambassadeur pour la ville et de parler aux cinq milliards d’amateurs de soccer dans le monde », avait justifié Gilmore.

Jamais on n’a senti son désir de rejoindre les amateurs de soccer du Petit Maghreb ou du West Island. Gilmore rêvait plutôt qu’on parle du CF Montréal sur les terrasses parisiennes ou qu’on porte son logo dans les rues de Londres comme on le fait avec celui du FC Barcelone ou du Real Madrid.

L’arrivée de Gabriel Gervais dans l’ancien bureau de Gilmore marque un changement de paradigme important à cet égard.

Officiellement présenté à la presse mardi, l’ancien défenseur étoile de l’Impact – deux vieux maillots ornés de son numéro 8 avaient été accrochés derrière l’estrade sur laquelle l’accompagnait Joey Saputo – est clairement arrivé avec d’autres priorités, mettant l’histoire du club et sa place dans la communauté au cœur de son discours pendant un point de presse qui s’est étiré sur 45 minutes.

« Vous savez, le club, c’est une équipe professionnelle de soccer, mais c’est aussi un moteur pour développer le soccer au Québec. C’est un levier pour aider les jeunes et les familles plus démunies. Tout ça, c’est fait à travers l’Académie, la pré-Académie, le programme de sport-études et la Fondation. C’est cet ensemble d’éléments qui composent le club qui m’a attiré à revenir. »

« Très humblement, je suis confiant que mon bagage peut contribuer à amener le club à un autre niveau et aussi à faire du CF Montréal une équipe reconnue et appréciée dans notre communauté, dans notre ville, dans la province, partout au Canada et aussi à l’international. »

Les éléments de cette énumération, on allait le comprendre un peu plus tard, n’ont pas été prononcés dans un ordre aléatoire. « Pour qu’on puisse rayonner, je suis conscient qu’il faut être enracinés et visibles dans notre communauté. Il n’y a pas une autre façon de le faire », a mis au clair le nouveau président.

Ce recadrage dans les priorités du club s’est aussi manifesté dans les paroles du propriétaire, qui se soumettait aux questions pour la première fois depuis qu’il avait passé le flambeau à Gilmore dans la gestion quotidienne de son bébé. Dès son allocution de départ, Saputo n’a pas dissimulé sa volonté de s’adjoindre d’un gestionnaire au profil différent de celui qu’il avait choisi précédemment. On l’a compris lorsqu’il a dit avoir cherché un « leader mobilisateur » et « une personne qui connaît et comprend bien le soccer ».

En prenant la relève d’un dirigeant qui n’avait pas la réputation d’être le patron le plus rassembleur et qui n’avait que très peu d’intérêt pour le travail de ceux qui l’avaient précédé, Gabriel Gervais a hérité du mandat de réparer les liens qui avaient été abîmés par son prédécesseur.

Dans les mots de Saputo, « sa mission sera de regagner la pertinence que l’équipe et l’organisation ont déjà eue dans le marché. »

« Si je regarde l’histoire de l’organisation, même avant la MLS, quand on jouait des matchs, on savait qu’il y avait un match en ville, a exprimé Saputo. Quand on est entrés en MLS, le samedi après-midi, quand il y avait un match au Stade Saputo ou au Stade olympique, on voyait des gens dans la ville avec le maillot de l’équipe et on savait qu’il y avait quelque chose qui se passait dans la ville. On était plus présents avec nos partenaires, plus présents dans la ville comme tel. Et tranquillement, on a perdu ça. Il faut regarder pourquoi. »

« On ne parle pas seulement de 2021 à cause du changement de nom ou de logo. Ça a commencé avant ça. Si on veut avoir de la pertinence dans la ligue dans laquelle on joue, il faut commencer par en avoir dans notre propre ville. Je trouve que c’est quelque chose qu’on doit reprendre tranquillement. »

Quand le vétéran chroniqueur Marc de Foy a demandé au grand patron si l’embauche d’un joueur vedette reconnu mondialement faisait partie des conditions gagnantes qu’il croyait devoir réunir pour ramener les gens dans son stade, Saputo a une fois de plus confirmé, pas tant dans l’idée générale que dans les mots qu’il a choisis, la cassure qu’il souhaite opérer avec l’ancien régime.

« Je sais qu’on a déjà parlé souvent du fait qu’on est un grand marché. Mais en réalité, si on regarde l’aspect économique de la chose, on n’est pas un grand marché. Alors on doit jouer dans la réalité de qui on est et ce qu’on peut supporter. »

L’expression a été maintes fois galvaudée, mais elle semble réellement s’appliquer à ce changement de garde annoncé au CF Montréal. C’est véritablement une nouvelle ère qui s’amorce dans les bureaux de la rue Sherbrooke avec l’arrivée de Gabriel Gervais.