KRASNODAR, Russie - Révolution russe pour l'Espagne! Le sélectionneur Julen Lopetegui, fragilisé la veille par l'annonce surprise de sa nomination au Real Madrid, a été démis mercredi à deux jours de l'entrée en lice face au Portugal au Mondial 2018, un cataclysme qui plonge la Roja dans une crise inédite.

L'effet domino de la démission de Zinédine Zidane au Real a été dévastateur pour le football espagnol : deux semaines plus tard, le club merengue a scellé le recrutement d'ici juillet de Lopetegui, qui venait pourtant de prolonger jusqu'en 2020 avec l'Espagne, provoquant une crise de confiance autour du technicien basque.

Le nouveau président de la fédération espagnole (RFEF) Luis Rubiales, élu pour faire le ménage après les scandales de l'ère Angel Maria Villar (1988-2017), n'a pas eu d'autre choix que de limoger le Basque, qui aurait pu être accusé de manque d'implication ou de favoritisme pro-Real.

« La sélection appartient à tous les Espagnols. C'est une décision que nous avons dû prendre en fonction d'une certaine manière de faire et en fonction de certaines valeurs », a souligné Rubiales.

Vacante pendant quelques heures, la place de sélectionneur a finalement été octroyée à l'ancien international Fernando Hierro, directeur sportif de l'Espagne. Il prend les commandes de la sélection à deux jours du choc face au Portugal vendredi soir dans le groupe B de la Coupe du monde. Impensable!

« Fernando Hierro assumera la charge de sélectionneur national à la Coupe du monde en Russie », écrit la RFEF dans un communiqué. Une conférence de presse est prévue aujourd'hui pour présenter le technicien, âgé de 50 ans et dont l'expérience d'entraîneur principal se limite à une saison sur le banc d'Oviedo en deuxième division espagnole.

« Ridicule » planétaire

La presse espagnole a évoqué aussitôt la possibilité d'un attelage incluant le directeur sportif de la sélection Fernando Hierro, ancien entraîneur d'Oviedo en 2e division (2016-2017), et l'entraîneur des Espoirs Albert Celades.

Décision d'une gravité rare, ce limogeage d'un sélectionneur à la veille d'une compétition majeure précipite dans la tourmente l'un des favoris de cette Coupe du monde, un peu comme la grève des joueurs français à Knysna en 2010. Un « ridicule » planétaire, comme l'a résumé au micro un journaliste espagnol lors de la conférence de presse de Rubiales.

Voilà la Roja plongée dans le doute alors qu'elle était invaincue en 20 rencontres sous Lopetegui et qu'elle s'avançait forte de son jeu léché et de ses stars planétaires, les Iniesta, Isco, Ramos ou Piqué.

Mais il est dans la nature même de cette sélection d'être travaillée par des forces centrifuges, à l'image même de l'Espagne, régulièrement secouée par les revendications catalanes ou basques. En football, ces déchirements s'incarnent avec la rivalité entre les deux grands clubs du pays, FC Barcelone et Real Madrid.

L'âge d'or de la Roja est d'ailleurs intervenu lorsque les sélectionneurs Luis Aragonés (2004-2008) et Vicente del Bosque (2008-2016) ont réussi à minimiser ces frictions internes, guidant l'Espagne vers un triplé historique Euro-Mondial-Euro entre 2008 et 2012.

Lopetegui, nommé en 2016, avait jusque-là réussi à naviguer entre ces deux pôles grâce à son passé de gardien de but au Real puis au Barça dans les années 1990.

Le temps presse

Mais sa nomination à Madrid est venue rompre cet équilibre, laissant planer le soupçon du favoritisme pour un technicien âgé de 51 ans qui devait affronter vendredi Cristiano Ronaldo, la star portugaise du Real.

La presse espagnole a d'ailleurs multiplié les attaques, jugeant le calendrier de cette annonce particulièrement malvenu: une « bombe », un « missile », un « coup de canon contre la sélection », ont écrit les journaux.

Même s'il a assuré ne pas se sentir « trahi », Rubiales a refusé d'être mis devant le fait accompli. « La RFEF ne peut pas rester en marge d'une négociation avec un de ses employés et découvrir un accord 5 minutes avant un communiqué officiel (du Real) », a accusé le dirigeant. « Le meilleur entraîneur pour la sélection était Julen Lopetegui et pour moi c'est un professionnel impeccable. Mais la manière de faire est importante », a-t-il dit.

Il faudra voir si la Roja parvient à conserver son cap sans le technicien basque. Et le temps presse pour lui trouver un remplaçant à deux jours d'affronter le Portugal.

Les joueurs, eux, se retrouvent ballottés entre leur fidélité à Lopetegui et la décision de principe de Rubiales, ancien président du syndicat espagnol des footballeurs.

« Nous sommes tous affectés, sans aucun doute », a dit le nouveau patron de la RFEF. « Il faut toujours penser à ce qui est le mieux pour la RFEF et la sélection, et c'est un coup dur. Mais à partir de cet après-midi, nous serons tous unis pour aller de l'avant », a-t-il assuré, sans dévoiler le nom du technicien appelé à diriger l'entraînement du jour.

« J'ai expliqué ma position aux joueurs, ils sont très concentrés et m'ont fait part de leur implication maximale », a conclu Rubiales.