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RÉSULTATS

RDS au Qatar : « c'est la magie du soccer! »

Un partisan au match Équateur-Qatar Un partisan au match Équateur-Qatar. - Getty
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AL KHOR, Qatar - « Je crois que ça serait mieux que tu sortes ici. »

C'est la première fois que je sollicite un chauffeur Uber et je me dis que ça sera assurément la dernière. Ce gars-là veut ma peau.

Nous sommes sur une autoroute à cinq voies dont aucune ne peut être qualifiée de rapide. Au contraire, tout le monde est arrêté. Le Stade Al Bayt, où sera joué dans environ trois heures le match d'ouverture de la Coupe du monde, est juste là, environ 400 mètres à notre gauche. Mais si on garde l'itinéraire initial, c'est certain que je n'y suis pas avant une bonne heure. Il y a de la construction dans un tunnel pas loin, c'est sûr.

Arif répète ce que je n'étais pas trop certain d'avoir bien compris la première fois. Il veut que je débarque de sa voiture, que j'enjambe le muret de béton et que je traverse la voie de service et que je me penche sous une clôture métallique pour arriver au pont piétonnier qui me permettra de refaire le chemin inverse en toute sécurité.

L'instinct de survie me commande de m'opposer à sa suggestion. Puis je regarde devant, je regarde derrière et me rends compte que soit je suis une poule mouillée, soit la survie ça n'intéresse pas grand-monde. J'empoigne donc mon sac et je me dépêche de suivre le troupeau. Une vingtaine de minutes plus tard, j'arrive sain et sauf à l'ombre du monstre de 60 000 sièges, le deuxième plus gros parmi les huit stades qui accueilleront des matchs du tournoi.

Je n'ai ni billet, ni accès média pour ce Qatar-Équateur. C'est surtout ce qui risque de se passer à l'extérieur du stade qui m'intéresse. Ma logique, c'est que si quelqu'un a un message quelconque à passer en lien avec toutes les questions extra-sportives qui entourent l'événement, il n'y a pas meilleur endroit pour le faire.

Finalement, mon instinct m'a trompé. Remarquez qu'au nombre de flics qui font les cent pas devant les guichets, il faut tenir très fort à ses convictions pour sortir des rangs. Je comprends vite qu'il ne se passera rien. Et je vais me promener.

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Tickets needed. La plupart de ceux qui brandissent ce genre d'affiche ont en fait des billets à vendre. Mais pas Jonas et Detlev. Les deux Allemands ont chacun 200 euros à mettre sur une paire, mais n'ont encore rien trouvé en bas de 300.Detlev et Jonas

Jonas, le plus jeune des deux, sait déjà qu'il assistera aux trois premiers matchs de la Mannschaft. Pourtant, c'est lui qui est le plus découragé par leur manque de chance. Son compagnon, qui semble être du genre à prendre les choses comme elles viennent, ne s'en formalise pas trop.

« C'est ma troisième Coupe du monde », raconte Detlev, qui porte un authentique maillot du Minnesota United FC sans avoir la moindre idée de ce qu'il représente. Il l'a eu pour une aubaine dans une boutique underground de Munich. « J'étais au Brésil il y a huit ans, j'ai vu 12 matchs. Et en Italie, en 1990, j'en ai vu 21! »

Il sort son téléphone et expose des photos de vieilles découpures de journaux qui documentaient son voyage. « Tu vois, c'est ma banderole juste là derrière le but. C'est le nom de ma mère qui est écrit dessus. »

Detlev raconte qu'il a été un gardien de but en cinquième division en Allemagne. Il croit qu'un de ses anciens coéquipiers est devenu entraîneur quelque part au Canada. « Je sais qu'il est allé en Nouvelle-Zélande en tout cas. »

Jonas écoute tout ça avec l'intérêt du gars qui a entendu ces anecdotes des dizaines de fois. Son club à lui, c'est le Bayern Munich. S'il aime Alphonso Davies? C'est quoi cette question... « Comment Thomas Müller l'avait surnommé ? C'est ça, le Roadrunner! », intervient Detlev.

« Il est très vite, c'est vrai », approuve Jonas, pas beaucoup plus enthousiaste quant aux chances des Allemands de faire bonne figure au Qatar.

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Jon Tjader et Dan Nicholson n'en reviennent juste pas. Par texto, ils viennent d'apprendre qu'une de leurs connaissances vient de débourser 730 livres sterling, l'équivalent d'environ 970 dollars américains, pour entrer dans l'Al Bayt. Eux ont 1200 riyals qatariens, soit 330$, à mettre sur une paire. Pas un sous de plus.

Jon et DanJon vient du Minnesota et est un régulier au Allianz Field, domicile de l'équipe locale de MLS. « Mon billet est juste à côté du corridor d'où sortent les joueurs. À chaque match, je serre la main de Dayne St. Clair », se vante-t-il.  Dan sort d'une petite ville qui s'appelle Tysons Corner, en Virginie. « Mais je dis toujours que je viens de D.C., c'est plus simple », précise-t-il. Partisan du D.C. United? « Malheureusement, badine-t-il. On est pourris. »  

Les deux ont l'air de s'entendre comme des frères jumeaux, mais le lien qui les unit est beaucoup plus mince. Ils se sont croisés pendant quelques minutes dans l'aéroport de Rio de Janeiro pendant la Coupe du monde de 2014. « On s'est échangé nos numéros. Puis je suis embarqué dans une voiture avec deux filles et il est parti de son bord », raconte Jon.  

« On s'était échangé nos coordonnées et on s'est envoyé quelques messages depuis, mais sans plus. C'est la première fois qu'on se revoit! », s'émerveille Dan, enveloppé dans un immense drapeau de son pays.

À Doha, les compatriotes partagent un appartement avec les parents de Dan. « Il a fallu que je travaille pas mal fort pour les convaincre de venir, mais c'est peut-être leur dernière chance d'assister à un événement comme celui-là. » Il a en sa possession des billets pour une douzaine de parties.

Jon, lui, prévoit assister à un minimum de huit parties. « Je n'ai pas encore de vol de retour. Je vais rester aussi longtemps que les États-Unis vont être en vie. Je crois qu'ils peuvent surprendre! »

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Plus discrètement, Mohammed zigzague dans la foule à la recherche d'un siège libre. Il est Marocain, émigré en Suède, et a fait le voyage à Doha avec des amis qui habitent en Allemagne. Pour lui, le portrait est clair : c'est le Maroc et la Belgique qui sortiront du groupe F.

« Pour l'attaque... et pour Hakimi. Qu'est-ce qu'il est fort! », admire-t-il.

Juste derrière, un groupe d'une demi-douzaine d'hommes arrivent à notre hauteur. Ils sont parmi les rares à ne pas afficher leurs couleurs. Seul le plus costaud porte un maillot du Honduras. Leur équipe n'est pas représentée au Mondial, mais ils travaillent tous sur un bateau de croisière qui restera accosté pendant 40 jours au Qatar. Ils tenteront d'assister à quelques matchs et ont décidé qu'ils encourageront le Costa Rica.

« Les joueurs du Honduras ne pensent qu'à l'argent. Mais ça prend du cœur quand on porte les couleurs du pays », se plaint l'un d'eux.

« S'ils avaient tous le cœur de Quioto, on serait qualifié », tranche son ami.

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Ehsan Kananpour et Alireza Moshfeghi sont déçus et s'apprêtent à partir. Leur intention n'a jamais été d'essayer d'entrer dans le stade. Mais ils s'attendaient à pouvoir regarder le match sur écran géant et à leur grande surprise, il n'y a rien.

« C'était pas mal mieux en Russie », constate Alireza.Partisans des Pays-Bas

Les deux hommes sont des Iraniens qui ont émigré aux Pays-Bas il y a plusieurs décennies. C'est leur maillot des Oranjes qui les distingue dans cette foule hétéroclite. Celui de leur pays natal, ils ne l'ont même pas mis dans leurs valises. Ils ragent contre le climat politique qui règnent chez eux et sont déçus par la prise de position molle des joueurs de la sélection sur le sujet.   

« On a des billets pour les trois matchs, mais on ne portera pas de maillot. On va y aller vêtu comme toi, me dit Ehsan. Mon cœur est en Iran, mais avec tout ce qui se passe là-bas, je me sens plus Néerlandais. »

Pour le match du lendemain contre l'Angleterre, les deux amis s'attendent au pire. Et pas juste sur le terrain!

« Je ne crois pas que les Anglais vont apprécier qu'il n'y ait pas de bière au stade. Ça va barder! », rigole Ehsan.

« Même nous, je ne crois pas qu'on serait venus si on avait su... », avoue Alireza.